« Pourquoi l’avons-nous lancée ? Ou, si on suppose que l’usage de la bombe était justifié, pourquoi ne pas démontrer sa puissance dans un essai fait sous les auspices des Nations Unies, essai sur la base duquel on enverrait un ultimatum aux Japonais, renvoyant ainsi la responsabilité aux Japonais eux-mêmes ? Quelle que soit la réponse, une chose semble probable : il n’y avait pas assez de temps entre le 16 juillet, où l’on a vu à New Mexico que la bombe fonctionnait, et le 8 août (pour déclarer la guerre au Japon, comme promis par Staline lors de la conférence de Potsdam), date limite des Russes, pour mettre au point le mécanisme compliqué d’un essai de bombe atomique qui aurait entraîné des problèmes longs à résoudre de préparation d’un endroit désert. Non. Tout essai aurait été impossible si le but était de mettre le Japon par terre avant que la Russie ne s’en mêle, ou du moins avant que la Russie ait pu prendre autre chose qu’une participation de principe à l’écroulement japonais. On pourrait arguer que cette décision était justifiée ; que c’était une application légitime de la politique de puissance dans un monde à l’envers ; que nous avons évité ainsi un combat pour l’autorité au Japon analogue à celui auquel nous participons en Allemagne et en Italie ; que, à moins que nous sortions de cette guerre avec un déséquilibre net de puissance comparée avec la Russie, nous ne pourrions plus arrêter l’expansion russe. »
N. Cousins, T. K. Finletter, Saturday Review of Literature, daté du 15 juin, 1946, cité dans Pierre Milza, Les relations internationales, 1945-1973, Hachette Supérieur, Paris, 1996, p.26.