» En Italie, après la chute de Pie IX, après la chute de Charles-Albert, après la parole sortie de Rome, il n’existe plus, il ne peut plus exister, je me plais à le répéter, qu’un seul parti : le PARTI NATIONAL.

Et la foi politique de ce parti national est contenue dans les principes suivants.

L’Italie veut être une NATION, et nation UNE, non de l’unité napoléonienne, non de la centralisation administrative exagérée, qui annule au bénéfice d’une capitale et d’un gouvernement la liberté des membres ; mais de l’unité d’un pacte, de l’unité de relations internationales, d’armées, de codes, d’éducation, de l’unité en harmonie avec l’existence de régions circonscrites par des caractères locaux et traditionnels. [Mais] l’autonomie des Etats actuels est une erreur historique. Ce n’a point été par leur vitalité propre et spontanée que les Etats se sont formés, mais par l’arbitrage d’une domination étrangère ou locale. La confédération entre des Etats ainsi constitués étoufferait toute la puissance de la mission italienne en Europe, habituerait les esprits à de funestes rivalités, fortifierait les ambitions, et entre celles-ci et les influences inévitables des divers gouvernements étrangers, détruirait tôt ou tard la concorde et la liberté.

L’Italie veut être une nation d’hommes égaux et libres, une nation de frères associés à l’oeuvre du progrès commun. Le problème italien, comme celui de l’humanité, est un problème d’éducation morale. L’Italie veut que tous ses enfants deviennent progressivement meilleurs. Elle vénère la vertu et le génie, non la richesse ou la force, elle veut des instituteurs et non des maîtres, le culte du vrai, non du mensonge ou du hasard. Elle croit en Dieu et au peuple ; non au pape et aux rois. Et pour que le peuple soit, il faut qu’il conquière par l’action et le sacrifice la conscience de ses devoirs et de ses droits. L’indépendance, c’est-à-dire la destruction des obstacles intérieurs et extérieurs qui s’opposent à la constitution de la vie nationale, doit donc s’obtenir non seulement pour le peuple, mais par le peuple. La guerre par tous, la victoire pour tous.

Il est temps, ô jeunes gens, de comprendre combien est grande, religieuse et sainte l’oeuvre que Dieu vous confie. Elle ne saurait s’accomplir par les voies tortueuses des intrigues de cour, ni par les mensonges de doctrines arrangées pour les besoins du moment ; ni par des pactes destinés à être rompus par les contractants aussitôt l’occasion propice, mais seulement par la longue pratique, et par l’exemple vivant donné aux multitudes, d’une vertu austère, par les sueurs de l’âme et les sacrifices du sang (…). Repoussez sans pitié les petits Machiavel d’antichambre, les diplomates en expectative qui s’insinuent dans vos rangs pour vous murmurer aux oreilles des projets de cours amies, de princes émancipateurs ; que peuvent-ils désormais vous donner, sinon de ridicules illusions, propres à briser l’unité du parti national et à faire germer la corruption. Il y a deux ans, ils tenaient entre leurs mains toutes les forces, toute l’âme de la nation, un roi en qui la multitude saluait le conquérant de l’indépendance, un pape en qui la multitude vénérait l’initiateur de la liberté ; et ils vous ont donné l’armistice Salasco et la défaite de Novare : ruine et honte !

La guerre royale a donné un grand enseignement aux Lombards et imposé au Piémont une sévère obligation.

Les Lombards savent aujourd’hui que le secret de leur émancipation est pour eux un problème de direction. S’ils n’avaient pas, par aveugle vénération pour une apparence de force, mis les traîtres dans leur propre cause – s’ils s’étaient fiés plus à l’Italie qu’au roi du Piémont – si au lieu de confier le mandat de la guerre à une coterie de courtisans, ils l’avaient conféré à des hommes comme ceux qui avaient dirigé l’insurrection, ils auraient triomphé. Tôt ou tard, les journées de mars peuvent et doivent se renouveler. Qu’ils se souviennent alors de l’enseignement.

Les Piémontais ont l’obligation de prouver à l’Italie et à Europe qu’ils sont des Italiens et non les serviteurs d’une famille de rois. Qu’ils ont marché pour combattre dans les plaines de la Lombardie, non comme les instruments aveugles des volontés ambitieuses d’un homme ou de quelques intrigants, mais comme les apôtres armés de la création d’un Peuple, de la liberté de la patrie. Ils ont l’obligation de dire à leurs frères hésitants : c’est nous qui sommes l’épée de l’Italie. Que leur drapeau soit celui de vingt-six millions d’hommes libres ; que leur cri à la rescousse soit ROME et MILAN, UNITÉ et INDÉPENDANCE ; que leur armée soit la première légion de l’armée nationale. Bien grande sera cette gloire, comparée à celle d’être un fragment royal sans base et sans avenir, sans cesse oscillant, grâce à de faibles ou à de pervers gouvernants, entre les menaces de l’Autriche et le joug des jésuites !

Que la Lombardie et le Piémont payent leur dette. Rome et l’Italie ne failliront pas à l’entreprise. »

in MAZZINI, République et royauté en Italie. Aperçus historiques et documents relatifs à l’insurrection lombarde et à la guerre royale, Paris, 1850, pp150-158.