Cette condamnation ne dure pas puisqu’au tournant du siècle, Jaurès admet l’existence d’une France coloniale qu’il veut humaine
Tête coupée lors de la « pacification » de la Côte d'Ivoire au tournant du siècle

«Nous la réprouvons, parce qu’elle gaspille des richesses et des forces qui devraient être dès maintenant appliquées à l’amélioration du sort du peuple; nous la réprouvons, parce qu’elle est la conséquence la plus déplorable du régime capitaliste, qui resserre sur place la consommation en ne rémunérant pas tout le travail des travailleurs, et qui est obligé de se créer au loin, par la conquête et la violence, des débouchés nouveaux; nous la réprouvons, enfin, parce que, dans toutes les expéditions coloniales, l’injustice capitaliste se complique et s’aggrave d’une exceptionnelle corruption : tous les instincts de déprédation et de rapines, déchaînés au loin par la certitude de l’impunité, et amplifiés par les puissances nouvelles de la spéculation, s’y développent à l’aise; et la férocité sournoise de l’humanité primitive y est merveilleusement mise en oeuvre par les plus ingénieux mécanismes de l’engin capitaliste.»

Jean Jaurès, «Les compétitions coloniales», La Petite République, 17 mai 1896.
«
La première règle pratique, c’est de veiller constamment à ce que les compétitions coloniales des divers peuples ne puissent jamais aboutir entre eux à la guerre. Il faudra pour cela que les socialistes aient le courage, chacun dans sa nation, de blâmer les prétentions excessives. Les socialistes n’y pourront réussir et ne pourront même s’y employer sérieusement qu’en suivant de très près, et pour ainsi dire au jour le jour, le mouvement colonial.

La deuxième règle, pour les socialistes de tous les pays, sera de demander pour les peuples vaincus ou les races soumises de l’Asie, de l’Amérique, de l’Afrique le traitement le plus humain, le maximum de garanties. Qu’il s’agisse des Hindous (sic)Jaurès confond ici les hindous, adeptes de l’hindouisme, et les Indiens, habitants de l’Inde. dominés par l’Angleterre, des Arabes dominés par la France ou des races africaines que se disputent et se partagent tous les peuples de l’Europe, c’est le devoir des socialistes de prendre, dans le Parlement de chaque pays, l’initiative des propositions humaines ou des protestations nécessaires. Cette action socialiste se produira, en chaque pays, avec d’autant plus de force et d’autorité qu’elle sera universelle et universellement probe, et que nul ne pourra y soupçonner un piège.

Enfin, il me semble que les socialistes devraient avoir comme troisième règle de marquer de plus en plus d’un caractère international les principales forces économiques que se disputent avidement les peuples. Il est visible par exemple, à l’heure actuelle, que tous les peuples européens cheminent vers les sources du Nil, parce que la possession du haut Nil et des grands lacs africains donne la maîtrise de l’Egypte et de tout le développement africain : c’est là le secret de tous les efforts, publics ou cachés, de toutes les combinaisons, loyales ou perfides, des peuples européens en Afrique, depuis dix ans surtout; et il est possible que ces rivalités, en s’exaspérant, aboutissent à la guerre. Pourquoi un système de garanties internationales n’assurerait-il pas le libre passage du Nil, de la source à la mer, à toutes les activités, comme on a fait déjà pour le Danube et pour le canal de Suez ?»

Jean Jaurès, La Petite République, 1896.