Comme dans d’autres pays du monde (notamment les E.U et plusieurs territoires de l’aire caribéenne), l’imminence d’une invasion italienne de l’Éthiopie déchaîne en 1935 les passions en France.

Le cabinet Laval recherche alors une posture du juste milieu en tenant pour intransigeante et belliqueuse l’attitude britannique vis-à-vis de l’Italie. L’opinion française, jusque-là peu sensible aux questions internationales lointaines, se divise progressivement sur cette question éthiopienne où la race apparaît comme un élément autorisant qu’on déroge aux règles du droit international fondant l’existence de la Société des nations. Les nationalistes républicains et ceux d’Action française souscrivent à l’argument selon lequel l’Éthiopie ne serait justement pas une nation mais un État artificiel né d’un regroupement ethniquement hétérogène de populations restées à l’état barbare. Au quartier latin, les étudiants nationalistes, dont le jeune François Mitterrand, vilipendent le juriste Gaston Jèze coupable de trahison pour avoir pris la défense du roi nègre, au risque d’une guerre qui impliquerait la France. Le thème du roitelet nègre sanguinaire continue d’ailleurs de conforter les contempteurs de l’Éthiopie. La gauche dénonce le fascisme sans éviter les amalgames xénophobes entre fascistes et immigrés italiens. Pour la droite nationale Expression désignant alors l’extrême droite. comme pour les modérésExpression désignant alors le centre-droit conservateur-libéral., il s’agit de préserver la possibilité d’une alliance avec Mussolini en cas de conflit avec l’Allemagne de Hitler : c’est le mythe du front de Stresa.

Le 22 septembre 1935 et dans les jours qui suivent, paraissent dans L’Action française puis sous forme de tracts, les appels de Charles Maurras à découper les noms de 140 parlementaires « bellicistes » afin que ceux-ci puissent y passer les premiers en cas de guerre. Ce texte est l’un de ceux qui inspireront à la libération une législation pénale réprimant les appels au meurtrePrésentation reprise de Dominique Chathuant, Nous qui ne cultivons pas le préjugé de race. Histoire(s) d’un siècle de doute sur le racisme en France, Paris, Le Félin, 2021, p. 115 sq..


En 1935, Ainsi qu’on verra plus loin, les voleurs, deux Lévy, un Cohen, sont libérés. Mais les assassins se déchaînent. Et comment !

Les nouvelles du Conseil des ministres d’hier ne sont pas bonnes. Toutes les rumeurs concordent à faire penser que le parti de la faiblesse et de la Guerre l’a emporté ou va l’emporter à coup sûr. La politique française capitule devant la Société des Nations : Maçonnerie, Juiverie, Angleterre coalisées. Il s’agit d’obliger les Genèvois (sic) à prendre des sanctions. Et, par ces sanctions, il s’agit d’acculer l’Italie à la guerre : non à la guerre coloniale, non à une expédition partielle que tout limite et minimise, mais à la grande guerre, à la guerre au gendarme de la Société des Nations – l’Angleterre – et à tous les pays que l’Angleterre pourra bien recruter, embaucher, entraîner, – le nôtre compris !

C’est le plan incliné de la guerre.

Nous allons y rouler, en toute certitude, si l’on continue à pencher de ce côté-là. À qui la faute ?

La France ne possède aucun chef d’État responsable. La Constitution affranchit le président de la République de toute responsabilité. Reste le chef du gouvernement, président du Conseil, et, solidairement, les autres ministres. Mais, en régime démocratico-parlementaire, les ministres sont les créatures des Chambres. Désignés, en général par elles, renversés par elles, ils sont le reflet d’une opinion parlementaire omnipotente.

– Mais les Chambres sont en vacances !

– L’esprit des Chambres ne l’est pas. Ni la volonté des Chambres. Ni leur tyrannie.

Nous ne savons pas s’il est vrai que, sur l’intervention d’un membre du petit Parlement appelé Conseil des ministres (ce membre s’appelle Herriot), M. Laval s’est résigné à changer le discours qu’il voulait prononcer à Genève, à modifier ce discours dans un sens plus hostile aux libres déterminations du gouvernement italien, dans un sens plus favorable aux exigences insensées de l’Angleterre : cela s’est dit, on peut le redire, personne n’en est sûr. Mais il y a quelque chose dont nous sommes très sûrs : une importante et puissante fraction du Parlement dit français s’est employée, ces temps derniers, à peser sur le pouvoir ministériel si justement appelé « exécutif », pour lui imposer des visées plus ou moins conformes à sa politique de factieux. Nous savons qu’il a couru de main en main à travers les Chambres un Manifeste d’intellectuels ou de prétendus « intellectuels franco-anglais » contre « l’expédition mussolinienne en Éthiopie ».

Nous savons que cette impudente offensive morale contre un peuple ami a reçu les signatures de près de 140 membres du Parlement français. Et nous savons les noms des signataires. Nous le savons si bien qu’en voici une liste :

Ain – Bravet, député.

Basses-Alpes – Baron, député.

Ardeche – L. Salles, député.

Ardennes – M. Voirin, député.

Ariège – P. Lamont, sénateur.

Aube – F. Gentin, E. Brachard, F.. Robert, députés ; – A. Israël, sénateur.

Aude – Docteur H. Gout,, député.

Bouches-du-Rhône – T. Ambrosini, F. Gouin, députés; Léon Bon, sénateur.

Cantal – H. Fontanier, député ; Damier, sénateur.

Charente – L. Fags, G. Menier, députés.

Charente-Inférieure – J. Selafer, E. Pouzet, députés; Pierreau, sénateur.

Corse – Campinchi, député.

Côtes-du-Nord – Y. Le Gac, M. Geistdœrfer, députés.

Côte-d’Or. – P. Gruet, R. Jardillier, députés.

Creuse – Bénassy, député.

Cher – Castagnez, A.-J.-L. Breton, députés.

Dordogne – M. Michel, sénateur; Simounet, M. Bibie, députés.

Drôme – M. Moutet, J. Moch, R. Brunei, députés; D. Valette, sénateur.

Eure – A, Forcinal, député.

Eure-et-Loir – Triballet, député ; M. Viollette, sénateur.

Finistère – Maxé, Masson, J. Perrot, députés ; Tanguy, sénateur.

Gard – Castanet, député ; Bruguier, sénateur.

Haute-Garonne – Vincent-Auriol, député.

Gironde – Cazalet, Luquot, Cayrel, députés.

Hérault – Salette, député; C. Reboul, sénateur.

Guyane. – Monnerville, député.

Indre – M. Hymans, député.

Indre-et-Loire. – Thiolas, L. Proust, députés.

Isère – Ollier, Buisset, Ravanat, députés.

Jura – Docteur Leculier, A. Gros, députés.

Landes – P. Deyris, député.

Loire-et-Cher – Mauger, Besnard-Ferron, députés; Paul Boncour (sic), sénateur.

Loire – A. Vernay, A. Ravel, députés.

Haute-Loire – Thiollas, député.

Loiret – J. Zay, E. Frot, députés.

Lot-et-Garonne – Renaud Jean, Bedouce, G. Martin, députés.

Marne – Margaine, G. Poitevin députés.

Mayenne – Guy Menant, député.

Morbihan – L’Heverder, député.

Moselle – Dœble, député;

Nièvre – E. Perrin, député.

Nord – Bracke, Inghels, Daniel Vincent, Léo Lagrange, Dewez, Ramette, Dupré, députés.

Oise – J. Uhry, député.

Puy-de-Dôme – Andraud, Paulin, députés.

Hautes-Pyrénées – Dasque, député.

Pyrénées-Orientales. – Parayre, Payra, députés.

Bas-Rhin – Dahlet, député.

Savoie – Pringolliet, Cot, députés.

Rhône – Février, Fillon, P. Richard, A. Chouffet, députés.

Seine – L. Gélis, P. Perrin, Bachelet, J. Longuet, Garchery, Auffrag, Capron, Jardel, Doriot, Thorez, Monjauvis, Clamamus, R. Brandon, députés; Morizet, Voilin, sénateurs.

Seine-et-Marne – Chaussy, député.

Seine-et-Oise – Péri, Midol, députés.

Deux-Sèvres – Féru, député.

Somme – Tonnellier, Basquin, Lecointe, Delabie, Lallemant, députés.

Tarn – Fieu, député.

Var – Bartholini,- Carmagnolle, Chommeton. députés; G. Fourment, sénateur.

Vendée – Daroux, député.

Vienne – Rimbert, Hulin, députés.

Haute-Vienne – Roche, Vardelle, députés; Fèvre, Betoul, sénateurs.

Vosges – M. Rucart, député.

Yonne – Renaitour, Bouly, députés; Gaudaire, sénateur.

Comme il est aisé de le voir, cette faction comprend surtout des radicaux, des socialistes, des communistes.

Parmi ses étoiles de première grandeur, ce firmament sordide laisse briller les noms des assassins Frot et Cot, du complice d’assassins Paul-Boncour, flanqué du tripoteur Gaston Hulin. Parmi ses astres moins brillants clignote M. Menant, de la Mayenne, démocrate chrétien.

Que dit leur papier ? Si habilement dosés qu’en aient été les hypocrisies, ils n’ont pas réussi à envelopper tout à fait la provocation à la guerre. Pour interdire à un peuple ami de poursuivre en paix une expédition coloniale, comme tout le monde en a fait, comme nous en avons fait nous-mêmes, – les factieux demandent :

– La S.D.N. va-t-elle tolérer cette agression ?

Impuissante ou complice, la S.D.N. serait ruinée. Qu’elle n’écoute pas les conseils intéressés de ceux qui lui prêchent la temporisation, comme lors de l’agression nippone en Mandchourie, ni ceux qui veulent l’effrayer par la menace d’un départ de l’Italie. Car, si l’agression mussolinienne (!) ne peut être empêchée, qu’elle discrédite et ruine donc l’Italie seule, mais non la S. D. N. toute entière !

Au reste, si les amis de M. Mussolini veulent empêcher l’action de la S.D.N., c’est bien que cette, action serait redoutable pour M. Mussolini.

C’est pourquoi nous adjurons la S.D.N. de faire sans ruse honteuse, tout ce qui lui incombe pour empêcher l’invasion de l’Abyssinie. Nous adjurons les peuples d’arrêter les envois d’armes et d’empêcher les prêts à l’Italie.

Nous adjurons tous les hommes qui veulent la paix (!) de se dresser contre l’agression mussolinienne !

Se prononcer contre toute « temporisation », donc exclure la réflexion, – organiser et provoquer une action qui soit « redoutable pour M. Mussolini », – arrêter les envois d’armes », « empêcher les prêts à l’Italie », enfin déclencher des sanctions quelconques contre un peuple libre, souverain, l’égal de n’importe quel peuple civilisé, cela – dans toutes les langues du monde, celles du moins qui ne sont pas hypocrites, – s’appelle contraindre le monde entier à la guerre, et, comme l’a écrit un Anglais de bon sens, substituer à la petite guerre partielle un incendie universel.

Les bonshommes qui ont signé le papier que je cite s’en rendent-ils compte ?

Je serais bien surpris qu’ils en soient totalement ignorants.

Car ce n’est pas la première fois que le parti maçonnique universel manœuvre de cette façon.

Il y a un grand précédent.

C’est celui des républicains girondins de 1792.

Comme les gens du Front commun, les républicains girondins voulaient renverser le gouvernement d’alors et, pour y arriver, de l’avis de Jaurès dans sa Législative, il n’y avait qu’un moyen : la guerre. Le « charme séculaire de la Monarchie » comme disait Jaurès, eût été plus fort que toutes les émeutes et toutes les rébellions. La guerre, avec l’accusation de trahison contre le roi, était la seule voie ouverte. Cela a été confessé par un chef girondin, le nommé Brissot, dans une lettre fameuse. Pour aboutir à la République, il avait besoin de la guerre. Il marcha donc pour la guerre, comme marchent aujourd’hui les Frot. les Cot, les Boncour (sic), les Gaston Hulin, les Menant. Un pouvoir, peut-être plus faible, peut être moins faible (on ne sait!) que celui de M. Laval, le pouvoir de Louis XVI capitula exactement comme paraît capituler aujourd’hui M. Laval, et le 20 avril 1792, cette guerre d’idées, cette guerre de religion fut déclarée. Savez-vous ce qu’elle dura ? Vingt-trois ans : 1792-1815, sauf des intermèdes de paix fort courts. Vingt-trois ans de massacres sur la terre et sur l’onde : c’est à ce prix que s’établit le féroce régime de la première République. Le bolchevisme de Frot, Cot, Boncour (sic), Hulin, Menant est-il jugé valoir même prix ?

C’est l’affaire de ces messieurs! Mais, puisque ces messieurs optent pour la guerre, il n’y a qu’à leur répondre :

– Soit !

Mais c’est d’abord à eux qu’il faut la déclarer.

Nous la leur déclarons ici.

Nous prions les bons Français qui suivent de prendre note des 140 assassins de la Paix, des assassins de la France que nous publions ci-dessus. J’engage nos amis à découper ce dénombrement précieux et à le loger au coin le plus sûr de leur portefeuille. Ils auront à portée de la main les noms de ceux qui, pour l’amour et pour l’honneur de la S. D. N., pour l’amour et l’honneur de Moscou, jettent notre pays dans une guerre universelle. Nos jeunes amis pourront même apprendre par cœur la liste des individus qui veulent les envoyer à la mort.

La guerre conditionne la prise du pouvoir par cette bande et par ses chefs. Ils l’avouent, puisqu’ils ont signé. Personne ne les y a contraints. Ils ont sans doute espéré tirer de cette adhésion quelques avantages. Qu’ils en aient aussi l’inconvénient ! Ce dommage leur reviendra le Jour où grêleront les fascicules de mobilisation. Et, ce jour-là, il sera juste qu’ils l’expient.

Cela est tellement juste qu’il faut en avertir tout le monde, non seulement cette jeunesse florissante que l’avide, l’ambitieuse cupidité des politiciens veut précipiter au tombeau, mais les mères, les pères, les filles et les sœurs. Il faut que le cœur du pays réel, s’il est ainsi saigné par le pays légal, sache avec certitude à qui faire subir de trop justes expiations !

– Assassins! Assassins !

Pour vous gaver, pour vous avancer, vous vous préparez à sacrifier le plus pur du sang de la France. En l’absence d’un pouvoir national capable d’arrêter le cours de vos entreprises de trahison, il importe que les suprêmes mesures soient ordonnées, il faut que votre sang soit versé le premier.

Charles Maurras, « Appel nominal des parlementaires maçons qui veulent la guerre – comme en 1792 ! Citoyens, souvenez-vous en ! », journal L’Action française, 22 septembre 1935, page 1 extrait