L’importance du Gothard comme voie de franchissement des Alpes ne date pas du Moyen Age. Il y a 3 500 ans, des marchandises y transitaient déjà, comme le démontre la découverte dans la Léventine de vestiges datant de cette époque.

P A R M A N U E L A Z I E G L E R

Il y a quelques années, on pensait encore que la route du col du Gothard était devenue une artère commerciale au Moyen Age, avec la construction du pont du Diable au-dessus des gorges. Des fouilles menées dans le cadre d’un projet soutenu par le Fonds national suisse proposent aujourd’hui une nouvelle vue des choses. « Les vestiges de Mött Chiaslasc à Airolo-Madrano, au sud du Gothard, et de Flueli à Amsteg, au nord du col, donnent à penser que le tracé moyenâgeux de la route du Gothard existait déjà à l’âge du bronze », explique Philippe Della Casa, professeur de préhistoire à l’Université de Zurich. Ce dernier effectue, dans le cadre d’un projet interdisciplinaire, des recherches sur la Léventine au cours des deux millénaires avant J.-C.

Habitations de l’âge du bronze

Cette nouvelle datation de la route du Gothard s’appuie sur le fait suivant : les habitations préhistoriques de Mött Chiaslasc ont été bâties à proximité de l’ancienne route du col, sur le même site que le fort moyenâgeux de Chiaslasc. Or d’anciens travaux de recherche avaient déjà mis au jour un cas de figure analogue à Flüeli : là aussi, des restes d’habitations datant de l’âge du bronze avaient été découverts non loin du fort moyenâgeux et de la route du col. Les datations au radiocarbone réalisées à l’« Alpe di Rodont » confirment également l’existence d’une voie préhistorique passant par le Gothard. Ce campement situé à proximité du sommet du col a été utilisé à plusieurs reprises, une première fois au huitième millénaire avant J.-C., mais aussi plus tard à l’âge du bronze, à la même période que celle des habitations préhistoriques d’Airolo-Madrano. C’est ce qu’a montré la datation du charbon de bois retrouvé dans les foyers du campement. On ne sait toutefois pas avec certitude où la route de l’âge du bronze passait exactement.

Les premiers agriculteurs

Les habitations de Mött Chiaslasc et de Flüeli étaient bâties sur des collines en terrasses. Ces sites exposés offraient un contrôle idéal du passage du col, un avantage non négligeable pour le commerce des marchandises. « Cette région alpine est plutôt inhospitalière. On n’y trouve pas de gisement de cuivre. C’est donc le commerce qui a dû pousser les habitants à se sédentariser », souligne Philippe Della Casa. Les habitations de Mött Chiaslasc ont par ailleurs abrité les premiers agriculteurs sédentarisés de la région. « Les restes de céréales carbonisés mis au jour lors des fouilles montrent que ces habitants pratiquaient l’agriculture en défrichant par le feu », note Christiane Jacquat, archéo-botaniste, qui participe aussi au projet interdisciplinaire. Autre élément qui étaye la thèse de l’agriculture : la découverte de restes de plantes « compagnes » qui poussent à côté des céréales. Les fondations des habitations et les débris de céramique, de métal et d’os découverts permettent de se faire une idée de ce mode de vie préhistorique qui présente des similitudes avec celui des habitants d’autres régions alpines comme l’Engadine et le Haut-Valais. Les fouilles sur le site de Mött Chiaslasc ont mis au jour des objets qui prouvent l’existence d’un commerce nord-sud via le Gothard : un pendentif circulaire en bronze, typique de la culture des tumulus du nord des Alpes et qui, à l’âge du bronze, était répandue jusqu’au nord de l’Allemagne. Ou encore des perles de verre ornées de motifs bleus et blancs, semblables à celles découvertes dans des nécropoles tessinoises et italiennes. De l’ambre a également été découvert, ce qui élargit encore le rayon de ce commerce en direction de l’Europe de l’Est. L’arc alpin était donc à cette époque un « espace économique en plein boom », affirme Thomas Reitmaier, collaborateur scientifique du projet. L’exploitation du minerai, l’essor de la production de métal et le commerce de marchandises de diverses provenances faisaient de l’arc alpin une région économique prospère. Combinés aux résultats des fouilles du San Bernardino et de la région du Simplon, ces éléments mettent en évidence un réseau commercial qui passait par les cols alpins et se ramifiait dans toute l’Europe.

Parents des lacustres

On ignore encore d’où venaient les habitants de la Léventine. Philippe Della Casa pense qu’il s’agissait d’anciens lacustres arrivant du sud et du nord des Alpes et qui avaient dû quitter leur région d’origine suite à de grosses vagues de froid. Mais cet exode était peut-être aussi dû à une pression démographique trop importante sur le plateau suisse et dans le nord de la plaine du Pô, ainsi qu’à la diminution des ressources qui en a résulté. Ces schémas d’exode et de réinstallation étaient fréquents dans la préhistoire. « Dans le cas d’Airolo-Madrano, nous partons de l’idée que, comme aujourd’hui, ces hommes choisissaient, pour s’établir, des régions présentant des conditions économiques favorables », analyse Philippe.

http://www.snf.ch/SiteCollectionDocuments/horizonte/77/77_16_17_f.pdf