Une Encyclopédie est un projet éditorial qui a pour ambition de recenser l’ensemble des connaissances et des savoirs accumulés par une société au moment de sa rédaction. C’est aussi une oeuvre par lequel, la plupart du temps à leur insu, les auteurs révèlent les mentalités et les préjugés de leur temps. Le « Dictionnaire Universel du XIXe siècle » de Pierre Larousse n’échappe pas à cette règle.
L’ Encyclopédie de Pierre Larousse [1817-1875] est l’oeuvre d’une vie et le résultat est véritablement colossal : 15 volumes, pour un total de plus de 20.800 pages, parus entre 1866 et 1876. Pierre Larousse est l’âme et le principal artisan du dictionnaire mais il a également fait appel à près de 90 rédacteurs.
L’extrait que nous reproduisons ici fait partie du long article « nègre », dans la partie « anthropol[ogie] » L’auteur, en bon lexicographe, cherche à définir la nature humaine du nègre, nature dont l’étalon est « l’espèce blanche ». Le rédacteur met en évidence les qualités sensorielles et physiques du nègre – c’est à dire l’animalité -, au détriment des capacités intellectuelles : « les nègres ont l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût et le toucher bien plus développés que les blancs. Pour les travaux intellectuels, ils ne présentent généralement que peu d’aptitude, mais ils excellent dans la danse, l’escrime, la natation, l’équitation et tous les exercices corporels ».
On ignore qui a rédigé cet article et quelles sont ses sources. L’esclavage a été abolie sous la seconde République mais il semble bien que « le nègre » qui est décrit ici emprunte beaucoup de traits à la figure traditionnelle de l’esclave des Antilles, devenu pourtant citoyen français en 1848 : « les nègres marrons ou fugitifs », » ils peuvent, dans leurs vengeances, massacrer leurs maîtres, éventrer leurs femmes et écraser leurs enfants ».
Les clichés et préjugés raciaux ont donc la vie dure, d’autant plus quand ils reçoivent la caution « scientifique » d’une Encyclopédie aussi renommée que celle de Pierre Larousse. Ce sont à peu près ces mêmes préjugés et clichés raciaux qui seront recyclés et adaptés pour les besoins de la cause, afin de justifier la colonisation de l’Afrique noire sous la troisième République.
NB : « Essai sur l’inégalité des races humaines » du comte Arthur de Gobineau est publié en 1855 et ses thèses racistes imprègnent l’article « nègre » du dictionnaire universel Larousse.
Extrait de l’article Nègre, esse
[…] Ce que l’on peut affirmer d’une manière certaine c’est que le nègre diffère essentiellement de l’espèce blanche, non seulement par la coloration de la peau et par les différences anatomiques que nous avons déjà signalées, mais encore par ses penchants autant physiques qu’intellectuels. Dans l’espèce nègre, le cerveau est moins développé que dans l’espèce blanche, les circonvolutions sont moins profondes et les nerfs qui émanent de ce centre pour se répandre dans les organes des sens sont beaucoup plus volumineux. De là un degré de perfection bien plus prononcé dans les organes ; de sorte que ceux-ci paraissent avoir en plus ce que l’intelligence possède en moins. En effet, les nègres ont l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût et le toucher bien plus développés que les blancs. Pour les travaux intellectuels, ils ne présentent généralement que peu d’aptitude, mais ils excellent dans la danse, l’escrime, la natation, l’équitation et tous les exercices corporels. Dans les danses, on les voit agiter à la fois toutes les parties du corps; ils y trépignent d’allégresse et s’y montrent infatigables. Ils distinguent un homme, un vaisseau à des distances où les Européens peuvent à peine les apercevoir avec une lunette d’approche. Ils flairent de très loin un serpent suivent souvent à la piste les animaux qu’ils chassent. Le bruit le plus faible n’échappe point à leur oreille ; aussi les nègres marrons ou fugitifs savent très bien découvrir de loin et entendre les blancs qui les poursuivent. Leur tact est d’une subtilité étonnante; mais parce qu’ils sentent beaucoup, ils réfléchissent peu, tout entiers à leur sensualité, ils s’y abandonnent avec une espèce de fureur. La crainte des plus cruels châtiments, de la mort même, ne les empêche pas de se livrer à leurs passions. Sous le fouet même de leur maître, le son du tam-tam, le bruit de quelque mauvaise musique les fait tressaillir de volupté; une chanson monotone, prise au hasard, les amuse pendant des journées sans qu’ils se lassent de la répéter elle les empêche même de s’apercevoir de la fatigue le rhythme du chant les soulage dans leurs travaux, et un moment de plaisir les dédommage d’une année de souffrances. Tout en proie aux sensations actuelles, le passé et l’avenir ne sont rien à leurs yeux; aussi leurs chagrins sont-ils passagers; ils s’accoutument à leur misère, quelque affreuse qu’elle soit. Comme ils suivent plutôt leurs sensations ou leurs passions que la raison, ils sont extrêmes en toutes choses : agneaux quand on les opprime, tigres quand ils sont les maîtres. Capables de sacrifier leur vie pour ceux qu’ils aiment, ils peuvent, dans leurs vengeances, massacrer leurs maîtres, éventrer leurs femmes et écraser leurs enfants sous les pierres. Rien de plus terrible que leur désespoir, rien de plus sublime que leur amitié.
Mais ces excès sont d’autant plus passagers, qu’ils sont portés plus loin. Rien de mobile comme leurs sensations, car leur violence s’oppose à leur durée. […]
Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle par Pierre Larousse, Paris, 1874, pages 903-904
Note : l’orthographe et la syntaxe d’origine ont été respectées.