Un conquistador
« Il y avait parmi les compagnons de Pizarre un Grec, nommé Pierre de Candie, homme fort et bon chrétien. Il revêtit une cotte de mailles qui lui descendait jusqu’aux genoux ; il coiffa un casque, il ceignit son épée, prit un bouclier d’acier et, dans sa main droite, une croix de bois qui mesurait bien trois pieds de long, laquelle lui paraissait arme plus sûre que toute autre. Ainsi équipé il descendit à terre. Et il s’en fut vers la ville, levant haut la tête, comme s’il était le maître souverain de cette terre qu’il foulait pour la première fois. Les Indiens s’étonnèrent fort de voir avancer ce grand homme barbu et couvert de fer, car ils n’avaient jamais vu être semblable. »
Extrait de Garcilaso de la Vega, Commentaires royaux, 1609. In Histoire Géographie, initiation économique 5e, Paris, Hachette, 1995
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L’Evangile présenté à Atahualpa
« Il entrait toujours du monde dans la place : un chef indien de l’avant-garde monta à la forteresse où était l’artillerie, et leva deux fois une lance comme pour donner un signal. dès que le gouverneur le vit, il demanda à frère Vincent de Valverde s’il voulait aller parler à Atahualpa avec un truchement : celui-ci y consentit et s’avança en tenant un crucifix d’une main et la Bible de l’autre. Il passa au milieu des Indiens, parvint jusqu’à Atahualpa, et s’exprima ainsi par la voix de son interprète : » Je suis un prêtre de Dieu ; j’enseigne aux chrétiens les choses du Seigneur, et je viens les enseigner à vous aussi ; j’enseigne ce que Dieu nous a appris et ce qui est contenu dans ce livre. C’est en cette qualité que je te prie, de la part de Dieu et des chrétiens, d’être leur ami, car Dieu le veut, et tu t’en trouveras bien. Va parler au gouverneur qui t’attend. » Atahualpa demanda qu’on lui donnât le livre pour le voir, et on le lui remit fermé. Comme il ne pouvait pas l’ouvrir, le religieux étendit le bras pour lui montrer comment il fallait s’y prendre. Atahualpa lui donna avec dédain un coup sur le bras, ne voulant pas le permettre ; et en s’efforçant de l’ouvrir il y réussit. Il ne s’étonna pas de voir les caractères ni le papier, comme les autres Indiens et il le jeta à cinq ou six pas de lui. Il répondit avec beaucoup d’orgueil et en ces termes au discours que le moine lui avait fait entendre par le truchement : » Je suis bien instruit de ce que vous avez fait sur votre route, et comment vous avez traité mes caciques et pillé les maisons, Le frère Vincent lui répondit : » Les chrétiens n’en ont pas agi ainsi ; quelques Indiens ayant apporté des effets sans que le gouverneur en fût instruit, il les a renvoyés. » » Eh bien ! reprit Atahualpa, je ne bougerai pas d’ici que vous ne m’ayez tout rendu. » Le religieux retourna près du gouverneur avec cette réponse. Atahualpa se leva sur sa litière, et exhorta les siens à se tenir prêts. Le frère Vincent raconta au gouverneur ce qui s’était passé avec Atahualpa, et qu’il avait jeté à terre la sainte Écriture. »
Extrait de Francisco de Jérez, La Conquête du Pérou, éd. A. M. Métaillé, 1982
Cité dans CHALIAND Gérard, Anthologie mondiale de la stratégie : des origines au nucléaire, Paris, Laffont (coll. Bouquins), 2001.
récit plus complet et capture d’Atahualpa
Capture d’Atahualpa
Francisco Jerez était le secrétaire de Francisco Pizarro. C’est à Cajamarca qu’il écrivit la Conquête du Pérou et la rencontre célèbre du conquistador et de l’Inca Atahulapa (Atabalipa dans le texte).
« Le gouverneur voyant que le soleil allait se coucher, qu’Atabalipa ne bougeait pas et qu’il sortait toujours des trompes de son camp, lui envoya dire par un Espagnol d’entrer dans la place, et de venir le voir avant qu’il fût nuit. Quand le message fut en présence d’Atabalipa, il le salua et lui fit signe de se rendre près du gouverneur ; aussitôt le prince se mit en marche avec ses gens. (…) Dès que l’avant-garde commença à entrer dans la place, une troupe d’Indiens, couvert d’une espèce de livrée de diverses couleurs disposées comme les cases d’un échiquier, marchait en tête pour balayer la route. Après eux venaient en chantant et en dansant trois autres pelotons vêtus d’une façon différente, puis une multitude de gens couverts d’armures, portant des couronnes d’or et d’argent. Au milieu d’eux était Atabalipa, dans une litière garnie de plumes de perroquets de toutes sortes de couleurs, et enrichie de lame d’or et d’argent . Un grand nombre d’Indiens le portaient sur leurs épaules ; deux autres litières et deux hamacs, dans lesquels étaient les personnages principaux, le suivaient. Une multitude de gens divisés en colonnes marchaient ensuite, et portaient des couronnes d’or et d’argent. (…) Quand Atabalipa fut arrivé au milieu, et fit arrêter tout le monde, et il ordonna que l’on continuât de tenir élevée sa litière et les autres. (…) Dès que le gouverneur le vit, il demande a frère Vincent de Valverde s’il voulait aller parler à Atabalipa avec un truchement : celui-ci y consenti (…), et s’exprima ainsi par la voix de son interprête : ‘’ Je suis un prêtre de Dieu ; j’enseigne aux chrétiens les choses du Seigneur, et je viens les enseigner à vous aussi ; j’enseigne ce que Dieu nous a appris et ce qui est contenu dans ce livre. C’est en cette qualité que je te prie, de la part de Dieu et des chrétiens, d’être leur ami, car Dieu le veut, et tu t’en trouveras bien. Va parler au gouverneur qui t’attend .’’ Atabalipa demanda qu’on lui donnât le livre pour le voir, et on lui remit fermé (…).Il ne s’étonna pas de voir les caractères ni le papier, comme les autres Indiens, et il le jeta à cinq ou six pas de lui . Il répondit (…):‘’ Je suis bien instruit de ce que vous avez fait sur votre route, et comment vous avez traité mes caciques et pillé les maisons .’’ Le frère Vincent lui répondit : ‘’ Les chrétiens n’en ont pas agi ainsi : quelques Indiens ayant apporté des effets sans que le gouverneur en fût instruit, il les a renvoyés ‘’ – ‘’ Eh bien ! reprit Atabalipa, je ne bougerai pas d’ici que vous ne m’ayez tout rendu. ‘’ (…) Le frère Vincent raconta au gouverneur ce qui s’était passé avec Atabalipa, et qu’il avait jeté à terre la sainte Ecriture. A l’instant même Pizarre revêtit une cuirasse rembourée de coton, (…) traversa au milieu des Indiens avec les Espagnols qu’il avait gardés près de lui, (…), il parvint jusqu’à la litière d’Atabalipa, puis sans la moindre craintes il lui saisit le bras gauche en s’écriant :’’Santiago !’’ (…) on entendit (…) le son des trompettes : toute la cavalerie et les fantassins sortirent. Dès que les Indiens virent galoper les chevauy, tous quittèrent la place, et (…) un grand nombre tombèrent les uns sur les autres. Les cavaliers passèrent sur eux en les tuant et en les blessant (…). Le gouverneur tenait toujours Atabalipa par le bras, ne pouvant pas le tirer en bas de son bancard parce qu’il était t rop élevé. Les Espagnols tuèrent assez de porteurs pour que la litière tombât, et le gouverneur avait protégé Atabalipa, (…). En le défendant il fut légèrement blessé à la main. (…) Tous ceux qui composaient la garde d’Atabalipa étaient des gens de distinction. Le gouverneur retourna à son habitation avec son prisonnier, dépouillé de ses vêtements que les Espagnols lui avaient arrachés en essayant de le faire descendre de sa litière. C’est une chose merveilleuse de voir un prince si grand et si puissant fait prisonnier en si peu de temps. (…) ; il le fit habiller, et le consola (…), il lui dit : ‘’ Ne sois pas honteux d’avoir été vaincu et fait prisonnier : les chrétiens que je conduis sont il est vrai un peu nombreux, (…) mon maître est le roi d’Espagne et du monde entier. Nous sommes venus par son ordre conquérir ce pays pour que tous aient la connaisance de Dieu et de la sainte foi catholique (…). Nous sommes venus pour que tu apprennes à connaître le Seigneur, et que tu abandonne cette existence diabolique et brutale dans laquelle tu vis. (…) Quand tu connaîtras l’erreur dans laquelle tu as vécu, tu sauras combien il est avantageux pour toi que nous soyons venus (…). Nous traitons avec humanité nos ennemis vaincus ; nous ne faisons la guerre que quand ils nous attaquent, et , (…) nous leur pardonnons. Lorsque je tenais en mon pouvoir la cacique de l’île , je l’ai remis en liberté , afin qu’il se conduisît bien à l’avenir . (…) Si nous nous sommes emparés de ta personne, et si nous avons tué tes gens, c’est parce que tu es arrivé avec une armée nombreuse quand nous t’avions fait prier de te présenter en ami, c’est parce que tu as jeté par terre le livre qui contient la parole de Dieu. […]‘’ Atabalipa répondit […] : ‘’ Mes officiers m’ont trompé, […], mon intention était de venir en ami, ils n’ont pas voulu y consentir. Tous ceux qui m’ont donné conseil ont été tués. J’ai bien vu la bonté et le courage des Espagnols, et que Mayzabilica les a calomniés.’’ »
Francisco Jerez, La Conquête du Pérou, A.M. Métailié 1982.
Tiré du livre : Carmen BERNAND, « Les Incas Peuple du Soleil », pp. 130- 133, 1998.
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Nouveautés des armes européennes
Pendant toute l’action aucun Indien ne fit usage de ses armes contre les Espagnols, tant fut grande leur épouvante en voyant Pizarro au milieu d’eux, le galop des chevaux, et en entendant tout à coup les décharges de l’artillerie. C’étaient des choses nouvelles pour eux, et ils cherchaient plutôt à s’enfuir qu’à combattre. »
Extrait de Francisco de Jérez, La Conquête du Pérou, éd. A. M. Métaillé, 1982.
Cité dans CHALIAND Gérard, Anthologie mondiale de la stratégie : des origines au nucléaire, Paris, Laffont (coll. Bouquins), 2001.
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Le manque de main d’œuvre au Pérou à la fin du XVIe s.
« Comme le principal capital et la principale richesse de ce Royaume consistent dans le service des Indiens, personne n’est satisfait du nombre de ceux qu’il a reçus par la voie de la répartition légale, et les plus démunis ou les plus déçus cherchent à s’en procurer par voie de négociations avec les caciques * et avec les représentants de la Justice, sans se faire scrupule, quelquefois, de recourir à des moyens malhonnêtes. »
* Chef indien en Amérique.
Rapport sur le Potosi du vice-roi D. Luis de Velasco.
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Les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole (1530-1570).
« Ils disaient qu’ils avaient vu arriver dans leur pays des êtres très différents de nous, tant par les coutumes que par le vêtement : ils ressemblaient à des «Viracochas», nom par lequel nous désignions, jadis, le Créateur de toutes choses… Et ils appelèrent ainsi les êtres qu’ils avaient vus d’une part parce qu’ils différaient beaucoup de nous, de visage et de costume, d’autre part parce qu’ils les voyaient chevaucher de très grands animaux aux pieds d’argent : cela à cause de l’éclat des fers. Et ils les appelaient ainsi, également, parce qu’ils les voyaient parler à loisir au moyen de draps blancs, comme une personne parle avec une autre : et cela à cause de la lecture des livres et des lettres. Ils les appelaient «Viracochas», encore, à cause de leur aspect remarquable ; il y avait de grandes différences entre les uns et les autres : certains avaient une barbe noire, d’autres une barbe rousse. Ils les voyaient manger dans des plats d’argent. Et ils possédaient aussi des Yllapas, nom que nous donnons à la foudre : et cela à cause des arquebuses, parce qu’ils croyaient qu’elles étaient le foudre du ciel. »
La revolte inca 1 par burgerman
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Lettre de Tupac Amaru
Tupac Amaru, le dernier Empereur des Incas, s’adresse à son peuple juste après sa capture suivi de son emprisonnement, en 1572. Lorsqu’il a écrit cette lettre, Tupac se trouvait emprisonné à Cuzco.
« Mes frères,
A l’instant même où l’encre de ma plume noircit ces feuillets orphelins, le soleil décroît, jetant sur les cieux d’amples tentures safranées. Notre soleil saigne, profondément meurtri. C’est ici le brûlant signe du déclin de notre grande civilisation. Mes frères. Héritiers de la gloire Inca. Peuple ardent et fier. Attestez de ces mots. Soyez témoins de mes peines.
La dernière lune en a été le berceau. J’ai vu mon peuple tomber. Alors que les clartés de l’aube perçaient l’horizon de nacre, nous avons entendu le sifflement du métal et les effluves âcres qu’ils dégageaient. Ils étaient là, ces grands visages pâles et menaçants, porteurs du vice et de la maladie. Nous ne comprîmes pas. Juchés sur d’imposants animaux bruns, ils se dirigeaient vers nous à une vitesse impressionnante. Étaient-ce leurs dieux qu’ils montaient ? Les utilisaient-ils pour répandre la mort ? Si tel était le cas, je me devais de mettre un terme à ce massacre. Mes hommes, mes frères, mon peuple ! Tous tombaient, un à un, faisant ruisseler sur la terre, notre mère, des cascades pourpres… J’insistai pour les rejoindre dignement dans la mort mais les visages pâles me désiraient vif. J’étais leur ultime récompense. Ces lois barbares s’appliquaient-elles en leurs contrées reculées ? Tuait-on tous les peuples hébétés que l’on découvrait ? Ils m’ont enfermé ici, chaque jour tuant, pillant, brûlant et allumant par là même l’ire flamboyante de nos Dieux qui empourpraient les cieux. Sans doute me réservent-ils un sort terrible mais rien, non rien, n’est pire que la captivité. Ces hommes ont violé nos femmes, brûlé nos terres, annihilé notre civilisation et reconstruit sur ses cendres un monde perverti par le métal jaune si abondant en nos souterrains. Nous n’y touchons pas, il est le produit d’une terre riche, saine. Aujourd’hui, mes frères travaillent nuit et jour dans ces tombeaux arides pour en extraire d’insignifiantes paillettes… Ils suffoquent pour servir les Blancs. Ceux-ci ont également apporté, dans leurs étoffes, la maladie qui me ronge depuis maintenant six jours. En même temps que le soleil, c’est mon cœur qui pleure des larmes de sang. C’en est fini. Tout est fini.
Et pourtant, mes frères, pour vous tout commence. Gardez en votre cœur l’espoir de vos ancêtres. Naissez, vivez, mourez mais guettez le jour où le soleil étendra ses vives lueurs sur vos têtes. Ce jour-là, le deuil de nos Dieux aura pris fin et il sera temps pour vous d’affirmer votre place.
Votre frère, à jamais dans vos cœurs.
Tupac Amaru”
repris de http://historien95.wordpress.com/2009/03/15/mes-chers-freres-lettre-de-tupac-amaru/ (juin 2013)