« A la fin du XIIIe siècle, alors que la Suisse dépendait du Saint Empire romain germanique, il y a avait dans un bourg du canton d’Uri un représentant de l’empereur, le bailli Hermann Gessler, qui terrorisait la population. Un jour, il exigeât que tous les habitants saluent son chapeau hissé sur la place publique d’Altdorf. Toute la population obéit sauf un homme, un montagnard. Un matin, il passa devant le chapeau, son arbalète à la main, accompagné de son fils de 10 ans, sans se découvrir.

Il fut aussitôt arrêté et conduit devant Gessler.

« Tu as la réputation d’être le plus habile arbalétrier du canton. Tu vas pouvoir le prouver. Que ton fils se place sous cet arbre. Compte cent pas et attends mes ordres. »

Gessler demande alors à un garde d’aller chercher une petite pomme et de la placer sur la tête de l’enfant.

« Si tu ne veux pas finir ta vie en prison, transperce cette pomme avec une flèche ! »

Guillaume Tell prit deux flèches dont l’une qu’il cacha dans ses vêtements. Devant la foule amassée, il visa longuement et tira. La flèche siffla et traversa la pomme sans la faire tomber.

Gessler demanda : « Pourquoi as-tu placé une deuxième flèche dans tes vêtements ? »

« Elle était pour toi au cas où j’aurais blessé mon fils ! »

Le bailli, fou de colère, ordonna que Guillaume Tell et son fils soient jetés dans une barque pour être menés à la forteresse de Kussnach. Mais, alors que le bailli et ses deux prisonniers se trouvaient sur le lac de Lucerne, un terrible orage éclata.

Gessler proposa à Guillaume Tell de prendre le gouvernail. « Mènes nous à bon port et tu seras libre. »

C’est ce que notre héros fit. Mais, en arrivant au pied de la forteresse, il sauta à terre en prenant son fils et repoussa l’embarcation. Il pointa son arbalète sur le bailli et le tua d’une flèche en plein cœur.

La mort du bailli déclencha un soulèvement des cantons contre l’Autriche. Une ligue se forma qui fut à l’origine de la Confédération helvétique.

Voilà comment Guillaume Tell devint un héros national et le fondateur officiel de la Suisse.

La légende que je vous ai contée a connu de nombreuses variantes pour la rendre crédible. Jusqu’en 1901, les écoliers suisses apprenaient l’histoire de Guillaume Tell puisque officiellement les historiens avaient validé cette version de la création du pays.

Quand la légende ne fait pas l’histoire

La légende de Guillaume Tell est très belle. Elle valorise le courage et la résistance d’un peuple face à l’oppression des occupants.

Malheureusement, elle est entièrement fausse. Guillaume Tell n’a en fait jamais existé. En Suisse, un tilleul a longtemps marqué l’endroit où, selon la tradition, le fils de Guillaume Tell se tint une pomme sur la tête.

Cette légende a été magnifiée par Friedrich von Schiller, dans son drame romantique daté de 1804, Guillaume Tell, un des classiques du théâtre allemand.

L’authenticité de la légende a été mise en doute dès le XVIe siècle.

Au milieu du XIXe siècle, l’historien Joseph Kopp, après avoir étudié les archives des cantons forestiers, conclut que Guillaume Tell n’a jamais existé.

La première référence écrite à Guillaume Tell apparaît dans quatre strophes d’une ballade datée de 1477, la Chanson de l’origine de la Confédération.

On y trouve mention d’une arbalète et de flèches mais aucune allusion à un bailli du nom de Gessler.

D’autres documents, le Livre blanc de Sarnen par exemple, font référence à un bailli impérial nommé Gessler et à un archer appelé Thall. Cette chronique a été publiée entre 1467 et 1474.

Les racines du mythe

Les renseignements que nous possédons ont été puisés dans une chronique écrite au XIIe siècle, intitulée Gesta Danorum, par un moine au curieux nom de Saxo Grammaticus.

Cette chronique nous parle d’une histoire qui se déroule à la fin du Xe siècle, soit trois siècles avant la légende de Guillaume Tell.

Elle nous conte l’histoire d’un archer nommé Toke, qui s’est vanté de pouvoir traverser d’une flèche une pomme, posée sur un piquet éloigné de cent pas.

Le roi, agacé par cette vantardise, ordonna que l’on remplace le piquet par le fils de Toke. L’archer dut s’exécuter et sortit trois flèches de son carquois. Il releva le défi avec succès. Le roi demanda alors pourquoi il avait sorti trois flèches.

« Les deux autres t’étaient destinées si j’avais raté mon coup ! »

Il existe une autre version, assez semblable, et plus ancienne qui date des premiers siècles de l’histoire de la Norvège.

Guillaume Tell est donc né de l’imagination des conteurs scandinaves.

Comment cette histoire est-elle arrivée jusqu’en Suisse pour devenir un véritable mythe national?

Les historiens pensent que des populations vikings de l’île de Gotland s’installèrent dans un nouveau pays qui deviendrait la Suisse. Chassées par la famine, ces populations amenèrent avec elles leurs traditions et leurs légendes qui se mêlèrent aux traditions locales. »

Références bibliographiques

Les plus beaux mensonges de l’histoire, Guy Breton . Yerta Méléra, Guillaume Tell a-t-il existé ?, Miroir de l’histoire n°32.

http://www.dinosoria.com/guillaume_tell.htm

Le récit traditionnel

« Cependant le bailli Herman Guessler n’était point tranquille ; sa conscience ne lui laissait aucun repos. Il lui semblait que le peuple commençait à relever la tête et à montrer plus de fierté. Pour l’éprouver et pour l’humilier, il fit placer un chapeau au haut d’une perche, dans le pays d’Uri, et ordonna que tous les passants s’inclinassent respectueusement devant ce symbole de l’autorité autrichienne. Il reconnaîtrait par là, disait-il, les ennemis de l’Autriche.

Guillaume Tell, de Burglen , habile arbalétrier, l’un des hommes du Grutli , passa devant le chapeau, mais ne s’inclina point. Aussitôt on le saisit pour le conduire devant le bailli. Celui-ci l’apostropha, plein de colère : « Arbalétrier téméraire, je veux que ton art te serve de supplice ; mets une pomme sur la tête de ton jeune fils, vises-y et garde-toi de la manquer. » On lie l’enfant, on met une pomme sur sa tête et l’on conduit le père à une distance considérable. Il vise, le trait part, la pomme est percée, le peuple pousse des cris de joie. Mais Guessler dit à Tell : « Pourquoi portes-tu sur toi une seconde flèche ? »Tell répondit : « Si l’une avait manqué la pomme, l’autre n’aurait pas manqué ton cœur. »

Le tyran effrayé ordonna de charger de fers cet homme courageux, de le garrotter au fond d’une barque, pour le conduire sous ses yeux à Kussnacht ; il ne jugea pas prudent de l’enfermer dans une prison du pays d’Uri, à cause des dispositions du peuple ; d’un autre côté les droits de la nation s’opposaient à ce qu’il l’envoyât hors du pays, dans une prison étrangère. Craignant le concours de la multitude, le bailli donna en hâte le signal du départ, malgré un vent contraire qui soufflait avec impétuosité. Tantôt la barque semblait descendre dans un abîme, tantôt des vagues écumantes la remplissaient d’eau ; les bateliers désespéraient de se sauver. Plus on avançait, plus le danger augmentait au milieu des immenses rochers à pic qui forment les bords du lac et s’élèvent vers le ciel comme des murailles. Au comble du désespoir, Guessler fit ôter les fers à Tell, afin qu’il sauvât la barque par son habileté. Celui-ci la dirigea vers le flanc nu de l’Axemberg où un roc en forme de plateau s’avance dans le lac. Il s’élance, repousse la barque, Tell est à l’abri du danger ; Guessler, à la merci des flots.

Echappé au péril, il gravit la montagne et se sauve à travers le pays de Schwyz. Triste et pensif, il se disait à lui-même: « Où fuir la colère du tyran ? Si je lui échappe, ma femme et mon enfant lui serviront d’otages. Que ne se permettra-t-il pas contre les miens, si , pour deux doigts cassés à un valet, Landenberg a fait crever les yeux au vieux Melchthal ? Devant quel tribunal puis-je citer Guessler ? le roi lui-même n’écoute plus les cris du peuple. Eh bien ! puisque les lois n’ont plus d’autorité, puisqu’il n’y a plus de juge entre l’oppresseur et l’opprimé, Guessler, nous sommes tous les deux hors la loi ; notre seule loi, c’est la nécessité de se défendre. S’il faut que ma femme, mon fils et ma patrie périssent innocents, ou que tu tombes chargé de forfaits ; meurs, tyran, et que la liberté revive ! »

Tout plein de ces pensées, Tell, armé de son arbalète et d’une flèche, vole vers Kussnacht, se cache dans un chemin creux. Le gouverneur vient à passer ; la corde siffle ; la flèche d’un homme libre atteint le cœur d’un oppresseur.

A cette nouvelle, se répandirent subitement parmi le peuple l’effroi et la joie. L’action de Tell inspira plus de courage. »

H. Zschokke, Histoire de la nation suisse, trad. C. Monnard ,Paris, Libraires associés, 1836, ch. XII, p. 59-60.

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