Pour Kai Bird, auteur, en 1992, d’un important ouvrage sur cette période, The Chairman : John McCloy (1), « cela ressemble à un formidable roman policier ; comment un petit groupe d’hommes a pris une telle décision et réussi à garder le secret pendant plus de trente ans ». Pendant trente ans, pour les Américains, la seule version d’Hiroshima, c’est que le recours à l’arme nucléaire était le seul moyen d’amener les Japonais à se rendre rapidement, d’éviter une invasion du Japon qui aurait coûté la vie à 1 million de combattants américains. Un certain nombre de documents officiels classés secrets, devenus accessibles dans les années 1960, puis la découverte des carnets du président Truman en 1978 ont permis de nuancer ces affirmations et, au moins, de jeter les bases d’un débat sur les motivations des dirigeants de l’époque. Le chiffre de 63’000 vies américaines épargnées, et non pas 1 million, a par exemple été avancé. « Maintenant, ajoute Kai Bird, l’histoire découvre que, en gros, on a menti. Si c’est vrai, alors c’est un crime. Mais nous, les Américains, nous ne nous imaginons pas avec une histoire sanguinaire. Nous avons une histoire glorieuse. Reconnaître que nous avons commis un tel crime serait anti-américain ».

S. Kaufmann, « Les Etats-Unis en guerre avec leur histoire », in Le Monde, 24 mars 1995, p.14.

1) John McCoy, vice-secrétaire à la Guerre de Roosevelt puis de Truman, favorable à l’utilisation de la bombe atomique, après avertissement, pour obtenir la reddition des Japonais.