Le brigandage en Espagne dans les années 1830-1840

(le texte est postérieur, mais il évoque une situation antérieure).

« (…) Si nous croyons les récits de la plupart des voyageurs, la Péninsule était, il n’y a pas plus d’une vingtaine d’années, la terre par excellence des voleurs de grands chemins ; on ne partait pas pour l’Espagne sans attendre à quelque aventure, et ceux qui en revenaient, s’ils n’avaient pas été attaqués, avaient été sur le point de l’être (…). C’était le bon temps alors ! les diligences étaient régulièrement arrêtées, et on ne montait pas en voiture sans avoir mis de côté la part des brigands. La profession, qui était lucrative, s’exerçait presque au grand jour ; chaque route était exploitée par une bande, qui la regardait comme sa propriété. On raconte même que les corsarios, c’est ainsi qu’on appelle les messagers, avaient des abonnements avec les bandits, lesquels, de bonne grâce moyennant une somme débattue à l’amiable, les laissaient passer leur chemin ; les corsarios, de leur côté, faisaient payer aux voyageurs, outre le prix de la place, une prime d’assurance qui les garantissait de toute attaque : cela s’appelait le « voyage composé » ; si on préférait partir à ses risques et périls, sans payer la prime, c’était le « voyage simple ». Quelquefois un chef de bande, soit fatigue, soit dégoût, voulait quitter les affaires ; il demandait alors à être reçu à indulto, c’est-à-dire amnistie, en faisant sa soumission ; mais auparavant il avait bien soin de vendre à un autre bandolero sa rente et sa clientèle, comme on vendrait une étude ou une charge, après avoir mis son successeur au courant. »

Extrait de Gustave DORÉ, Charles DAVILLIER, Voyage en Espagne. Paris, Hachette, 1862, rééd. Stock, coll. « Grands Voyageurs », 1980, 253 p. ( pp. 32-33)