En 1936, Thomas Mann (1875-1955) est sans doute un des auteurs de langue allemande les plus lus au monde. Des oeuvres telles que Les Buddenbrook (1901), La Mort à Venise (1912) ou La Montagne magique (1924) lui ont valu le prix Nobel de littérature en 1929 et une renommée universelle.
En 1933, à l’arrivée de Hitler au pouvoir, Thomas Mann choisit l’exil, d’abord en Suisse puis, à partir de 1938, aux États-Unis. Très critique envers le régime nazi, il est déchu de la nationalité allemande en 1936 et, la même année, il est privé de son titre de docteur honoraire de la Faculté de Philosophie de l’Université de Bonn.
Le texte présenté est extrait de la lettre ouverte que Thomas Mann adressa au doyen de la faculté de philosophie de l’université de Bonn, le 19 décembre 1936. Quelques semaines plus tôt, le gouvernement nazi avait lancé le plan de 4 ans visant à mettre l’Allemagne et son économie en état de supporter une guerre, d’ici 1940. Au delà de ce contexte précis, Thomas Mann pointe du doigt le rôle central joué par la guerre dans l’idéologie et le « système national-socialiste », mais aussi comment l’idée d’une guerre inévitable permet de justifier le totalitarisme et permet de transformer le peuple allemand en » un instrument d’une docilité illimitée ».
Le sens et le but du système national-socialiste ne peut faire l’objet d’aucun doute. Ce système ne peut que vouloir mettre en forme, en vue de la guerre à venir, le peuple allemand, après y avoir exclu, étouffé ou détruit toute réaction de nature à déranger ses plans. Il s’agit de faire de ce peuple un instrument d’une docilité illimitée, à l’abri de cette maladie que paraît être la moindre pensée critique, réduit à un état d’ignorance aveugle et fanatique. Un autre sens, un autre but, une autre excuse, ce système ne peut en avoir. Toutes les atteintes portées à la liberté, au droit et au bonheur humain, y compris les crimes secrets ou avoués dont il a pris sur lui, sans sourciller, la responsabilité, ne trouvent leur justification que dans l’idée d’un entraînement à la guerre poussé à ses extrêmes conséquences. Laissez tomber l’idée de la guerre comme fin par lui poursuivie, vous n’avez plus qu’un crime atroce de lèse-humanité, un attentat absolument dépourvu de sens et d’opportunité.
Thomas Mann, Lettre adressée le 19 décembre 1936 au doyen de la faculté de philosophie de l’université de Bonn.