1914 Les assassins - Bibliothèque numérique mondiale

Les tensions internationales

En ce début de siècle, les grandes puissances se sont groupées en deux camps opposés:
-la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie)
-la Triple Entente (France, Russie, Royaume-Uni)

Cette bipolarisation de l’Europe date de 1907; auparavant, diverses alliances avaient été faites et défaites entre ces puissances tour à tour amies et rivales. Ce partage débouche sur de grave tensions internationales augmentées par les rivalités impérialistes apparues avec l’expansion économique de la fin du XIXe siècle.

L’Autriche-Hongrie L’Autriche-Hongrie voit ses visées expansionnistes en direction de la mer Egée contrariées par la politique russe. D’autre part, son empire connaît des difficultés internes à cause des poussées nationalistes des Slaves du Sud (Croates, Slovènes, Bosniaques …).
Oppositions avec les intérêts économiques allemands

L’Allemagne L’Allemagne est devenue la deuxième puissance industrielle du monde derrière les U.S.A.; l’Empereur veut lui assurer une position stratégique, des matières premières, des débouchés commerciaux et des aires d’investissements. L’empereur Guillaume Il lance son pays dans une politique mondialiste.
L’essor de sa marine de guerre est un sujet d’inquiétude pour la Grande-Bretagne, souveraine sur les mers.
Les intérêts allemands se heurtent à ceux de la France tant en Europe qu’en Asie et en Afrique.

L’Italie Le jeune impérialisme italien tend à prendre pied, lui aussi, dans les Balkans (littoral dalmate, Albanie). Réveil des revendications concernant le Trentin et Trieste demeurés sous domination autrichienne.

La Russie Vaincue en Extrême-Orient et secouée par la révolution de 1905 , la Russie cherche à remporter un succès. Pour cette raison, elle renoue avec sa politique des Slaves des Balkans; elle espère qu’un jour lui donneront accès aux « mers chaudes ».

Bismarck et la France (1879)

« On a beaucoup dit que j’étais favorable à la République en France parce que j’y voyais une cause de faiblesse pour votre pays… La vérité, c’est que la République, sage et modérée comme vous l’avez en ce moment, est à mes yeux une garantie de paix parce qu’elle n’a pas besoin de « redorer dans le creuset de la victoire » le prestige indispensable aux dynasties sans racines comme la dernière que vous avez eue; voilà pourquoi je souhaite le maintien de la République en France, voilà pourquoi je suis prêt à vous seconder dans vos entreprises non contraires à nos propres intérêts. Mais, je le répète, je crois qu’il faut au peuple français (bien qu’il fasse preuve maintenant d’une grande sagesse) des satisfactions d’amour-propre et je désire sincèrement lui voir obtenir celles qu’il peut rechercher dans les bassins de la Méditerranée, sa sphère d’expansion naturelle; plus il aura de succès de ce côté, moins il sera porté à faire valoir contre nous des griefs et les douleurs dont je ne discute pas la légitimité, mais qu’il n’est pas en notre pouvoir d’apaiser. »

Déclaration de Bismarck à l’ambassadeur de France, Saint-Vallier, le 5 janvier 1879, citée par E. Bourgeois et G. Pages, »Les Origines et les responsabilités de la Grande Guerre », Paris Hachette, 1921.

Les Balkans, une situation explosive

1908-1909: l’Autriche-Hongrie a décidé d’annexer la province ottomane de Bosnie-Herzégovine et, de ce fait, se heurte à la Serbie qui est soutenue par la Russie.
La France refuse de faire jouer son alliance avec la Russie et conseille la modération à la Serbie.

oct. 1912: la guerre éclate entre l’Empire ottoman et les petits Etats du Sud des Balkans (Bulgarie, Grèce, Monténégro, Serbie) groupés en ligue balkanique.
La ligue, victorieuse des Turcs, doit accepter l’arbitrage des grandes puissances.
La Macédoine et la Thrace sont partagée; la Serbie doit renoncer à l’Albanie qui devient une principauté indépendante.

1913: nouvelle guerre balkanique. La Bulgarie soutenue par l’Autriche s’oppose aux autres vainqueurs, associés à la Roumanie, pour le partage des dépouilles. La Bulgarie est défaite.
Le traité de Bucarest partage la Macédoine entre la Grèce et la Serbie, la Roumanie s’agrandit vers le Sud et la Bulgarie garde une étroite façade sur la mer Egée.

La crise marocaine en 1911

« L’accord conclu le 4 novembre 1911 sur le Maroc et le Congo ne contenta ni l’Allemagne, ni la France. Si chez nous, il a provoqué de la désillusion sur nos gains territoriaux en Afrique, au double point de vue de leur exiguïté et de leur valeur, en France, il y eut de la mauvaise humeur provenant de la dignité froissée. On ne pouvait se faire à l’idée de céder des terrains coloniaux acquis grâce à l’initiative et à l’esprit d’entreprise français, et cela sous une pression qui n’avait rien de glorieux (…) Le nouvel accord (…) laissait subsister un état d’énervement qui suscita de nombreuses difficultés (…). »

in Baron de Schoen, Mémoires, Plon.

L’Allemagne encerclée…

ainsi on justifie d’avoir pris l’initiative des armes et on s’oppose à l’article 231 du Traité de Versailles désignant l’Allemagne comme responsable de la guerre.

« Nous étions encerclés. Notre voisin occidental, le peuple français, est le plus agité, le plus ambitieux, le plus vaniteux de tous les peuples d’Europe et, dans la pleine acception du terme, le plus militariste et le plus nationaliste. Depuis la dernière guerre franco-allemande, nous en sommes séparés par un fossé, dont un éminent historien français m’écrivait qu’il était absolument infranchissable. À l’est, nous sommes entourés de peuples slaves, pleins d’aversion pour les Allemands qui les ont initiés à une civilisation supérieure; ils les poursuivent de la haine méchante qu’un écolier récalcitrant et d’instincts brutaux éprouve pour un précepteur sérieux et digne. Ceci s’applique aux Russes, davantage aux Tchèques et surtout aux Polonais, qui revendiquent une partie de l’Allemagne orientale.

Les relations entre Allemands et Anglais ont varié au cours des siècles. John Bull daignait favoriser et protéger son pauvre cousin allemand, et même l’employer, de temps en temps, à quelque grosse besogne, mais il ne voulait pas admettre qu’il eût les mêmes droits que lui. Au fond, personne ne nous aimait. Cette antipathie était ancienne, mais la jalousie que suscita l’œuvre de Bismarck, la puissance et la richesse de l’Allemagne l’avaient singulièrement augmentée. Ce manque de sympathie avait encore une autre cause : notre mépris de la forme. Déjà le philosophe grec avait fait remarquer que la grande majorité des hommes ne jugent des choses que sur l’extérieur et non d’après le fond ; mais cette façon de penser et de sentir était difficile à comprendre pour l’Allemand sérieux, grave, allant toujours au fond des choses et trop indifférent à leur apparence. »

extrait de Prince de Bülow, Prinz von Bülow fut chancelier du Reich de 1897 à 1909 Mémoires du Chancelier-Prince de BULOW, tome II, Plon, Paris, 1931..

Pressions françaises, allemandes, russes en 1914

« De Panafieu (ministre de France à Sofia) à de Margerie (directeur des Affaires politiques au Quai d’Orsay), Sofia, 11 mars 1914

Vous n’ignorez pas la détresse financière dans laquelle se trouve actuellement le Trésor bulgare, l’urgente nécessité où il se trouve de mettre fin aux expédients de trésorerie et d’apurer celle-ci par un emprunt à extérieur. Vous n’ignorez pas non plus que le ministère actuel est, quoi qu’il en dise, entièrement acquis à une politique d’amicale entente avec l’Autriche, politique qui est par conséquent en opposition avec celle de la Russie et de la France.

Notre principal moyen d’action pour faire revenir la Bulgarie dans notre sphère d’influence, c’est évidemment l’emprunt, étant donné qu’aucun marché financier, si ce n’est celui de Paris, n’est en situation de faire l’opération importante, nécessaire à la régénération des finances bulgares. Cette situation est si connue ici que la question de l’emprunt est vitale pour le gouvernement M actuel et qu’il devra modifier complètement sa politique, si ce n’est abandonner le pouvoir, dans le cas où notre concours financier lui serait refusé… »

Documents diplomatiques français, 3ème série, T. IX.

Allemagne : discours de Guillaume II au Reichstag (25 juin 1888)

« Messieurs,

Je vous ai convoqués, Messieurs, pour faire connaître devant vous au peuple allemand que je suis résolu à suivre, comme empereur et comme roi, les mêmes voies que celles dans lesquelles feu mon auguste grand-père a gagné la confiance de ses confédérés, l’amour du peuple allemand et les hommages bienveillants de l’étranger.

Les tâches les plus importantes de l’empereur allemand consistent à assurer, sur le terrain militaire et politique, la sécurité de l’empire au dehors, et à veiller au dedans, à l’exécution des lois de l’empire.

La première de ces lois est la constitution impériale. La sauvegarder et la défendre dans tous les droits qu’elle garantit aux deux corps légiférant de la nation et à chaque Allemand, de même que dans les droits qu’elle garantit à l’Empereur, et à chacun des États confédérés et à leurs souverains : tel est un des droits et des devoirs principaux de l’Empereur.

Aux termes de la Constitution, j’ai plus à concourir à la législation de l’empire en ma qualité de roi de Prusse qu’en celle d’empereur allemand. Mais, en cette double qualité, mes efforts tendront à poursuivre l’oeuvre de législation de l’empire dans le même sens que feu mon auguste grand-père l’a commencée.

Je m’approprie tout particulièrement et dans toute son étendue le message qu’il a émis le 17 novembre 1881, et, dans le sens indiqué par ce message, je continuerai de faire en sorte que la législation impériale concernant la population travailleuse s’efforce d’accorder aux faibles et à ceux qui souffrent la protection qu’elle peut leur donner dans la lutte pour l’existence, conformément aux principes de la morale chrétienne.

J’espère qu’on réussira de la sorte à avancer la conciliation des contrastes sociaux malsains, et je suis persuadé que, dans mes efforts pour développer notre prospérité intérieure, je rencontrerai l’appui unanime de tous les partisans fidèles de l’empire et des gouvernements confédérés, sans distinction des différents partis.

Mais je crois de même qu’il est nécessaire de maintenir dans les voies de la légalité notre développement politique et social, et de nous opposer avec fermeté à tous les agissements ayant pour but et pour effet de miner l’ordre gouvernemental.

Dans le domaine de la politique extérieure, je suis résolu à maintenir la paix avec tout le monde… L’Allemagne n’a besoin ni d’une nouvelle gloire militaire, ni d’aucune conquête, maintenant qu’elle a reconquis définitivement ses droits comme nation unie et indépendante.

Notre alliance avec l’Autriche-Hongrie est connue de tout le monde…Je vois dans cette alliance défensive une base de l’équilibre européen, ainsi qu’un legs de l’histoire d’Allemagne non contesté jusqu’en 1866.

Des relations historiques semblables et des besoins nationaux pareils nous unissent à l’Italie…

J’ai la satisfaction de constater que les arrangements que nous avons conclus avec l’Autriche-Hongrie et l’Italie me permettent d’entretenir avec soin mes relations d’amitié personnelle pour l’empereur de Russie et des relations qui répondent à mes propres sentiments, aussi bien qu’aux intérêts de l’Allemagne.  »

L’opinion d’un journal pangermaniste

« La France n’est pas encore prête pour le combat. L’Angleterre est aux prises avec des difficultés intérieures et coloniales. La Russie redoute la guerre, parce qu’elle craint la révolution intérieure. Allons-nous attendre que nos adversaires soient prêts ou devons-nous profiter du moment favorable pour provoquer la décision ? Voilà la question lourde de sens qu’il s’agit de trancher.

L’armée autrichienne est encore fidèle et utile. L’Italie est encore fermement attachée à la Triple Alliance (1) et même si elle préfère encore (…) le maintien de la paix, pour panser les plaies de la dernière guerre (2), elle sait (…) que, si l’Allemagne est battue, elle sera livrée sans remède à la violence de la France et de l’Angleterre et elle perdra sa position indépendante en Méditerranée (…). Nous pouvons également compter le cas échéant sur la Turquie et la Roumanie. Nous avons ainsi encore des atouts en main, nous pourrions tenir les commandes de la politique européenne, par une offensive résolue, et nous pourrions assurer notre avenir.

Cela ne veut pas dire que nous devons provoquer la guerre ; mais là où se manifeste un conflit d’intérêts (…) nous ne devrions pas reculer, mais le faire dépendre de la guerre et la commencer par une offensive résolue; peu importe le prétexte, car il ne s’agit pas de cela, mais de tout notre avenir, qui est en jeu. »

Extrait traduit d’un article paru dans le journal allemand Die Post , le 24 février 1914

Le jugement de l’ambassadeur de France

« Les dernières lois militaires de l’Allemagne ont été la conséquence de deux faits que l’opinion en France n’a pas jugés comme on les jugeait ici. En premier lieu, l’Allemagne, qui aspirait à obtenir une part du Maroc et un port sur l’Atlantique, n’a rien obtenu sur l’Océan et elle a considéré comme un échec grave l’issue des négociations de 1911, qu’elle a appelées un Olmütz.

En second lieu, la guerre des Balkans lui a ouvert les yeux sur la faiblesse de l’Autriche dont elle est arrivée à escompter la disparition comme le vrai moyen de se raccommoder avec la Russie.

Elle ne s’est plus sentie assez forte ; elle a donc voulu reconquérir la situation militaire éminente qu’elle se considère comme obligée d’avoir pour se maintenir et pour s’imposer. Voilà pourquoi elle a augmenté son armée… sans qu’elle ait le dessein prémédité d’agression que notre opinion lui prête. » (…)

Dépêche de Jules Cambon, de Berlin le 3 mai 1914, in Documents diplomatiques français, 3ème série, t.X