CAPITAINE COOK, VOYAGES AUTOUR DU MONDE

1er voyage, découverte de la Nouvelle-Zélande
extrait de son journal de bord du 7 octobre 1769

« Le 7, nous eûmes un calme, et nous ne pûmes approcher de la terre que lentement. L’après-midi il s’éleva une petite brise quand nous étions encore à 7 ou 8 lieues. Cette terre nous parut plus grande à mesure que nous la vîmes distinctement, elle avait quatre ou cinq lignes de colline s’élevant les unes au-dessus des autres, et au-delà, une chaîne de montagnes qui nous parurent d’une hauteur énorme. Cette découverte donna lieu à beaucoup de conjectures ; mais l’opinion générale était que nous avions trouvé ce qu’on a appelé Terra Australis incognita. Vers les 5 heures, nous vîmes l’ouverture d’une baie qui nous parut s’enfoncer assez lion dans l’intérieur, nous aperçûmes aussi de la fumée qui s’élevait de diverses parties de la côte. La nuit étant venue, nous louvoyâmes jusqu’à le pointe du jour le lendemain. Nous remarquâmes alors que les collines étaient couvertes de bois, et qu’il y avait dans les vallées de très gros arbres. A midi nous voulûmes entrer dans la baie par sa pointe sud-est, mais n’ayant pu réussir à la doubler, nous virâmes de bord et reprîmes le large. Nous aperçûmes plusieurs pirogues qui se tenaient en travers de la baie, et qui bientôt gagnèrent le rivage sans paraître faire aucune attention au bateau. »

In Les trois voyages du Capitaine Cook autour du monde, La Découvrance, La Rochelle, 2008, page 51.

Autre extrait de son journal de bord, journée du 9 octobre 1769

« 9 octobre. Brise modérée et temps clair. L’après-midi nous entrons dans la baie et jetons l’ancre du côté Nord-Est à l’entrée d’une petite rivière, par dix brasses, fond de sable fin. Le point Nord-Est de la baie nous restait à l’Est, et le point Sud-Ouest au Sud, à une demi-lieue de la côte. Ensuite j’allai à terre avec la pinasse et la yole, accompagné de Monsieur Banks et du Docteur Solander, avec un détachement de matelots. Nous débarquâmes vis-à-vis du navire, du côté Est de la rivière ; mais voyant sur l’autre bord quelques indigènes à qui j’étais désireux de parler et constatant que nous ne pouvions passer la rivière à gué, je commandai à la yole de nous faire traverser, et à la pinasse de se tenir à l’embouchure.

Pendant ce temps les habitants partirent. Néanmoins nous continuâmes jusqu’à leurs huttes, qui étaient situées à deux ou trois cents yards de la côte, laissant quatre mousses pour garder la yole. Nous ne l’avions pas plus tôt quittée que quatre hommes sortirent des bois sur l’autre bord de la rivière, et l’auraient certainement détachée, s’ils n’avaient été aperçus par les hommes de la pinasse, qui crièrent aux mousses de se laisser aller au courant, ce qu’ils firent, poursuivis de près par les Naturels. Le Maître de la pinasse, qui avait l’inspection des bateaux, voyant cela, fit tirer deux coups de fusil par-dessus leurs têtes ; au premier ils s’arrêtèrent en regardant autour d’eux, mais ils ne firent aucun cas du deuxième ; sur quoi on fit feu une troisième fois, et l’un d’entre eux fut tué sur place, au moment où il allait envoyer sa lance sur la yole. A cette vue, les trois autres restèrent sans mouvement pendant une ou deux minutes, avec toute l’apparence d’une surprise complète ; ils se demandaient sans aucun doute ce qui avait bien pu tuer leur camarade. Mais à peine revenus à eux, ils prirent leur course, entraînant avec eux le cadavre, qu’ils laissèrent à quelque distance. En entendant la détonation des coups de feu nous revînmes immédiatement aux chaloupes et, après avoir examiné le cadavre, nous regagnâmes notre bord. Dans la matinée, voyant de nombreux Naturels à l’endroit où nous les avions vus la veille au soir, je me rendis à terre, avec les embarcations armées et montées, et je débarquai sur la rive opposée du fleuve. Pour commencer, Monsieur Banks et le Docteur Solander débarquèrent seuls avec moi, et nous nous plaçâmes sur le bord de la rivière, les Naturels étant rassemblés sur la rive opposée. Nous nous adressâmes à eux dans la langue de l’île de George, mais en guise de réponse, ils élevèrent leurs armes au-dessus de leurs têtes, en se livrant à une danse de guerre. Ce que voyant, nous nous retirâmes jusqu’à ce que les soldats de marine fussent débarqués, à qui j’ordonnai de se ranger en ordre de bataille, à environ deux cents yards en arrière de nous. Nous retournâmes au bord de la rivière, avec Toupia, Monsieur Green et Monsieur Monkhouse. Toupia parla aux Naturels dans sa langue maternelle, et ce fut une agréable surprise de trouver qu’ils le comprenaient parfaitement. Après un petit moment d’entretien, l’un d’eux vint jusqu’à nous à la nage, et à sa suite, vingt ou trente autres traversèrent en apportant leurs armes, ce que le premier n’avait pas fait. Nous leur fîmes à tous quelque présent, mais cela ne leur suffisait pas, ils voulaient tout ce que nous avions sur nous, en particulier nos armes, et essayèrent à plusieurs reprises de nous les arracher des mains. Toupia nous répéta plusieurs fois, dès leur arrivée, de prendre garde à nous, car ils ne venaient pas en amis, ce que nous ne tardâmes pas à vérifier, l’un d’eux prit à Monsieur Green son coutelas et refusa de s’en dessaisir ; cela encouragea l’insolence des autres, et voyant que plusieurs venaient le rejoindre, je donnai l’ordre de tirer sur l’homme qui avait pris le couteau, ce que l’on fit ; et il fut blessé de telle sorte qu’il ne tarda pas à mourir. Les autres reculèrent, dès les premiers coups des deux mousquets, jusqu’à un rocher situé à peu près au milieu de la rivière, mais en voyant tomber l’homme, ils revinrent, probablement dans l’intention d’emporter soit lui, soit ses armes ; ils prirent effectivement celles-ci, sans que nous puissions les en empêcher, à moins de les charger à la baïonnette, car lorsqu’ils étaient revenus du rocher, nous avions déchargé sur eux nos armes qui étaient chargées de menu plomb, et en avions blessé encore trois. Mais ces derniers passèrent la rivière, et furent emportés par les autres, qui jugèrent à propos de disparaître. Voyant qu’il n’y avait rien à tenter avec les habitants de ce côté, et l’eau de la rivière étant salée, j’embarquai avec l’intention de suivre le fond de la baie en quête d’eau douce, et si possible de surprendre quelques-uns des Naturels, de les attirer à bord, et par de bons traitements et des présents, de gagner leur amitié. »

Rives G., Capitaine Cook, Voyages autour du monde, Paris, René Julliard (ch. Livre II, du départ de Tahiti à l’achèvement de l’exploration de la Nouvelle-Zélande 1769-1770, pages 37 à 39).

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Extrait du journal de bord de James Cook , 16 janvier 1770, le long de la Nouvelle-Zélande

« 16 Janvier. Vents légers et variables, temps clair fixe. A 1 heure p.m. nous contournons, en la suivant de près, l’extrémité Sud-Ouest de l’île sur laquelle se trouve le village décrit ci-dessus, dont les habitants étaient tous sous les armes. A deux heures, nous mouillâmes dans une petite crique tranquille, située du côté nord-Est de la baie, et regardant l’extrémité Sud-Ouest de l’île — par onze brasses, fond uni, et nous amarrons avec l’ancre de touée.

Plusieurs Naturels vinrent dans leurs canots et après nous avoir jeté quelques pierres, et parlementé avec Toupia, quelques-uns se risquèrent à monter à bord, où ils ne restèrent que peu de temps ; ils regagnèrent leurs embarcations et peu après nous quittèrent tout à fait. J’allai alors à terre au fond de la crique, accompagné de la plupart de nos Messieurs. Nous trouvâmes un beau courant d’une eau excellente, et quant au bois, la terre n’est qu’une vaste forêt. Etant munis de la seine, nous la jetâmes deux ou trois fois, et nous prîmes trois cents livres de poissons, qui fut distribué par parts égales à tout le monde. Le matin, on s’occupa à caréner le bâtiment, à gratter et goudronner le côté bâbord. Plusieurs naturels vinrent nous voir et apportèrent un peu de poisson malodorant, que je donnai quand même l’ordre d’acheter, afin d’encourager cette sorte de trafic. Mais présentement leur but ne paraît pas être commercial, et ils sont plutôt disposés à nous chercher querelle. Le navire étant sur la carène, je craignais qu’ils ne nous causent des difficultés, et je fis tirer un peu de menu plomb sur un des premiers agresseurs. Cela les tint à distance, mais ils ne tardèrent pas à partir tous ensemble. Ces Naturels nous déclarèrent qu’ils n’avaient jamais vu un vaisseau comme le nôtre sur leur côte ni entendu parler de rien de pareil. Ceci montre qu’il n’y a chez eux aucune tradition remontant à un passage de Tasman [premier Européen a touché la Nouvelle Zélande en 1648, mais qui ne put s’y arrêter en raison de l’hostilité des Maoris], et je crois que la Baie du Meurtrier où il mouilla n’est pas loin de celle où nous sommes ; mais ce n’est pas la même, car je vois que l’observation prise aujourd’hui à midi indique que nous mouillons par 41 5′ 32″ de latitude Sud, c’est-à-dire à quinze milles au Sud de la Baie du Meurtrier. »

In Capitaine Cook, « Voyages autour du monde » , éd. Edito-Service, Genève, date non indiquée, pages 45-46.

L’extrait suivant se situe lors de son escale à l’île de Middelbourg. Il décrit les armes indigènes.

« Ils possèdent des massues de toute espèce et la plupart si pesantes que nous ne pouvions les soulever d’une main. Leur forme est le plus souvent quadrangulaire : elles présentent alors un rhomboïde à l’extrémité et elles s’arrondissent ensuite du côté du manche. Plusieurs étaient plates, pointues, ou ressemblaient à une spatule ; d’autres avaient de longs manches. La plupart offraient différents modèles de ciselure et de sculpture, ouvrages nécessitant un long travail d’une patience incroyable. Les parties diverses étaient remarquables par une régularité qui nous surprenait, et la surface des massues aussi polie que si elles avaient été faites en Europe avec les meilleurs outils. Leurs lances étaient de même bois travaillées aussi soigneusement. La construction des arcs et des traits est particulière. L’arc, long de six pieds, à peu près de l’épaisseur du petit doigt, forme une légère courbe quand il est détendu : la partie convexe est cannelée d’un sillon profond, dans lequel la corde se place, et qui est quelquefois assez large pour contenir le trait, fait de bambou, long de six pieds, dont la pointe est de bois dur. Quand ils veulent bander l’arc, au lieu de le tirer, de manière à en augmenter la courbure naturelle, ils le tirent en sens contraire, de façon qu’il devient parfaitement droit et qu’il forme ensuite la courbe de l’autre côté. Ainsi la corde n’a jamais besoin d’être tendue : le trait acquérant une force suffisante par le changement de la position naturelle de l’arc, le recul n’est jamais assez violent pour faire mal aux bras. »

In Voyage en Océanie de 1772 à 1775, Cook James, La Découvrance, La Rochelle, 2013, pages 83-84.

Sur le chemin du retour, dans le canal de Noël, un peu à l’ouest du Cap Horn, daté du 25 et 26 décembre 1774.

« 25 Décembre. Le lendemain matin, 25, les Naturels nous firent une nouvelle visite. Je les trouvai en tout semblables à la race que nous avions vue dans la baie de Bon-Succès, que Monsieur de Bougainville désigne du nom de Pècheras, un mot qu’ils avaient à la bouche à toute occasion. C’est une race petite, laide, imberbe, et à demi épuisée par la faim. Je n’ai jamais vu aucun homme de haute taille parmi ces Naturels. Ils étaient presque nus, pour tout vêtement ils portaient une peau de veau marin ; quelque-uns en avaient deux ou trois cousues ensemble de façon à faire une sorte de manteau qui descendait jusqu’aux genoux ; mais la plupart n’avaient qu’une seule peau, à peine assez grande pour leur couvrir les épaules, et tout le bas du corps était complètement nu. Les femmes et les enfants restèrent dans les embarcations. Je vis de petits enfants à la mamelle complètement nus : aussi sont-ils dès l’enfance endurcis au froid et aux rigueurs du climat. Ces Naturels transportaient avec eux des arcs et des flèches, et des piques, ou plutôt des harpons, en os, fixés à un manche. Je présume qu’ils étaient destinés à tuer des veaux marins et des poissons ; il se peut qu’ils s’en servent comme les Esquimaux, pour tuer des baleines : je ne sais s’ils ont le même goût pour l’huile de baleine, mais tout ce qu’ils possédaient et eux-mêmes en avaient l’odeur à un point intolérable. Je leur fis donner du biscuit, mais ils ne s’en montrèrent pas aussi friands qu’on me l’avait dit. Ils appréciaient beaucoup plus les couteaux, les médailles etc.

Comme je l’ai fait remarquer ci-dessus, les femmes et les enfants restaient dans les embarcations. Celles-ci étaient en écorce et dans chacune il y avait un feu, autour duquel se serraient ses pauvres êtres ; il n’est guère probable que se soit pour cet usage seulement qu’ils transportent du feu dans leurs embarcations, mais plutôt pour l’avoir toujours et pouvoir, quand ils débarquent, l’emporter à terre, car ils ne sont pas sûrs de trouver toujours du combustible sec auquel une étincelle mettra le feu. De même, ils transportent toujours dans leurs canots de grandes peaux de veaux marins, destinées probablement à les abriter quand ils sont en mer, à faire des toits pour leurs huttes à terre, et occasionnellement à servir de voiles.

Ils s’en allèrent tous avant le dîner et ne partagèrent pas nos réjouissances de Noël. A la vérité, je crois que personne ne les invita, et il y avait à cela de bonnes raisons ; car la saleté de leur personne et la puanteur qu’ils dégageaient suffisait à ôter l’appétit à un Européen, ce qui eût été une véritable déception, car il y avait longtemps que nous n’avions fait si bonne chère : de l’oie bouillie ou rôtie, de l’oie en pâtés, etc., c’était un régal dont nous n’avions guère l’habitude ; et il nous restait un peu de vin de Madère, seul article de nos provisions qui se fût amélioré en vieillissant. Si bien que nos amis en Angleterre ne célébrèrent peut-être pas Noël plus gaiement que nous.

Le 26, peu de vent, après un calme et beau temps, excepté quelques averses le matin. Le soir, par un temps froid, les Naturels vinrent nous voir ; c’était tellement affligeant de les voir nus et tremblants sur le pont que je ne pu me retenir de leur donner un peu de serge et de vieille toile pour se couvrir. »

Capitaine Cook, « Voyages autour du monde » , éd. Edito-Service, Genève, date non indiquée, pages 231-232.

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Préparation du 3e voyage

« Le 9 février 1776, ayant reçu commission de prendre le commandement du 3 mâts de Sa Majesté, le Résolution, j’allai à bord le lendemain, j’arborai la flamme et je commençai à enrôler des matelots. En même temps, on fit l’acquisition pour le service de Sa Majesté du Discovery, de 300 tonneaux, et le commandement en fût donné au capitaine Clerke, qui avait été mon seconde lieutenant à bord du Résolution lors de mon deuxième voyage autour du monde, dont nous étions revenus il y a peu.

Ces deux bâtiments étaient à cette époque dans le dock de Deptfad, entre les mains des constructeurs, qui avaient ordre de les équiper pour faire, sous ma direction, de nouvelles découvertes dans l’Océan Pacifique.

Le 9 mars, on remorqua Résolution du dock jusque dans la rivière, où nous complétâmes son gréement et réunîmes à bord les munitions et provisions que nécessitaient un voyage de cette durée. On peut vraiment dire que les 2 navires furent pourvus de tous ce dont on pouvait avoir besoin en quantités aussi considérables qui l’était possible d’en amasser commodément, et toujours dans les meilleures qualités. On nous fournit aussi en abondance tous ce qui, d’après l’expérience acquise au cours des deux voyages que nous venions de faire, pouvait être jugé utile au maintien de la santé des marins. »

In Relations de voyages autour du monde, James Cook, La Découverte, Paris, 1998, pages 309-310.

Ses dernières lignes…

« A onze heures du matin [11 février 1779], la Resolution et la Discovery mouillèrent dans la baie que les insulaires désignaient sous le nom de Karakahooa [à Hawaï|. Le nombre de pirogues augmentait et le rivage était couvert de spectateurs. Des centaines d’indigènes nageaient autour des vaisseaux. « La singularité de cette scène, écrivit Cook, nous frappa beaucoup, et il y eut peu de personnes à bord qui regrettassent de m’avoir vu échouer dans mes tentatives pour trouver un passage au nord ; car si elles avaient réussi, nous n’aurions pas eu occasion de relâcher une seconde fois aux îles Sandwich, et d’enrichir notre oeuvre de découverte qui, à bien des égards, paraît devoir être la plus importante que les Européens aient faite jusqu’ici dans la vaste étendue du Pacifique. »

Ces lignes, pleines d’enthousiasme et d’espoir, devaient être les dernières écrites par le capitaine Cook [tué le 14 février 1779]. Cette terre nouvelle dont son coeur s’exaltait, cette île, lourde de fleurs et de parfums, qu’il était heureux et fier d’offrir comme un joyau suprême à la couronne d’Angleterre, Hawaï, dont le seul nom est une musique, allait être fatale à l’homme qui l’avait découverte. »

In James Cook sa vie, ses voyages, Maurice Thiéry, La Découvrance, La Rochelle, 2007, pages 184-185.

Récit de Samwell, chirurgien, à propos de la mort de Cook (14 février 1779)

« Monsieur Roberts amena aussitôt la pinasse aussi près du rivage qu’il était possible sans accoster, en dépit des pierres qui tombaient dru sur ses hommes. Mais monsieur John Williamson, le lieutenant qui commandait la chaloupe, au lieu de se porter à l’aide du capitaine Cook, éloigna son embarcation vers le large au moment même où tout semblait dépendre de l’intervention opportune de l’équipage des bateaux. De son propre aveu, il interpréta le signal en sens contraire : quoi qu’il en soit, c’est, selon moi, cette circonstance qui détermina la tournure fatale que prirent les événements, et qui anéantit la dernière chance qui restait au capitaine Cook de s’en tirer avec la vie sauve. En effet, ce fut alors la pinasse qui eut à sortir de l’eau les soldats de marine ; de ce fait elle fut tellement surchargée que les membres de l’équipage n’arrivaient plus à se servir de leurs armes, et ne purent prêter secours au capitaine Cook comme ils l’eussent fait dans des conditions moins malaisées ; il fut donc, au moment le plus critique, privé de l’aide des deux chaloupes par suite du déplacement de la chaloupe. »

Extrait de « Relations de voyages autour du monde« , par James Cook, éd. La Découverte/Poche, 1998.

Il existe plusieurs récits de la mort de Cook, mais la plupart sont écrits par des gens qui ont observé cet événement de loin. A cause de la soi-disant mauvaise interprétation de Roberts qui est décrit ainsi par William Bligh : « ce personnage qui ne fut jamais d’aucune utilité au cour du voyage et ne fit rien d’autre que manger et dormir (…) L’homme était tout à côté du bateau et nageait à peu près aussi bien que le lieutenant. Toute l’affaire du commencement à la fin ne dura pas dix minutes, et ces événements ne provoquèrent pas une étincelle de courage pas plus qu’ils ne furent l’occasion de faire preuve de sang-froid.»

James Cook trouva la mort dans des conditions dramatiques.
En effet, il fut poignardé dans le dos alors qu’il demandait à ses soldats en faisant des signes, d’arrêter les hostilités et de retrouver le calme et d’après ce qu’ajoute le capitaine King « Il se peut que ce soient ses sentiments d’humanité qui lui aient coûté la vie. Car on remarqua que tant qu’il faisait fasse aux naturels aucune violence ne fut exercée sur lui, mais dès qu’il eut tourné le dos pour donner ses ordres au bateau il fut poignardé par derrière et tomba le visage dans la mer. »

L’auteur (David Samwell), explique les conditions dans lesquelles se trouvait l’explorateur au moment de sa mort.
A travers ce texte nous comprenons que le lieutenant de la chaloupe préfère fuir plutôt que d’affronter les indigènes. Il fut dégradé pour « lâcheté » et Samwell ajoute : « Avoir fuit à un tel moment et avoir abandonné le corps du capitaine Cook est un acte auquel on ne peut penser sans éprouver l’indignation et l’angoisse les plus vives. Il faut dire que les matelots furent douloureusement touchés, et livrés à eux-mêmes eussent certainement emporté le corps du capitaine. Quand ils rejoignirent le navire, ils crièrent, les larmes aux yeux qu’ils avaient perdus leurs pères. »

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LE MYTHE DU BON SAUVAGE

En 1771, le Voyage autour du monde de Bougainville connaît un grand succès. Philosophes et écrivains y puisent une source nouvelle d’inspiration et de réflexion. Ainsi naît le mythe de l’éden tahitien. Un peu plus tard, Lapérouse se livrera à une violente diatribe pour démentir la réalité de l’existence des bons sauvages.

« AU ROI.

SIRE,

Le Voyage dont je vais rendre compte, est le premier de cette espèce entrepris par les François & exécuté par les Vaisseaux de VOTRE MAJESTE. (…)

[Avril 1768, Bougainville arrive à Taiti (Tahiti)]

A mesure que nous avions approché la terre, les insulaires avaient environné les navires. L’affluence des pirogues fut si grande autour des vaisseaux, que nous eûmes beaucoup de peine à nous amarrer au milieu de la foule et du bruit. Tous venaient en criant tayo qui veut dire ami , et en nous donnant mille témoignages d’amitié ; tous demandaient des clous et des pendants d’oreilles. Les pirogues étaient remplies de femmes qui ne le cèdent pas pour l’agrément de la figure au plus grand nombre des Européennes, et qui pour la beauté du corps, pourraient le disputer à toutes avec avantages. La plupart de ces nymphe étaient nues, car les hommes et les vieilles, qui les accompagnaient leur avaient ôté la pagne dont ordinairement elles s’enveloppent. Elles nous firent d’abord, de leurs pirogues, des agaceries où, malgré leur naïveté, on découvraient quelques embarras ; soit que la nature ait partout embelli le sexe d’une timidité ingénue, soit que, même dans le pays où règne encore la franchise de l’âge d’or, les femmes paraissent ne pas vouloir ce qu’elles désirent le plus. Les hommes, plus simples ou plus libres, s’énoncèrent bientôt clairement. Ils nous pressaient de choisir une femme, de la suivre à terre, et leurs gestes non équivoques démontraient la manière dont il fallait faire connaissance avec elle. Je le demande : comment retenir au travail au milieu d’un spectacle pareil, quatre cents Français, jeunes marins, et qui depuis six mois n’avaient point vu de femmes ? Malgré toutes les précautions que nous pûmes prendre, il entra à bord une jeune fille qui vint sur le gaillard d’arrière se placer à une des écoutilles qui sont au-dessus du cabestan ; cette écoutille était ouverte pour donner de l’air à ceux qui viraient. La jeune fille laissa tomber négligemment une pagne qui la couvrait et parut aux yeux de tous, telle que Vénus se fit voire au berger phrygien. Elle en avait la forme céleste. Matelots et soldats s’empressaient pour parvenir à l’écoutille, et jamais cabestan ne fut viré avec une pareille activité.

Nos soins réussirent cependant à contenir ces hommes ensorcelés ; le moins difficile n’avait pas été de se contenir soi-même. Un seul Français, mon cuisinier, qui malgré les défenses avait trouvé le moyen de s’échapper, nous revint bientôt plus mort que vif. A peine eut-il mis le pied à terre, avec la belle qu’il avait choisie, qu’il se vit entouré par une foule d’Indiens qui le déshabillèrent dans un instant, et le mirent nu de la tête aux pieds. Il se crut perdu mille fois, ne sachant où aboutiraient les exclamations de ce peuple, qui examinait en tumulte toutes les parties de son corps. Après l’avoir bien considéré, ils lui rendirent ses habits, remirent dans ses poches tout ce qu’ils en avaient tiré, et firent approcher la fille en le pressant de contenter les désirs qui l’avaient amené à terre avec elle. Ce fut en vain. Il fallut que les insulaires ramenassent à bord le pauvre cuisinier, qui me dit que j’aurais beau le réprimander, que je ne lui ferais jamais autant de peur qu’il venait d’en avoir à terre.

[Un vieillard hostile aux Européens]

Lorsque nous fûmes amarrés, je descendis à terre avec plusieurs officiers, afin de reconnaître l’aiguade. Nous y fûmes reçus par une foule immense d’hommes et de femmes qui ne se lassaient point de nous considérer ; les plus hardis venaient nous toucher, ils écartaient même nos vêtements, comme pour vérifier si nous étions absolument faits comme eux ; aucun ne portait d’armes pas même de bâtons. Ils ne savaient comment exprimer leur joie de nous recevoir. Le chef de ce canton nous conduisit dans sa maison et nous y introduisit. Il y avait dedans cinq ou six femmes et un vieillard vénérable. Les femmes nous saluèrent en portant la main sur la poitrine, et criant plusieurs fois tayo . Le vieillard était père de notre hôte. Il n’avait du grand âge que ce caractère respectable qu’impriment les ans sur une belle figure. Sa tête ornée de cheveux blancs et d’une longue barbe, tout son corps nerveux et rempli, ne montraient aucune ride, aucun signe de décrépitude. Cet homme vénérable parut s’apercevoir à peine de notre arrivée ; il se retira même sans répondre à nos caresses, sans témoigner ni frayeur, ni étonnement, ni curiosité ; fort éloigné de prendre part à l’espèce d’extase que notre vue causait à tout ce peuple, son air rêveur et soucieux semblait annoncer qu’il craignait que ces jours heureux, écoulés pour lui dans le sein du repos, ne fussent troublé par l’arrivée d’une nouvelle race. (…)

[Des différents aspects du peuple tahitien]

Au vol près, tout se passait de la manière la plus amiable. Chaque jour nos gens se promenaient dans le pays sans armes, seuls ou par petites bandes. On les invitait à entrer dans les maison, on leur y donnait à manger ; mais ce n’est pas à une collation légère que se borne ici la civilité des maîtres de maisons ; ils leur offraient des jeunes filles ; la case se remplissait à l’instant d’une foule curieuse d’hommes et de femmes qui faisaient un cercle autour de l’hôte et de la jeune victime du devoir hospitalier ; la terre se jonchait de feuillage et de fleurs, et des musiciens chantaient aux accords de la flûte une hymne de jouissance. Vénus est ici la déesse de l’hospitalité, son culte n’y admet point de mystères, et chaque jouissance est une fête pour la nation. Ils étaient surpris de l’embarras qu’on témoignait ; nos m urs ont proscrit cette publicité. Toutefois je ne garantirais pas qu’aucun n’ait vaincu sa répugnance et ne se soit conformé aux usages du pays.

J’ai plusieurs fois été, moi second ou troisième, me promener dans l’intérieur. Je me croyais transporté dans le jardin d’Eden ; nous parcourions une plaine de gazon, couverte de beaux arbres fruitiers et coupée de petites rivières qui entretiennent une fraîcheur délicieuse, sans aucun des inconvénients qu’entraîne l’humidité. Un peuple nombreux y jouit des trésors que la nature verse à pleines mains sur lui. Nous trouvions des troupes d’hommes et de femmes assises à l’ombre des vergers ; tous nous saluaient avec amitié ; ceux que nous rencontrions dans les chemins se rangeaient à côté pour nous laisser passer ; partout nous voyions régner l’hospitalité, le repos, une joie douce et toutes les apparences du bonheur. (…)
J’ai dit que les habitants de Taiti nous avaient paru vivre dans un bonheur digne d’envie. Nous les avions cru presque égaux entre eux, ou du moins jouissant d’une liberté qui n’était soumise qu’aux lois établies pour le bonheur de tous. Je me trompais ; la distinction des rangs est fort marquée à Taiti, et la disproportion cruelle. Les rois et les grands ont droit de vivre et de mort sur leurs esclaves et valets ; je serais même tenté de croire qu’ils ont aussi ce droit barbare sur les gens du peuple qu’ils nomment Tata-einou, hommes vils ; toujours est-il sûr que c’est dans cette classe infortunée qu’on prend les victimes pour les sacrifices humains. La viande et le poisson sont réservés à la table des grands ; le peuple ne vit que de légumes et de fruits. Jusqu’à la manière de s’éclairer dans la nuit différencie les états, et l’espèce de bois qui brûle pour les gens considérables n’est pas la même que celle dont il est permis au peuple de servir. »

Etienne Taillemite, « Sur des mers inconnues. Bougainville, Cook, Lapérouse « , Découvertes Gallimard No 21, Paris, Gallimard, 1987, pp. 130-132 qui cite des textes de Bougainville in « Voyage autour du monde« .

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Quelque part en Mélanésie… une prise de possession pas très honnête !

Extraits du journal de bord de Louis-Antoine de Bougainville, juillet 1768.

« Mardi 5 juillet – mercredi 6. Vu deux îles (…) Relèvement du mouillage de la petite île (…) Les bateaux ont été visiter le fond de la baie où ils y ont reconnu que les Anglais nous y avaient devancés. Un abattage de bois assez considérable et tout nouveau, une moitié de plaque de plomb plaquée sur un arbre avec de longs clous dont les Indiens d’alentour avaient arraché la plus grande partie où l’on découvrait encore les mots de « Majesté » et « prise de possession », en anglais, en sont les témoins certains. (…)

Nous avons senti un tremblement de terre à bord qui a duré environ quatre minutes : quelques personnes à terre l’ont ressenti de même, d’autres qui étaient sur les récifs dans l’eau à chercher des coquilles ont eu une augmentation d’eau subite d’environ quatre pieds. Il a été gravé l’inscription suivante sur une planche de chêne qui a été enterrée dans le milieu environ de la côte de tribord de la baie, en y entrant : l’an mil sept cent soixante-huit, le 12 juillet, nous, Louis-Antoine de Bougainville, colonel d’infanterie, capitaine des vaisseaux du Roy, commandant la frégate la Boudeuse et l’Etoile, au nom et par ordre de Sa Majesté très chrétienne, sous le ministère de M. de Choiseuil, duc de Praslin, nous avons pris possession de ces îles : en foy de quoy, nous avons laissé la présente inscription correspondante à l’acte de prise de possession que nous portons en France. »

Extrait de Bougainville, « Voyage autour du monde par la frégate La Boudeuse et la flûte L’Etoile. Suivi du supplément de Diderot « , édition Edito-Service S.A., Genève, 1969.

Dans Clio-Texte, il y a des petites biographies sur Bougainville et La Pérouse.