La demande de main-d’œuvre dans les industries d’armement
Les ouvriers d’armement, en France dans les arsenaux :
août 1914 : 50’000 75 %
mai 1915 : 313’000 23 %
nov. 1918 : 1’675’000 18 %Exemple de croissance des banlieues industrielles dans le département du Rhône
Vénissieux : 1911 : 4’939 hab..; 1921 : 8’050 hab.
Par contre, dans le village de Vaux-en-Beaujolais :
1911 : 998 hab.; 1921 : 814 hab.
Une main-d’œuvre ni qualifiée ni syndiquée : les ouvriers d’armement en 1918
militaires : 497’000
femmes : 430’000
ouvriers civils : 425’000
moins de 18 ans : 133’000
mutilés : 13’000
étrangers : 108’000
coloniaux : 61’000
prisonniers de guerre : 40’000
in Cahiers du mouvement social, no 2 , 1977.
L’économie de guerre
« Quelques chiffres sur la consommation en équipements. Les armées affrontées utilisent un matériel de plus en plus important. La guerre est devenue industrielle. Pour la seule opération, à objectif limité, de la bataille de la Malmaison (23-26 oct. 1917), concernant un front d’attaque de dix kilomètres, en six jours de préparation, sont tirés 2 millions d’obus de 75, et 800’000 d’artillerie lourde, alimentant 768 pièces de 75, 998 lourdes, courtes et longues ; il faudrait ajouter 232 pièces de tranchée, et les munitions correspondantes. Autre exemple : en 1914, l’armée française dispose de 3’800 pièces de 75 (une pour 670 hommes), de 308 canons lourds de campagne, dont beaucoup sont démodés et de 5’000 mitrailleuses ; l’armée allemande part avec 5’400 pièces d’artillerie de campagne (canons et obusiers légers), 2’020 d’artillerie lourde. En 1918, l’armée française a 4’900 canons de 75, 5’000 canons lourds, 18’000 engins de tranchée à tir courbe, 60’500 mitrailleuses, 2’300 chars légers Renault, 53’800 véhicules automobiles. À la même époque l’armée allemande, pour la seule artillerie de campagne, dispose de 12’000 pièces légères et de 7’850 lourdes. »
Article « Armée (typologie historique) » par Paul Devautour, colonel et professeur honoraire à l’Ecole supérieure de guerre in CD-ROM Encyclopædia Universalis (v. 4), 1998
L’essor des usines Renault
« Le nombre de tours appropriés était tout à fait insuffisant pour la production des obus, des gaines et des fusées qui nous furent demandés au début de 1915. [D’où] des achats de machines-outils en Amérique à des prix exorbitants (…): tours, tours à décolleter, fraiseuses, machines à percer, etc. (…) Dans le milieu de l’année 1915 on nous demanda un nouvel effort pour augmenter nos fabrications de camions, de façon à les porter de 100 unités par mois à 300. Nous fûmes obligés de commander dans ce but un nombre important de machines. En vue de répondre au programme de l’aviation qui avait débuté par la fabrication de 50 moteurs par mois qui nous est poussée à l’heure actuelle à 300 (…), nous avons dû procéder à l’achat de machines à fraiser [et] de machines à rectifier (…). A cause de l’impossibilité de nous approvisionner du matériel qui nous était nécessaire, nous avons fabriqué les machines-outils les plus diverses.
Bien que notre chiffre d’affaires ait été accru dans une proportion considérable, la puissance de production de notre usine est encore supérieure à cet accroissement du chiffre d’affaires car avant la guerre nous n’avions pas d’atelier de forges, nous n’avions pas d’ateliers d’emboutissage, nous n’avions pas de fonderies de fonte et de bronze (…). En conséquence nous étions obligés d’acheter à l’extérieur toutes les marchandises correspondant à ces ateliers.
Documentation archives Renault, in P. Fridenson, Histoire des usines Renault, Seuil, 1972.
PRODUCTION DE RENAULT (FRANCE)
1913 – 1918
Voitures : 1484 – 553
Camions : 174 – 1793
Chars d’assaut : 0 – 750
Moteurs d’avions : 0 – 5000
Obus de 75 et de 155 : 0 – 2 millions
Taille des usines : 11,5 ha – 34 ha
(Un hectare équivaut à 10’000 m2)
Chiffres tirés de Lambin (s.d.), Histoire-géographie, initiation économique, Paris, Hachette, 1995, p. 23
Alexis Berthomien a survécu à la Grande Guerre. Entre 1914 et 1918, il écrivait souvent à sa femme Marie-Robert, qu’il avait épousée, en juin 1914, à Trémouilles, petit village de l’Aveyron, deux mois avant d’être mobilisé. Il donne ici une certaine vision de l’économie de guerre.
« (…) Quand tu recevras mes cartes, tu l’auras peut-être vu sur les journaux : une belle victoire navale remportée par les Russes sur les Allemands. Ils leur ont coulé trois croiseurs, sept torpilleurs et un grand cuirassé de 22’000 tonnes et ayant à bord mille treize hommes d’équipage. Tu sais que c’est joli ça, ce sont des milliards qui ont coulé au fond de la mer. Et puis ça les empêche de débarquer à Riga, car s’ils avaient pu débarquer des troupes, ils auraient marché sur Saint-Pétersbourg et les Russes étaient perdus. C’est une belle victoire pour les Russes. Je ne t’en dis pas plus long pour aujourd’hui et en attendant toujours de tes chères nouvelles, reçois ma chérie mes meilleures caresses et mes plus doux baisers. Ton mari qui t’aime. »
In GUÉNO, J-P, (s. d.), Paroles de poilus : lettres et carnets du front, 1914-1918, Paris, Librio, 2001, p. 43
L’économie de guerre : l’industrie automobile au service de la Défense nationale.
« L’auteur de l’intéressant article qu’on va lire était, avant la guerre, l’un des plus assidus collaborateurs de La Science et la Vie. Mobilisé depuis le début des hostilités, comme d’ailleurs la presque totalité du personnel de cette revue, il a pu faire trêve un instant, à ses occupations militaires pour traiter un sujet qu’il possède dans ses moindres détails. Il ne s’est point cru autorisé à signer cet article, dont la valeur documentaire sera, nous en sommes convaincus, appréciée de tous nos lecteurs.
On peut affirmer que personne, avant l’ouverture des hostilités n’avait pu prévoir quelle énorme consommation de projectiles de tous calibres entraînerait l’emploi intensif de l’artillerie à tir rapide. Si on se borné aux pièces de campagne proprement dites, des calibres de 75 et de 105, on peut estimer leur nombre à 3.000 sur le seul front français pour environ 50 corps d’armée. Le 75 tire 20 obus à la minute ; donc, une batterie de quatre pièces consomme environ cinq mille projectiles à l’heure.
Dès la bataille de la Marne, l’approvisionnement d’obus était fortement diminué et il fallut résoudre, tout en combattant, le redoutable problème de l’alimentation des batteries de campagne en obus de 75. Les arsenaux militaires n’étant susceptibles de produire qu’une petite fraction de la quantité de projectiles nécessaire, on ne pouvait compter que sur l’aide de l’industrie privée pour rétablir un équilibre indispensable entre la fabrication et la consommation, équilibre dont dépendait la victoire des armées alliées.
Nos plus célèbres constructeurs d’automobiles fabriquent aujourd’hui des munitions et ont répondu avec un patriotique empressement à l’appel du gouvernement. L’un d’eux a même créé de toutes pièces une immense usine modèle en vue de la fabrication des shrapnells de 75 et a fait un prodigieux effort pour mettre debout, en trois mois, des ateliers capables de fournir 1.000 shrapnells à l’heure. Les munitions destinées aux canons de 105, 120 et 155 sont fabriquées également dans nos usines d’automobiles, mais avec moins de facilité que l’obus de 75, évidemment plus léger et obtenu sans forgeage.
Il faut espérer qu’entraînés par ce noble exemple, tous les constructeurs dont les ateliers peuvent être utilisés pour les besoins de la guerre solliciteront en masse l’honneur de collaborer à cette oeuvre patriotique de la défense.
L’outillage initial des usines existantes était insuffisant et il a fallu installer des séries d’énormes tours à outils multiples, de perceuses, de presses puissantes (300 à 400 tonnes) destinées à l’ogivage des projectiles. Quand on songe aux difficultés que crée l’état de guerre pour toutes choses, on se rend compte de la reconnaissance que le pays devra aux chefs des usines de construction automobile qui n’ont pas reculé devant l’immense effort qu’exigeait la création d’organisations nouvelles. Plus tard, nous dirons le rôle de chacun et la France pourra être fière de l’oeuvre accomplie grâce à l’initiative géniale de certains de nos grands fabricants d’automobiles.
Avant 1900, les seuls ateliers civils capables de coopérer à cette patriotique besogne étaient les usines s’occupant de la construction des locomotives, des machines à vapeur, des turbines, etc… La fabrication des obus de petit calibre exige, en effet, une quantité considérable de machines-outils susceptibles de forer rapidement les projectiles et de les tourner avec une grande précision.
Depuis quinze ans, l’avènement de l’industrie automobile a pourvu la France d’un grand nombre d’usines puissamment outillées en vue de la construction intensive des moteurs à essence. En 1914, plus de cent mille ouvriers étaient occupés en France dans les ateliers des constructeurs d’automobiles. Le tour, l’alésoir, la machine à percer sont les machines-outils les plus répandues dans ces usines et ces outils sont précisément ceux que l’on utilise le plus pour la fabrication des petits obus.
Dès le mois de novembre 1914, se dessinait un immense mouvement dont l’initiative avait été prise a Paris par les chefs des plus grandes maisons de construction d’automobiles. Il s’agissait de décupler la production d’obus, tout en conservant les ateliers qui fournissaient aux armées les camions mécaniques, les moteurs d’aviation et les auto-canons, dont elles faisaient une extraordinaire consommation.
Le problème était le suivant : étant donnée une usine ou une importante fraction d’usine, consacrée en temps de paix à la construction des véhicules automobiles, la transformer rapidement et sûrement en un arsenal capable de produire journellement plusieurs milliers d’obus de 75, de 90 ou de 105.
Les ateliers d’automobiles sont, en général, disposés de telle manière que les matières entrant par une extrémité forme de tôles, de profilés ou de rondins d’acier, en sortent par l’autre sous forme de voitures ou de camions. Pour transformer en obus des barres ou rondins d’acier la marche était différente et on a commencé, dans chaque atelier transformé, par adopter une disposition de machines-outils correspondant aux nouvelles opérations qu’il s’agissait de faire subir aux barres pour produire non pas des pièces d’automobiles, mais des obus. On a du éliminer les fraiseuses, les raboteuses et, en général, tous les outils qui ne pouvaient être utilisés dans la nouvelle fabrication, soit directement, soit après une légère transformation. En effet, un certain nombre de fraiseuses ont pu être employées comme alésoirs ou comme perceuses.
Dans la plupart des usines de construction d’automobiles, les machines-outils sont commandées par des renvois de mouvement actionnés par des transmissions générales parallèles, mues électriquement. On peut donc, sans trop de frais, changer rapidement les outils de place et leur donner, dans l’atelier, la disposition particulière que réclame une fabrication déterminée.
Le personnel des usines d’automobiles ayant été presque entièrement mobilisé au 2 août 1914, l’effectif nécessaire pour la fabrication des obus a été constitué péniblement. Des usines occupant 6.000 ouvriers avaient vu ce nombre se réduire en quelques jours à 800 travailleurs. Il s’agissait donc de faire coopérer à un but unique les quelques centaines d’ouvriers non mobilisés, les étrangers embauchés, les mobilisés rappelés du front et les femmes, auxquelles on a fait appel pour toutes les opérations peu fatigantes de la fabrication ou de la vérification.
On peut juger de l’importance des efforts accomplis, si l’on admet que chaque ouvrier produit en moyenne par jour trois obus susceptibles d’être envoyés sur le front. Il faut donc occuper 5.000 ouvriers si l’on veut livrer 15.000 obus par journée de vingt-quatre heures. Il s’agit, dans l’espèce, d’obus non chargés, les opérations de chargement ayant lieu dans certains dépôts ou arsenaux de l’Etat. (…) »
Colonel XXX « La Science et la Vie » Septembre 1915 (extrait)
Les fabrications de guerre
« M. Albert Thomas autorisait la semaine dernière la visite de plusieurs de nos grandes usines de guerre.
L’impression la plus vive fut peut-être celle que nous donna l’usine de Lyon, usine improvisée dans les bâtiments de l’exposition… Grâce à un outillage ultramoderne acheté en Amérique, le rendement atteint un chiffre considérable…
Au Creusot… la variété de fabrication est en quelque sorte illimitée : obus pour la Russie… obus à explosif de 75, projectiles d’artillerie lourde… De puissantes installations en cours d’achèvement permettront bientôt de fournir un nombre triple de certains gros obus…
A Saint-Chamond, » Les Forges et Aciéries de la Marine « … ont su adapter leur outillage à de nouvelles fabrications… »
in : L’Illustration du 21 août 1916
La guerre économique : le rôle croissant de l’État.
W. RATHENAU évoque son action sur l’économie allemande :
« D’un côté cela signifiait un pas dans la direction du socialisme d’État, car le commerce n’était plus libre, il subissait une réglementation. D’autre part cela signifiait une tentative d’encourager l’auto-administration ; ce qui ne signifiait pas la liberté illimitée – La K.R.A. Kriegsrohstoff Abteilung : Office des matières premières. fut établie sous une stricte supervision gouvernementale. Les Offices servaient les intérêts du public en général : ils ne distribuaient ni profits ni dividendes… Leurs Comités de coordination servaient d’intermédiaire entre les sociétés représentant le capitalisme et le gouvernement. Tout cela constituant une innovation qui pouvait être acceptable à l’avenir. »
D’après W. Rathenau.
Le libéralisme économique est également mis à mal en Angleterre :
« Lors du grand remaniement qui vient de se faire en Angleterre quand s’est constitué ce cabinet de coalition nationale … Lloyd George * a quitté le Ministère des Finances … pour devenir ministre des fournitures de guerre… Le ministre compte avant tout sur la bonne volonté, sur le patriotisme des industriels britanniques. Il leur a cité l’exemple de la France où de nombreuses usines se sont mises à fabriquer des obus. Mais… Lloyd George n’a pas craint de rappeler les pouvoirs dictatoriaux du gouvernement… C’est au fond la question des munitions qui fut une des principales causes de la reconstitution du cabinet. »
in L’Illustration du 12 juin 1915
En France, tout le ravitaillement devient une affaire de gouvernement :
« Nous sommes dans une lutte qui prend le caractère d’une guerre d’usure où les questions de crédit, de change, d’approvisionnement en vivres et en matières premières prennent une importance égale à celle des effectifs…
D’ici quelques jours, il n’y aura plus qu’un ravitaillement unique qui pourvoira à la fois aux besoins civils et aux besoins militaires… Il n’est plus possible aujourd’hui que les achats à l’extérieur passent par le commerce libre, Toute importation sera contrôlée par l’État Il faut que le rationnement soit égal pour tous. Pour cela il faut établir des réglementations appropriées. »
Discours de Maurice Long, ministre du Ravitaillement dans le ministère Painlevé, cité dans , L’Illustration du 13 octobre 1917
L’appel au portefeuille
« Les Creusotins, dès le premier appel de la Patrie ont offert leurs forces et leur vie, et toujours sur le champ de bataille, ils ont fait bravement leur devoir. Puis ils ont tous apporté leur or lorsque cet or a été nécessaire. Aujourd’hui… ils se lèveront en masse au nouvel appel du pays et toutes leurs économies, toutes leurs réserves, modestes et grandes, sans restriction aucune, seront confiées à la France. »
Appel du maire du Creusot pour l’emprunt de 1915
L’épuisement de l’Allemagne
« Le ministre du commerce déclare [le 4 septembre 1917]: » De ce qui vient d’être dit il résulte que la situation s’est détériorée par rapport à l’année dernière, non pas du point de vue militaire, mais du point de vue économique. La situation financière s’est également sérieusement détériorée… Plus la guerre dure, plus la position du gouvernement devient difficile face aux revendications du Reichstag pour l’établissement du régime parlementaire. La guerre est devenue une guerre économique, elle est conduite dans cet esprit notamment par l’Angleterre et, il ne faut pas se le dissimuler, avec succès. Notre commerce extérieur est anéanti, notre flotte de commerce sérieusement diminuée, nos stocks de matières premières réduits à rien. «
J. Bariéty, L’Allemagne et les problèmes de la paix, PUF, 1969.