Charte des prêtres, « Pfaffenbrief » (7 octobre 1370)
Nous voyons dans la Charte des Prêtres la première expression de l’idée d’une réelle Confédération. C’est un accord « confédéré » (malgré l’absence de Berne), pour conserver aux membres leur état juridique, suite à l’agression de l’avoyer de Lucerne par un clerc zurichois qui prétendait, pour échapper à une peine, n’être justiciable que d’un tribunal ecclésiastique étranger (celui de l’évêque de Constance). Une grande irritation en résulta chez les Confédérés et la conséquence en fut cette charte.
Ainsi, quiconque demeure dans la Confédération ne doit pas en appeler à un tribunal étranger, sauf pour des causes matrimoniales et ecclésiastiques qui appartiennent au tribunal de l’évêque. La charte met fin à toute poursuite juridique privée par la force ou les armes. Elle assure la vie sauve aux voyageurs, sur les routes depuis le pont des Schöllenen (passage le plus dangereux sur la route du col du Gothard) jusqu’à Zurich, qu’ils soient indigènes ou étrangers. Pour la première fois, le territoire des 6 cantons signataires est nommé « notre Confédération ».
« Nous, tous, bourgmestre, conseils, maîtres de corporations et bourgeois de la ville de Zurich, nous tous, avoyer, conseil et bourgeois de la ville de Lucerne, nous tous, ammann, conseil et bourgeois de la ville de Zoug, nous tous, ammann et habitants des trois pays d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald, faisons savoir à tous ceux qui verront ou entendront cette lettre que, de bonne foi, et après mûre réflexion, pour le profit, le besoin et la paix de notre pays, nous sommes tombés d’accord, tous ensemble et à l’unanimité, sur l’ordre et les lois qui sont écrits ci-après.
Nous avons en premier lieu décidé ceci : toute personne, prêtre ou laïc, noble ou non noble, qui veut s’établir et avoir une maison dans l’une de nos villes ou l’un de nos pays susdits, que ce soit pour y vivre personnellement ou pour y installer des gens à son service et qui a promis et juré aux ducs d’Autriche ses services ou bons offices, doit aussi promettre et jurer de contribuer à l’honneur et à la prospérité des villes et des pays susdits, et de signaler en toute loyauté tout ce qu’elle saurait pouvoir causer préjudice ou dommage, d’une façon quelconque, aux villes et aux pays susdits, à tous ou à l’un d’entre eux, et aucun serment ni antérieur, ni ultérieur, envers qui que ce soit, ne peut la soustraire à cette obligation, sans aucune réserve.
Aucun prêtre établi dans notre Confédération, dans les villes ou pays susdits, et qui soit ni bourgeois, ni habitant, ni Confédéré, n’a le droit de faire rechercher ou de citer un habitant des villes et pays susdits devant un tribunal étranger, qu’il soit ecclésiastique ou civil. Mais, il a le droit de faire valoir son droit devant les juges et dans la ville où il est établi ; ceci seulement pour des questions matrimoniales ou ecclésiastiques, sans aucune réserve. Si un prêtre y contrevient, la ville ou le pays où il habite doit prévenir et agir avec toute la communauté en sorte que personne ne lui donne à manger ou à boire, ne l’héberge et qu’aucune autre communauté ne fasse du commerce avec lui, sans réserve; ce prêtre ne doit recevoir un abri de personne, ni de nos villes, ni de nos pays jusqu’à ce qu’il renonce aux tribunaux étrangers, et jusqu’à ce qu’il ait réparé le dommage causé à l’accusé devant ces tribunaux étrangers, sans aucune réserve. Si quelqu’un, dans les villes et pays susdits, attaque autrui sans raison et lui cause dommage pour lui saisir un gage ou toute autre chose, ceux chez qui il habite ont le droit de se saisir de sa personne et de ses biens et de le forcer à réparer totalement le dommage, car nos pactes stipulent que personne ne doit injustement causé un dommage à quelqu’un. Si un laïc parmi nous en attaque un autre devant des tribunaux étrangers, ecclésiastiques ou civils, pour une affaire civile, le plaignant doit faire réparation à l’accusé pour le dommage causé, car chacun doit faire valoir ses droits devant le juge dont l’accusé dépend, comme nos pactes le stipulent. Aucune personne, résidant dans les villes et pays susdits, n’a le droit de donner ses affaires ou d’attribuer ses paroles à quelqu’un de telle sorte que celui-ci soit puni par la vertu de ce qui est écrit ci-dessus et ci-après, sans aucune réserve. Si quelqu’un, résidant dans les villes et pays susdits, abandonne son droit de bourgeoisie ou son droit de Confédéré, et ensuite attaque et cause préjudice à un Confédéré devant les tribunaux étrangers, ecclésiastiques ou civils, il n’a plus le droit de revenir dans cette même ville ou ce même pays, avant qu’il ait fait entière réparation à l’accusé pour le dommage causé devant les tribunaux, sans aucune réserve.
Nous sommes également convenus à l’unanimité d’assurer la sécurité de toutes les routes passent sur le territoire de notre Confédération, depuis le pont écumant [entre Göschenen et Andermatt] jusqu’à Zurich. N’importe qui, étranger ou indigène, hôte ou citoyen d’une ville ou d’un pays, quel que soit son titre, doit pouvoir voyager dans tous nos districts et territoires, et aussi dans ceux des gens qui dépendent de nous, sans danger aucun pour sa personne et ses biens, et nul ne doit l’inquiéter, l’arrêter ou lui causer un dommage. Et si quelqu’un le fait, il nous faut nous aider et nous entendre mutuellement pour l’obliger à faire toutes réparations et payer tous dédommagements que sa situation ou sa fortune permettent, sans aucune réserve. Et comme il est arrivé que des gens des villes ou des pays aient fait parfois des coups de main et aient attaqué, rançonné et molesté autrui et que cela peut avoir de graves conséquences, nous avons, pour empêcher ces ennuis, interdit d’un commun accord qu’un ressortissant des villes et pays susdits entreprenne un coup de main et moleste quelqu’un en le rançonnant ou autrement, à moins que ce ne soit au su et avec l’autorisation des autorités de la ville ou du pays où habitent ceux qui ont fait ou veulent faire ce coup: pour Zurich du bourgmestre et du Conseil, pour Lucerne de l’avoyer et du Conseil, pour Zoug de l’ammann et du Conseil, et pour les trois pays d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald des ammanns et des Conseils. Si quelqu’un y contrevient et qu’il en résulte quelque dommage, la ville ou le pays doit se saisir immédiatement de sa personne et de ses biens pour qu’il expie cette attaque et dédommage la victime. (…) »
David Lasserre, Alliances confédérales. 1291-1815, Erlenbach-Zurich, 1941, pp.49-51.
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En 1385, la guerre repris contre les Habsbourg suite à des opérations hostiles de Lucerne qui chassa le bailli autrichien de l’Entlebuch et signa un traité de combourgeoisie avec Sempach, petite ville autrichienne. Glaris se souleva contre les Habsbourg. Le duc Léopold III d’Autriche partit avec son armée en juin 1386 d’Argovie et la bataille eut lieu devant Sempach le 9 juillet 1386. Cette bataille fut sanglante et longtemps indécise. Dans la légende, Arnold de Winkelried se sacrifia en saisissant dans ses bras un grand nombre de lances ennemies, provoquant une trouée dans les rangs autrichiens qu’exploitèrent les hallebardes confédérées. Le duc Léopold fut tué et le butin fut riche, mais l’attrait du pillage avait diminué l’efficacité de la victoire.
Le duc Albert III succéda à son frère et voulut reprendre Glaris, mais, le 9 avril 1388 son armée est anéantie à Naefels par les Glaronais aidés de Schwytzois répétant la méthode de Morgarten (l’avalanche de rocs et troncs pour désorganiser l’armée ennemie).
En 1389 une trêve de 7 ans est signée. Les Confédérés pouvaient garder leurs conquêtes. De fait, Glaris est de nouveau membre de la Confédération.
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En prévision d’un conflit qui ne peut manquer de renaître, les Confédérés rédigent le Convenant de Sempach le 10 juillet 1393. Ce document est remarquable du fait qu’il engage tous les membres de la Confédération plus Soleure, ville du plateau suisse au nord de Berne et son alliée, qui ne devint canton qu’en 1481.
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Le Convenant de Sempach (10 juillet 1393)
(en gras : parties résumées du texte)
Parties contractantes : Zurich, Lucerne, Berne, Soleure, Zoug, Uri, Schwytz, Unterwald, Glaris.
Interdiction de s’emparer de quoi que ce soit appartenant à un Confédéré ou à un marchand, ou de traiter un Confédéré comme otage.
« (…)
Quand, à l’avenir, des troupes régulières feront une expédition contre des ennemis, que ce soit tous ensemble ou une des Villes ou des Pays, tous les soldats de cette troupe doivent rester ensemble, loyalement comme l’ont toujours fait nos pères, quelque danger qui se présente, que ce soit dans une bataille rangée ou quelque autre attaque.A supposer qu’un soldat s’enfuie ou transgresse l’un des articles de cette charte, en particulier s’il commet quelque méfait dans une maison ou n’importe quoi qui lui attire l’accusation, vraie ou fausse, d’avoir fait ce que condamne cette charte, et au cas où, sur le témoignage de deux hommes honorables et intègres, il serait reconnu coupable par ceux dont il relève et qui ont à le juger, sa personne et ses biens sont à la disposition de ceux-ci et de nul autre d’entre nous. Et ceux-ci doivent le punir immédiatement en vertu des serments prêtés par leurs Villes ou leurs Pays, selon la faute qu’ils auront reconnue et constatée et de façon à ce que cela serve à chacun d’exemple des actes dont on doit se garder. Et les autres doivent se contenter, sans aucune récrimination, du châtiment pratiqué à l’égard des siens par chaque Ville et chaque Pays.
Les blessés qui ne peuvent plus combattre ont le droit de rester auprès des autres jusqu’à la fin du combat, sans encourir l’accusation d’avoir fui.
Aucun soldat ne doit quitter le combat pour piller avant que les chefs en aient donné le signal. Dès ce moment, chacun des hommes, armés ou non armés, qui ont pris part à l’affaire, peut piller; et chacun doit remettre le butin aux chefs dont il dépend, qui le partageront également et honnêtement, d’après leur nombre, entre tous ceux de leurs subordonnés qui sont présents, et chacun doit se contenter de la part de butin qu’il a reçue.
Comme le Dieu tout-puissant a dit de sa bouche divine que ses maisons doivent être appelées des maisons de prières, et comme c’est grâce à une femme que le salut a été apporté à nouveau et étendu à tous les hommes, nous interdisons, pour l’honneur de Dieu, à qui que ce soit des nôtres de faire irruption si c’est fermé, ou d’entrer si c’est ouvert, dans un couvent, une église ou une chapelle pour l’incendier, le dévaster ou y prendre ce qui s’y trouve et appartient à l’église, que ce soit en cachette ou ouvertement; à moins que l’on ne trouve des ennemis dans une église, ou quelque chose qui leur appartienne, auquel cas nous pouvons attaquer et faire des dégâts.
De même, en l’honneur de Notre Dame et afin qu’elle répande sur nous sa grâce, et nous garde et protège contre tous nos ennemis, nous interdisons aussi à n’importe lequel d’entre nous portant des armes de tuer, frapper ou traiter brutalement une femme ou une jeune fille; à moins qu’elle ne pousse des cris qui pourraient rendre service à nos ennemis à notre détriment ou ne prenne les armes ou n’attaque de près ou de loin un soldat: dans ce cas, on a le droit de la châtier comme on le pourra, sans aucune réserve.
Enfin, c’est notre volonté tout à fait unanime qu’aucune de nos Villes ni aucun de nos Pays ni ensemble, ni séparément n’entreprenne une guerre de son propre chef sans qu’une faute ou action hostile ait été constatée conformément à la procédure prévue par les chartes jurées par lesquelles les Villes et les Pays se sont individuellement liés envers tous les autres.
Ces ordonnances et prescriptions doivent rester en vigueur dorénavant pour nous et nos après-venants. (…) »
David Lasserre, Alliances confédérales. 1291-1815, Erlenbach-Zurich, 1941, pp. 51-53.
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Récits selon la Tradition
Une sorte de roman national…
Causes de la nouvelle guerre entre les Confédérés et le duc d’Autriche, 1385-1386
« La paix entre l’Autriche et la Suisse pouvait difficilement être de longue durée. Il se présentait sans cesse des circonstances qui irritaient, les uns contre les autres, les Autrichiens et les Confédérés. Le duc d’Autriche possédait plusieurs châteaux et seigneuries considérables en Suisse, et il envoyait, pour y demeurer, des gouverneurs autrichiens qui, le plus souvent, se faisaient haïr des Suisses par leur arrogance et leur cupidité. On rapporte que le duc Léopold, prince prudent et politique, leur dit plusieurs fois, en soupirant, qu’ils causeraient la ruine de leur maître.
Un autre sujet de plainte des Confédérés contre le duc, c’étaient les péages qu’il avait établis dans la partie de la Suisse encore soumise à sa domination. Ces péages, qui imposaient des droits très-forts sur les marchandises qu’on transportait d’un lieu à un autre, entravaient beaucoup le commerce, et diminuaient, par conséquent, l’aisance du pays.
Mais ce qui indisposa le plus fortement les Confédérés, ce fut un manque de bonne foi dont il est probable, d’après ce que l’histoire nous apprend du caractère de Léopold, que ses employés furent plus coupables que lui-même.
Les habitants de Schwytz s’étaient adressés au duc pour lui demander d’ôter le péage de la ville de Rapperschwyl, qui faisait beaucoup de tort au commerce de ce Canton, parce qu’il se trouvait placé sur le chemin qui conduit d’Allemagne en Italie à travers les Waldstetten et le Saint-Gothard. Léopold leur accorda leur demande, et profita de la satisfaction que sa réponse favorable avait fait naître, pour chercher à conclure une paix perpétuelle avec les Confédérés.
Les Suisses exigèrent, pour condition de la paix, la suppression de tous les nouveaux péages établis dans la partie de la Suisse soumise à l’Autriche. Tandis que l’on débattait cette proposition, le duc réussit à dissoudre une ligue qui s’était formée entre un grand nombre de villes de l’Allemagne et la Confédération helvétique. Enorgueilli de cet avantage, il montra moins d’empressement pour la paix ; ses employés témoignèrent aux Confédérés le même mépris, la même hauteur qu’auparavant, et ceux-ci, voyant à quel point le succès changeait les sentiments du duc à leur égard conçurent beaucoup de défiance.
Il ne manquait plus qu’un prétexte, et la guerre était allumée ; il ne tarda pas à s’en présenter un. […]
Sept jours après, une troupe de Lucernois s’empara du château de Rothenburg, où, contrairement à ce qu’il avait promis, le duc avait laissé subsister un péage. Le gouverneur, chassé du château, envoya des messagers et des lettres au duc d’Autriche, pour lui annoncer ce qui avait eu lieu, et lui demander vengeance et secours. Les Lucernois, de leur côté, comprenant bien qu’en agissant de la sorte ils s’étaient attiré le courroux du duc, se hâtèrent d’envoyer des messagers dans toutes les villes et les campagnes de la Confédération.
A cette même époque, les Lucernois formèrent une alliance avec les habitants de l’Entlibuch. Le duc Léopold, ayant eu besoin d’argent, avait engagé ce pays au baron de Thorberg pour une somme considérable ; et celui-ci, qui voulait tirer un bon intérêt de son argent, traitait les malheureux habitants de l’Entlibuch avec une extrême dureté, les accablant d’impôts qu’il les contraignait à payer par les moyens les plus rigoureux. Un jour, il renferma un grand nombre d’entre eux dans une église, pour obtenir qu’ils lui payassent cent livres de plus par an, et en même temps il les obligea à livrer sans délai une somme considérable. Une autre fois, il fit semblant de vouloir fortifier la petite ville de Wollhausen et exigea des bourgeois six cents livres qu’il garda pour lui. Enfin, dans un procès que le pays eut avec le Canton d’Unterwald, il se fit donner deux mille six cents livres pour terminer l’affaire, et ne fit rien pour l’arranger.
Lorsque le seigneur de Thorberg apprit que les habitants de l’Entlibuch avaient porté plainte contre lui aux Lucernois ,et qu’ils désiraient s’unir à eux par un traité d’alliance, il fit mettre à mort ceux qui s’étaient chargés de cette négociation, et ravagea le pays jusqu’aux portes de Lucerne. Les Lucernois, par représailles, détruisirent les châteaux forts que ce seigneur possédait dans le voisinage.
Dès cet instant, la guerre fut déclarée ; Lucerne et les autres Cantons confédérés prirent les armes, à l’exception de Berne, qui allégua que la paix conclue en 1358, avec le duc d’Autriche, n’était pas encore expirée. »
Histoire abrégée de la Confédération suisse jusqu’à l’époque de la réformation, Ramboz, Genève, 1846, ch. IX, p. 76-81
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Récit de la bataille de Sempach, 1386. La légende de Winkelried
« J’ai à raconter maintenant les batailles sanglantes livrées à l’Autriche et aux chevaliers pour la cause de la liberté, dans les champs de Sempach et de Naefels.
La noblesse, comme il arrive toujours, nourrissait une haine implacable contre la liberté du peuple. Elle opprimait les paysans sujets et traitait avec hauteur les Confédérés ; elle se croyait tout permis et tout possible, fière de l’appui du duc d’Autriche, qui établit de nouveaux droits de péage dans ses états héréditaires afin d’arrêter le commerce des Suisses. Un jour une troupe de Lucernois audacieux se rendit au château de Rothenbourg , où l’on avait établi un nouveau péage, et en démolit les murs: dans le même temps les habitants de l’Entlibouch, vexés de mille manières par leur bailli Pierre de Thorberg, qui venait d’augmenter leurs impôts , supplièrent les Lucernois de protéger leurs droits et de faire avec eux une alliance ; les Lucernois accédèrent à leur demande. Ce fut là l’origine de la guerre contre les seigneurs.
Pierre de Thorberg fit exécuter ignominieusement les hommes de l’Entlibouch, auteurs de l’alliance avec Lucerne, et, à la tête d’une troupe, fit des ravages jusque sous les murs de cette ville. Le duc Léopold d’Autriche vint aussi et jura de tirer vengeance des Confédérés pour tout le mal qu’ils avaient déjà fait tant à lui qu’à sa maison. De là des cris de guerre, de là le bruit d’un armement général. Les Confédérés assemblèrent en hâte une diète ; Berne seul n’y envoya point de député, parce que sa trêve avec le duc Léopold n’était pas encore expirée. Cent soixante-sept seigneurs ecclésiastiques et séculiers déclarèrent la guerre aux Confédérés dans l’espace de quelques jours, jurant leur perte et leur ruine totale.
Les Suisses coururent subitement aux armes sans être épouvantés de ces menaces ; ils ruinèrent sur le champ plusieurs châteaux : Rumlang sur la Glatt, Mœrsburg, Schenken sur le penchant de la montagne près de Sourcée, Windegg dans le pays de Gaster. Les ennemis, actifs de leur coté, aidés par la trahison des habitants, égorgèrent une grande partie de la garnison de Mayenberg, composée de citoyens de Zoug et de Lucerne ; Mayenberg même devint la proie des flammes. Reichenchée, dévouée aux Suisses, expia sa fidélité par l’incendie de ses maisons et par le massacre de la plupart de ses habitants ; l’enfant à la mamelle ne fut pas épargné.
Léopold, suivi d’une armée formidable, d’une troupe nombreuse de chevaliers de la plus haute noblesse et de troupes auxiliaires de tous ses états, marcha depuis Bade par l’Argovie et par Sourcée, contre Sempach pour châtier avec une verge de fer les citoyens de cette petite ville, à cause de leur attachement aux Confédérés. Il voulait ensuite fondre sur Lucerne. Arrivé près de Sempach, il trouva les bannières des Suisses rassemblées sur une colline devant la ville. Sans attendre son infanterie, il fit mettre pied à terre aux chevaliers, au nombre de plusieurs mille, parce qu’il craignait que les chevaux ne produisissent de la confusion dans un combat sur une colline, et leur ordonna de serrer leurs rangs et de s’avancer, semblable à un mur de fer , lances baissées, contre la petite armée des Suisses. La noblesse poussa des cris de joie ; mais le baron Jean de Hasenbourg s’écria « L’orgueil n’est bon à rien. » Léopold répondit : « Ici, dans mon pays, je veux triompher pour mon peuple ou mourir. »
C’était le temps de la moisson. Le soleil était haut et ardent. Les Suisses tombèrent à genoux et firent leur prière ; puis ils se relevèrent ; 400 hommes de Lucerne, 900 des Waldstaetten, 100 de Glaris, de Zoug, de Guersau, d’Entlibouch et de Rothenbourg. Tous se précipitèrent avec fureur contre l’armée de fer, mais en vain; elle fut inébranlable. Les Suisses tombaient l’un après l’autre ; déjà soixante d’entr’eux nageaient dans leur sang. Tous chancelaient.
« Je vais ouvrir un chemin à la liberté ! » crie subitement une voix de tonnerre ; « Fidèles et chers Confédérés, prenez soin de ma femme et de mes enfants. » Voilà ce que dit Arnold Strouthan de Winkelried, chevalier d’Unterwalden. Il embrasse autant de lances ennemies qu’il peut, les enfonce dans sa poitrine et tombe. Les Confédérés se précipitent par dessus son corps dans l’ouverture de la muraille de fer, écrasant tout sous leurs coups terribles ; les casques et les brassards volent en éclats sous les massues ; les cuirasses brillantes se teignent de sang. Trois fois la principale bannière de l’Autriche échappe à des mains mourantes, trois fois on la relève ensanglantée. La terre est jonchée des cadavres des nobles, le duc lui-même mord la poussière ; un homme de Schwyz l’a frappé. La terreur parcourt les rangs des chevaliers; ils crient qu’on fuie et demandent leurs chevaux ; mais leurs gens et leurs chevaux ont déjà pris la fuite, saisis d’épouvante. Les malheureux chevaliers, accablés de leurs cuirasses lourdes et rendues brûlantes par l’ardeur du soleil, commencent à fuir ; les Confédérés volent sur leurs pas. Plusieurs centaines de comtes, de barons et de chevaliers de la Souabe, du Tyrol et de l’Argovie, périrent avec des milliers de leurs valets. Schaffhouse perdit sa bannière, inutilement défendue, jusqu’à la dernière goutte de leur sang, par trente-quatre nobles et bourgeois de cette ville. Le banneret de Lenzbourg, Werner de Lo, tomba au milieu de sept, l’avoyer d’Arau, au milieu de quatorze de ses concitoyens, et Nicolas Thuet, de Zofinguen, entouré de douze des siens. Celui-ci, sentant sa mort prochaine, déchira sa bannière pour qu’aucune main ennemie ne pût se vanter de l’avoir enlevée ; mourant, il en tint le bâton serré entre ses dents. Les citoyens de Mellinguen et de Bremgarten combattirent contre les Confédérés, égaux en courage, inférieurs en bonheur. Telle fut l’issue de la bataille de Sempach, livrée le 9 de juillet 1386 ; tel fut le glorieux résultat de l’héroïsme et du martyre d’Arnold de Winkelried. «
in Zschokke, Henri, Histoire de la nation Suisse, trad. C. Monnard, Paris, 1836, ch XVII, p. 82-85
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