Ce texte d’Ousâma Ibn Mounqidh  (1095-1188), souvent utilisé dans le programme de seconde du début du XXIe siècle, a été découvert en 1880 à la Bibliothèque royale du monastère San Lorenzo de l’Escorial. Il est mentionné par le Français Hartwig Derenbourg vers 1880-1900. André Miquel en fournit une traduction complète. On a choisi ici de remplacer « franc » par « Franj ».

L’extrait présenté ici montre l’accommodement relatif entre le musulman Ousâma Ibn Mounqidh et des Templiers qui l’autorise à prier à la mosquée al Aqsa transformée église héritière du temple de Salomon, ce qui paraît évidemment légitime aux croisés. Il est alors agressé par un Franc/Franj nouvellement arrivé qui ne comprend pas pourquoi il se tourne vers le sud. D’une part, parce qu’un musulman se tourne vers la Qibla (qui est tout simplement la direction de la Mecque qu’on peut rechercher en n’importe quel lieu chez un hôte ou dans la rue) ; d’autre part, une prière chrétienne ne saurait se tourner vers l’Orient puisque, si Jérusalem est bien à l’est lorsqu’on est en Occident, le Saint-Sépulcre se trouve à l’ouest-nord-ouest par rapport à al Aqsa. Ce musulman ne peut donc pas avoir le sentiment de faire sa prière dans une église et fait surtout l’expérience d’une illégitime situation d’occupation. Par ailleurs, le jeune Franc, fraîchement arrivé en Terre sainte, et qui demeure étranger aux accommodements de ses prédécesseurs, passe d’autant plus pour grossier personnage qu’il se place et s’agite devant la tête d’un homme en prière, chose tout à fait inacceptable.


Extrait

Voici un trait de la grossièreté des Franj – Dieu les confonde ! […] j’avais l’habitude d’entrer dans la mosquée al-Aqsâ. Sur un des côtés, il y a un petit oratoire où les Franj avaient installé une église. Quand donc j’entrai dans la mosquée al-Aqsâ, lieu de séjour de mes amis templiers, ils mettaient à ma disposition ce petit oratoire pour que j’y fasse mes prières. Un jour j’entrai, je dis la formule « Dieu est grand » et j’allais commencer la prière lorsqu’un Franj se précipita sur moi, m’empoigna et me tourna le visage vers l’Orient en disant : « C’est ainsi qu’on prie ! » Tout de suite, des templiers intervinrent et l’éloignèrent de moi tandis que je retournai à ma prière. Mais l’homme, profitant d’un moment d’inattention, se jeta à nouveau sur moi, me tourna le visage vers l’Orient en répétant : « C’est ainsi qu’on prie ! ». De nouveau, les templiers intervinrent, l’éloignèrent et s’excusèrent envers moi en disant : « C’est un étranger ! Il vient d’arriver du pays des Franj et il n’a jamais vu quelqu’un prier sans se tourner vers l’Orient. « J’ai assez prié », répondis-je, et je sortis stupéfié par ce démon qui s’était tellement irrité et agité en me voyant prier en direction de la qiblaLa qibla est la direction de la Mecque indiquée dans une mosquée mais que chacun peut retrouver chez soi et partout ailleurs..

Ibn Mounqidh Ousâma (1095-1188), Kitab al-I’tibâr / Des enseignements de la vie – Souvenirs d’un gentilhomme syrien du temps des Croisades, Traduction intégrale d’André Miquel, Paris, Imprimerie  Nationale, 1983 ; Francesco Gabrieli, Chroniques arabes des croisades, Sindbad, 1977, Actes-Sud, 2014; André Miquel, Ousâma. Un prince syrien face aux croisés, Préface d’Antoine Sfeir, Tallandier, 2007. Traduction retouchée (Franj/Francs)