Les archives départementales jouent un rôle essentiel dans la conservation des sources et des documents du passé, au plus près du terrain et des réalités vécues par celles et ceux qui nous ont précédés. Le document présenté en est un bon exemple.
Cette lettre, conservée par les Archives départementales d’Eure-et-Loir, avait été exposée au public lors d’une exposition organisée en 2020 sur le thème : « 1940 en Eure-et-Loir : chaos, soumission et refus ».
Datée du 18 décembre 1940, c’est la réponse adressée par un commissaire de police de Châteaudun au sous-préfet d’Eure-et-Loir qui lui avait demandé d’enquêter sur « les auteurs des inscriptions injurieuses envers les troupes d’occupation et leur Chef suprême, inscriptions marquées sur les chaussées, contre les murs et portes de Châteaudun ».
On remarquera le zèle du commissaire, puisque l’enquête a été bouclée en une journée ! Dans la zone occupée, l’administration française fonctionne donc avec efficacité, même si, comme c’est sans doute le cas ici, les Allemands ne sont pas pour rien dans cette enquête.
Mais le plus intéressant est évidemment l’âge des coupables des graffitis : en majorité des collégiens de 14 ou 15 ans. Si on ne peut parler de résistants véritables, cette affaire révèle néanmoins, après à peine 6 mois d’occupation, une hostilité sourde envers les Allemands dans une partie de la population locale, les enfants se faisant probablement ici l’écho de l’opinion de leurs parents. Le commissaire qui cherche manifestement à minimiser les actes des jeunes reconnaît en outre que « dans ce Collège règne un état d’esprit nettement hostile aux Allemands et très favorable aux Anglais et au Général de Gaulle ». Et nous ne sommes qu’en décembre 1940..
Note : Jean Moulin a été le dernier préfet d’Eure-et-Loir de la Troisième République, jusqu’en juin 1940.
Châteaudun, le 18 décembre 1940
Le commissaire de police
à Monsieur le sous-préfet de Châteaudun
A la suite de votre communication téléphonique du 17 Décembre, j’ai l’honneur de vous faire connaître les résultats de l’enquête à laquelle j’ai personnellement procédé en vue de découvrir les auteurs des inscriptions injurieuses envers les troupes d’occupation et leur Chef suprême, inscriptions marquées sur les chaussées, contre les murs et portes de Châteaudun.
J’ai été assez heureux dans mes recherches pour retrouver les coupables. Ce sont les nommés :
1) GUIS – élève de la classe de 3e du Collège de Châteaudun, il a écrit « A bas Hitler » sur la porte de la maison de la tante de Janine Voilot , rue de Luynes ;
2) LE FOULON – élève de la classe de 3e du Collège de Châteaudun ; a collé des drapeaux anglais un peu partout, marqué des inscriptions, déchiré des affiches Allemandes ;
3) LAVIGNE – élève du Collège de Châteaudun, a arraché des affiches, marqué des inscriptions injurieuses sur les murs et sur les portes ;
4) LAGORCE – élève du Collège de Châteaudun, a écrit des inscriptions sur la route, sur les portes et sur les murs, notamment » A bas Hitler « ;
5) LEBAB de St-Jean, élève du Collège de Châteaudun, a écrit des inscriptions injurieuses et déchiré les affiches des autorités d’accupation ;
6) BOUCHEREAU André 15 ans, 25 Rue St-Lubin, sans profession, a écrit, rue du Cloitre St-Jean, sur la porte de M. Beaufils » A bas les Allemands » . Il a écrit aussi des inscriptions injurieuses sur la chaussée rue de Luynes. Il avait acheté la craie à un forain sur le marché Place du 18 Octobre le jeudi 12 Décembre dernier : 7 craies pour 20 sous.
7) SALAUN Daniel – rue Porte d’Abbas-a écrit des choses injurieuses tant pour les Français que pour les Allemands.De l’examen du tableau ci-dessus se dégagent les conclusions suivantes :
Il y a lieu de distinguer parmi les auteurs des inscriptions relevées deux catégories bien distinctes de coupables :
a) de petits voyous de la ville ; jeunes enfants mal éduqués parleurs parents, traine-ruisseau qui passent leur vie dans la rue, toujours en quête de quelquee vilaine action à commettre :
SALAIN Daniel – BOUCHEREAU.
b) des élèves du Collège de Châteaudun ; dans ce Collège règne un état d’esprit nettement hostile aux Allemands et très favorable aux Anglais et au Général de Gaulle. Il m’a même été rapporté que certains professeurs n’hésitaient pas (tel M. Sibel) à faire nettement de la propagande dans leur classe contre les troupes d’occupation. Avec de pareils exemples, il n’est guère surprenant que de jeunes enfants se laissent aller à des extrémités dont ils ne réalisent peut être pas toute l’importance et la gravité.Le Commissaire de police