Dans la foulée de la proclamation de la République les insurgés veulent imposer le drapeau rouge. Lamartine déploie toute son éloquence pour faire maintenir le drapeau tricolore.

«Citoyens! vous pouvez faire violence au Gouvernement, vous pouvez lui commander de changer le drapeau de la nation et le nom de la France, si vous êtes assez mal inspirés et assez obstinés […] pour lui imposer une République de parti et un pavillon de terreur. Le gouvernement, je le sais, est aussi décidé que moi-même à mourir plutôt que de se déshonorer en vous obéissant […] Je repousserai jusqu’à la mort ce drapeau de sang, et vous devez le répudier plus que moi, car le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple, en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie.»

A. de Lamartine, Histoire de la Révolution de 1848, 1849.

idem plus complet

1848 – Lamartine – Quel drapeau pour la République ?

[…]

Il calma d’abord ce peuple par un hymne de paroles sur la victoire si soudaine, si complète, si inespérée même des républicains les plus ambitieux de liberté, il prit Dieu et les hommes à témoin de l’admirable modération et de la religieuse humanité que la masse de ce peuple avait montrée jusque dans le combat et dans le triomphe, il fit ressortir cet instinct sublime qui avait jeté la veille ce peuple encore armé, mais déjà obéissant et discipliné entre les bras de quelques hommes voués à la calomnie à l’épuisement et à la mort pour le salut de tous […] « – Voilà ce qu’a vu le soleil d’hier citoyens ! », continua Lamartine. « Et que verrait le soleil aujourd’hui ? – II verrait un autre peuple d’autant plus furieux qu’il a moins d’ennemis à combattre, se défier des mêmes hommes qu’il a élevés hier au-dessus de lui ; les contraindre dans leur liberté, les avilir dans leur dignité, les méconnaître dans leur autorité qui n’est que la vôtre ; substituer une révolution de vengeances et de supplices à une révolution d’unanimité et de fraternité ; et commander à son gouvernement d’arborer en signe de concorde, l’étendard de combat à mort, entre les citoyens d’une même patrie ! Ce drapeau rouge qu’on a pu élever quelquefois quand le sang coulait comme un épouvantail contre des ennemis qu’on doit abattre aussitôt après le combat en signification de réconciliation et de paix ! […] Voulez-vous donc que le drapeau de votre république soit plus menaçant et plus sinistre que celui d’une ville bombardée ? » « Non, non, s’écrièrent quelques-uns des spectateurs, Lamartine a raison mes amis ne gardons-pas ce drapeau d’effroi pour les citoyens ! – Si, si, s’écriaient les autres « c’est le nôtre. c’est celui du peuple, c’est celui avec lequel nous avons vaincu, pourquoi donc ne garderions-nous pas après la victoire le signe que nous avons teint de notre sang ? » « Citoyens », reprit Lamartine après avoir combattu par toutes les raisons les plus frappantes pour l’imagination du peuple le changement de drapeau et comme se repliant sur sa conscience personnelle pour dernière raison, intimidant ainsi le peuple qui l’aimait par la menace de sa retraite : « Citoyens vous pouvez faire violence au gouvernement. Vous pouvez lui commander de changer le drapeau de la nation et le nom de la France. Si vous êtes assez mal inspirés et assez obstinés dans votre erreur pour lui imposer une république de parti et un pavillon de terreur. Le gouvernement je le sais est aussi décidé que moi-même à mourir plutôt que de se déshonorer en vous obéissant, quant à moi jamais ma main ne signera ce décret ! Je repousserai jusqu’à la mort ce drapeau de sang, et vous devriez le répudier plus que moi ! car le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars traîné dans le sang du peuple en 91 et en 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire, et la liberté de la patrie ! » A ces derniers mots Lamartine interrompu par des cris d’enthousiasme presque unanimes tomba de la chaise qui lui servait de tribune dans les bras tendus de tous côtés vers lui ! La cause de la république nouvelle l’emportait sur les sanglants souvenirs qu’on voulait lui substituer. Un ébranlement général secondé par les gestes de Lamartine et par l’impulsion des bons citoyens fit refluer l’attroupement qui remplissait la salle jusque sur le palier du grand escalier aux cris de « Vive Lamartine ! Vive le drapeau tricolore! »

Alphonse de Lamartine, Histoire de la Révolution de 1848, Paris, 1849.


Questions

  1. Nature et auteur du texte.
  2. Quel est le drapeau de la France durant le régime qui précède la Seconde République ? Depuis quand ?
  3. Que signifie le drapeau rouge porté par des ouvriers des faubourgs ?
  4. Pourquoi affirmer qu’il a traîné dans le sang du peuple ?
  5. Y a t-il eu par la suite d’autres velléités de supprimer le drapeau tricolore ?