La colonisation européenne ne fut pas qu’une affaire de conquête pure et dure. Elle a souvent pris la forme de traités ambigus et inégaux. La France élabore à elle seule 226 traités entre 1880 et 1890 mais les Européens ignorent souvent les compétences politiques réelles des responsables africains qui les signent. Quant au statut juridique des territoires concernés, il s’agit souvent d’une terre ancestrale dont la propriété collective ne peut être aliénée. Après un passage des Portugais au XVe siècle, la tentative française de 1687 à Assinie est mise en échec en 1704 par les Provinces-Unies.

C’est en 1842 que le lieutenant de vaisseau Charles-Philippe de Kerhallet signe au nom du roi des Français Louis-Philippe un traité avec Attékéblé, appelé ici « Peter », qui lui apparaît comme un responsable de la lagune de Grand Bassam, en pays akan (Nzema), laquelle inclut le village d’Abidjan. L’influence commerciale britannique dans la Gold Coast voisine explique le prénom chrétien de Peter et l’usage original de l’anglais comme langue du traité. Au vrai, il semble qu’Attékéblé-Peter ne soit pas le roi mais un influent négociant. Le capitaine de corvette Capitaine de corvette : officier supérieur de la marine, équivalant à un commandant. On s’adresse à lui par la formule « mon commandant ». Aujourd’hui « commandant » si c’est une femme puisque « Mon » équivaut à « Monseigneur ». Bouët-Willaumez, qui approuve ultérieurement le traité, est le supérieur pour les côtes occidentales d’Afrique des officiers. C’est lui qui organise entre 1842 et 1848 l’occupation de Grand BassamÀ 43 km d’Abidjan, première capitale de la Côte d’Ivoire coloniale (1893-1900). , d’Assinie et de Dabou.


« Le Roi Peter et les chefs Quachi et Wouaka, considérant qu`il est de leur intérêt d’ouvrir des relations commerciales avec un peuple riche et bon, et de se ranger sous la souveraineté de son puissant monarque, établissent devant témoins soussignés les articles du traité suivant, souscrit entre MM. Charles-Philippe de Kerhallet, lieutenant de vaisseau, commandant la canonnière-brig l’Alouette, et Alphonse Fleuriot de Langle, lieutenant de vaisseau, commandant la canonnière-brig La Malouine, agissant au nom de M. Édouard Bouët, capitaine de corvette, commandant la station des côtes occidentales d’Afrique, et par suite au nom de S. M. Louis-Philippe Ier, Roi des FrançaisRoi des Français et non roi de France. Titre symbolisant depuis 1789 la monarchie constitutionnelle. , leur souverain.

Article Ier. – La souveraineté pleine et entière du pays et de la Rivière du Grand Bassam est concédée au Roi des Français; les Français auront donc seuls le droit d’y arborer leur pavillon et d’y faire toutes les bâtisses et fortifications qu’ils jugeront utiles ou nécessaires en achetant les terrains aux propriétaires actuels. Aucune autre nation ne pourra s’y établir en raison même de la souveraineté concédée au Roi des Français.

ART. 2. – Le Roi Peter et les chefs Quachi et Wouaka cèdent également deux milles carrés de terrain, soit sur les bords de la rivière, soit à la plage, un mille sur l’une, un mille sur l’autre.

ART. 3. – En échange de ces concessions, il sera accordé au Roi et à son peuple protection des bâtiments de guerreBâtiment de guerre : navire de guerre. français. En outre, il sera payé au Roi lors de la ratification du traité :

  • 10 pièces d’étoffes assorties,
  • 5 barils de poudre de 25 livres,
  • 10 fusils à un coup,
  • 1 sac de tabac,
  • 1 baril d’eau-de-vie,
  • 5 chapeaux blancs,
  • 1 parasol,
  • 2 glaces,
  • 1 orgue de barbarie.

Les chefs Quachi et Wouaka auront la moitié des cadeaux accordés au Roi Peter. Lors de l’entrée en possession des deux milles carrés concédés, il sera payé une valeur égale, que le Roi partagera avec les propriétaires actuels dudit terrain, suivant convention faite entre eux.

ART. 4. – Il reste bien entendu que la navigation et la fréquentation paisibles de la rivière et de tous les affluents sont assurées aux Français dorénavant, aussi bien que la traite libre de tous les produits du pays même, comme de ceux qui y sont importés de l’intérieur. Le Roi et toute la population sous ses ordres s’engagent donc à se conduire avec bonne foi à l’égard des Français, à les faire respecter dans leur personne et dans leurs propriétés ou marchandises et alors un présent annuel facultatif sera fait au Roi par le gouvernement ou par les traitantsTraitants : ceux qui pratiquent un commerce. à titre de récompense.

ART. 5. – Si quelque différend s’élevait entre les traitants et les naturelsLes gens du pays. il en serait statuéLa décision serait prise par. par le commandantL’officier commandant un bâtiment de guerre, quel que soit son grade. du premier navire de guerre arrivant dans le pays, lequel ferait prompte justice des coupables de quelque côté qu’ils fussent.

ART. 6. – Les bâtiments de commerceNavires de la marine marchande. seront respectés et protégés. Ils ne seront nullement inquiétés dans leurs relations commerciales et autres; si l’un d’eux faisait naufrage, il serait concédé un tiers des objets sauvés aux naturels qui auraient coopéré au sauvetage.

ART. 7. – Le présent traité aura son cours dès aujourd’hui même, quant à la souveraineté stipulée, sinon les signataires exposeraient leur pays à toutes les rigueurs de la guerre que leur feraient les bâtiments de guerre français dans ce cas. Quant au paiement des marchandises d’échange, il aura lieu, ainsi qu’il est dit art. 3, après la ratification du traité par le Roi des Français. Ledit traité, lu et relu au Roi en français et en anglais, a été fait en double et de bonne foi entre nous, au mouillage de Grand Bassam le 19 février I842 à bord de l‘Alouette.

Le Lieutenant de vaisseauLieutenant de vaisseau : officier subalterne de la marine équivalant à un capitaine. On s’adresse à lui par la formule « mon capitaine », « commandant » s’il commande un petit vaisseau. cdt L’Alouette Ch. de Kerhallet

Le Capitaine au long cours cdt le Brick de Marseille, l’Aigle, Signé Provençal, comme témoin

Le Lieutenant de vaisseau cdt La Malonine, Alp. Fleuriot de Langle

Le roi Peter et les chef Luachi (sic) et Vouaka (sic) ne sachant signer ont fait leur marque

Vu et approuvé, le capitaine de corvette Cdt la station des côtes occidentales d’Afrique Bouët »

Sources : Archives des Affaires étrangères, Mémoire et documents, Afrique, 51, repris dans Henri Brunschwig, Le partage de l’Afrique noire, coll. « Questions d’histoire », Flammarion, p. 109-111 (réédité en 2009). Le traité également disponible sur le site des ANOM, Cote de communication : 40 COL 779, 40 COL 779, Cote d’archives : 40 COL 779, Identifiant ark : ark:/61561/uq106g0235k, https://recherche-anom.culture.gouv.fr/ark:/61561/uq106g0235k/daogrp/0#id:1605867016?gallery=true&center=1254.261,-1334.397&zoom=6&rotation=0.000&brightness=100.00&contrast=100.00 ; on se reportera également à Christophe Wondji, « La Côte d’Ivoire occidentale. Période de pénétration pacifique (1890-1908) », Revue française d’histoire d’Outre-Mer, 1963, p. 180-181 url : https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1963_num_50_180_1381 p346-381 et à Alain Ruscio, « Côte d’Ivoire », Encyclopédie de la colonisation française, vol. 3 : CC, 2017, p. 456 et Hélène d’Almeida-Topor, L’Afrique au XXe siècle, Armand Colin, 1993, p. 14-15.

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