Archéologue et professeur à Paris I, Jean-Paul Demoule a été président de l’INRAP de 2002 à 2008. Il livre ici une réflexion sur l’archéologie et les stéréotypes de l’histoire de la France, y compris pour les périodes antérieures à la France : celles de la Préhistoire, des Mérovingiens ou des premiers Carolingiens.
Conçu pour un large public, l’ouvrage livre quelque mises au point et fait un sort à quelques stéréotypes courants, même si l’auteur n’a pas cru bon de l’alléger d’un certain nombre de considérations plus contemporaines.


Sédentarisation et agriculture : des immigrés du Proche-Orient dans la France d’avant la France

« Dans ce milieu transformé, les chasseurs-cueilleurs s’adaptent une nouvelle fois, d’autant que les changements, échelonnés sur un ou deux milliers d’années, sont insensibles à l’échelle des générations humaines. Les animaux migrateurs, rennes et mammouths, étant remontés vers le Grand Nord, une certaine sédentarité est possible avec les espèces présentes, mais elle n’est effective en Eurasie que là où existent des ressources aquatiques permanentes (poissons, coquillages, mammifères marins), le long de certaines côtes […] ou le long des grands fleuves. On rencontre ces chasseurs-pêcheurs-cueilleurs sédentaires en Scandinavie, en Bretagne peut-être, sur les bords du Danube ou des grands fleuves de Russie et d’Ukraine, ou encore au Japon; leur sédentarité leur permet même de fabriquer de la poterie, dont le principe est connu depuis vingt-cinq mille ans. Pour le reste, ce sont des chasseurs nomades qui parcourent la forêt tempérée […]

Leurs tombes ne montrent pas de carences alimentaires particulières. Des campements (de l’époque où la glaciation s’achevait) ont pu être étudiés sur de grandes surface comme à Rueil-Malmaison, en bordure de Seine, ou encore à Ruffey, dans le Jura […] Ce mode de vie de chasse, de pêche et de cueillette aurait pu durer en France jusqu’à nos jours, comme il a pu durer dans bien des régions du monde jusqu’à ce que des sociétés techniquement plus avancées et plus nombreuses, européennes en particulier, viennent les envahir et au besoin les massacrer.

Des colons venus du Proche-Orient constitueront la troisième vague d’immigration sur l’actuel territoire français – après celle des erectus, il y a environ un million d’années, et celle des Homo sapiens, il y a trente-cinq mille ans. Ils apportent l’agriculture, l’élevage et les villages sédentaires, d’où surgiront bientôt les premières inégalités sociales et la violence institutionnalisée. Ils éliminent ou assimilent leurs lointains cousins, les chasseurs-cueilleurs européens. »

Jean-Paul Demoule, On a retrouvé l’histoire de France. Comment l’archéologie raconte notre passé, Robert Laffont, 2012, , coll. «Folio-Histoire», 2014, p. 54-55.