« Mais, mon très cher ami, toute la difficulté gît précisément là : je ne veux ni l’assentiment des princes à « ce » choix, ni « cette » couronne impériale. Comprenez-vous les mots soulignés ?
Je vais vous mettre cela en pleine lumière, aussi brièvement et aussi vivement que possible. D’abord « cette » couronne n’est pas une couronne. La couronne que pourrait prendre un Hohenzollern [dynastie des rois de Prusse], si les circonstances permettaient que cela fût possible, ce n’est pas, même avec l’assentiment des princes, la couronne fabriquée par une assemblée d’un germe révolutionnaire, une couronne « dans le genre de la couronne des pavés de Louis-Philippe » [allusion aux événements de juillet 1830 à Paris] ; c’est la couronne qui porte l’empreinte de Dieu, la couronne qui fait souverain par la grâce de Dieu celui qui la reçoit avec le saint-chrême [huile consacrée], la couronne qui fait rois des Allemands par la grâce de Dieu plus de trente-quatre princes et qui associe toujours le dernier oint du Seigneur à l’antique lignée qui le précède. La couronne qu’ont portée les Othon, les Hohenstaufen, les Habsbourg [trois dynasties qui ont donné des empereurs du Saint-Empire romain germanique], un Hohenzollern peut la porter, cela va sans dire ; elle est pour lui une surabondance d’honneur, un rayonnement de mille années d’éclat.
Celle-là au contraire, celle dont vous vous occupez (…) pour votre malheur, elle est déshonorée surabondamment par l’odeur de charogne que lui donne la révolution de 1848, la plus niaise, la plus sotte, la plus stupide, et non pas cependant, Dieu soit loué, la plus criminelle des révolutions de ce siècle. Quoi, cet oripeau, ce bric-à-brac de couronne pétri de terre glaise et de fange, on voudrait la faire accepter à un roi légitime, bien plus, à un roi de Prusse qui a eu cette bénédiction de porter, non pas la plus ancienne, mais la plus noble des couronnes royales, celle qui n’a été volée à personne ? [le duché de Prusse est devenu royaume en 1701] »
Extrait de Frédéric-Guillaume IV, « Correspondance », cité dans « Les Mémoires de l’Europe », Paris, R. Laffont, 1972, t. V, p. 209