La crise constitutionnelle de 1962
« Je viens de parler de stabilité du régime républicain. Comment serait-il possible à votre président de ne pas exprimer dès la reprise de nos travaux les sérieuses préoccupations qu’il éprouve quant à l’avenir des institutions de la République ?
Une réforme constitutionnelle est engagée, qui bouleverse les esprits […] le jeu normal des institutions est faussé, la Constitution est violée ouvertement, le peuple est abusé. Ce n’est pas une République qu’on nous propose, c’est au mieux un bonapartisme éclairé.
Que la constitution soit violée, nul doute ne subsiste plus à cet égard depuis qu’a été publié le projet de loi soumis au référendum, depuis qu’a été choisie la procédure non constitutionnelle de l’article 11[…], les juristes de France, le Conseil d’Etat, le Conseil Constitutionnel – chacun le sait aujourd’hui – l’ont condamné. Le projet de loi tendant à une révision constitutionnelle […]ne peut pas être présenté sous couvert de l’article 11 ; mais ils persévèrent néanmoins. […]Je note aussi que ce projet […] modifie plusieurs autres articles de la constitution […] il enlève au président du sénat beaucoup de ses attributions [ en cas d’intérim] […] Le gouvernement ne pourra pas, pendant cette période […] engager sa responsabilité devant l’Assemblée Nationale, risquant de laisser la rue seul arbitre d’un grave conflit éventuel. […]
Dans sa récente allocution télévisée, le Président de la République a dit « j’ai le droit ! » Avec la haute considération due à ses fonctions […] je réponds « Non, monsieur le président de la République, vous n’avez pas le droit, vous le prenez » […].
La question est donc grave. C’est la confusion ou la juste distribution des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaire qui distingue les gouvernements tyranniques des gouvernements libres. Réunir en une seule main, sur une seule tête, tous les pouvoirs, c’est proprement abolir la démocratie ; c’est pourtant ce qu’on demande au peuple français de faire, d’urgence, sans examen, simplement par confiance en un homme.
Je dis : ce n’est pas cela la démocratie. En démocratie, on ne gouverne pas par le monologue. Et surtout on a l’obligation morale, impérieuse de respecter les lois du pays. C’est une règle qui s’impose à tous les citoyens de France, et d’abord, et surtout, au premier d’entre eux, celui qui a la charge de veiller à l’intangibilité de la Constitution. […] C’est pourquoi je m’élève avec force contre la violation de notre charte nationale. »
Gaston Monnerville – discours prononcé le 9 octobre 1962 devant le Sénat (extrait)