Verdi, chantre de la nation italienne
« Avec Nabucco et Les Lombards à la première croisade – c’est-à-dire ses deux premiers grands succès – Verdi commence, je dirais presque instinctivement, dès le début, à faire de la politique avec sa musique. Les étrangers ne pourront jamais se rendre compte de l’influence exercée pendant une certaine période par les mélodies fougueuses et ardentes que Verdi a trouvées quand les situations et même certains passages poétiques lui rappelaient la condition malheureuse de l’Italie, ses souvenirs ou ses espoirs. Le public découvrait des points de référence partout, mais Verdi avait été le premier à s’en rendre compte et les avait adaptés à sa musique inspirée, qui finissait souvent par soulever la révolution dans le théâtre. (…)
Les Lombards fut porté aux nues. Les gens modestes commençaient à assiéger les galeries dès trois heures de l’après-midi, en apportant leur panier, si bien que le rideau se levait dans des effluves de saucisson à l’ail ! (…) Le fameux choeur « Ô Dieu de notre toit natal » provoqua l’une des premières manifestations politiques qui signalèrent le réveil des Lombards-Vénitiens. »
Notes de Folchetto, ami de Verdi, à propos de la première des Lombards le 11 février 1843 à la Scala de Milan.
La nécessité d’une langue commune
« La raison est que, si nous, Milanais, et avec nous tous ces Italiens qui parlent comme nous des langues circonscrites de fait et de droit à une région d’Italie, si nous voulions (…) nous limiter à la langue commune, nous nous trouverions tout à coup dépourvus d’une quantité de termes et de dictions appropriés pour désigner les événements quotidiens, les opérations habituelles et inévitables, (…) mais je veux dire aussi, dépourvus du nom des choses les plus banales, de ces choses que nous voyons chaque jour, que nous rencontrons en chemin et que nous avons chez nous, qui servent, en bref, aux besoins les plus ordinaires de notre vie.
Pour remédier à de tels usages la solution serait de posséder en commun une langue qui puisse offrir les mêmes usages [que ces idiomes régionaux] et grâce à laquelle les gens seraient conscients d’avoir changé la manière de s’exprimer, mais pas d’avoir appauvri leurs facultés d’expression. Et, pour posséder cette langue, il faut l’acquérir. Or, pour l’acquérir, il faut d’abord la reconnaître et dire d’un commun accord: la voici [c’est le toscan] »
Alessandro Manzoni, Della lingua italiana, 1835-1840.
Contre l’hégémonie de la langue toscane
« Peut-on oublier que, dans le cas de l’Allemagne, l’usage est vraiment créé ou établi par la littérature commune, et que, dans le cas de la France, il est établi ou créé par la conversation et les lettres de la capitale, cette cité vers laquelle se dirige tout ce que compte la nation ; que, pour cette raison, dans les deux pays, l’unité de la langue est indissociable de la vertu indéfectible de la communauté de pensée ou de l’action impérative de l’intellect national, action qui s’incarne dans la langue même et ne rencontre personne qui puisse ou veuille s’y soustraire ? Peut-on oublier que, dans ces deux cas, le lexique y apparaît, cela va de soi, bien plutôt comme le sédiment que comme la norme de l’activité civile et littéraire de la parole nationale ?
[C’est ce qui explique] que cette solide unité linguistique dont se réjouit la France ou l’Allemagne ne peut être un argument pour étendre légitimement le pur idiome florentin à l’Italie entière. Ni même de l’espérer. »
Graziadio Isaïa Ascoli, « Proernio », in Archivio glottologico italiano, 1873.
L’affirmation de l’unité culturelle allemande
« La nation allemande, grâce à une langue et à une façon de penser commune, se trouvait suffisamment unie et se distinguait nettement au milieu de la vieille Europe des autres peuples : elle était le mur de séparation entre races hétérogènes assez nombreuses, et vaillantes pour défendre ses frontières contre les attaques de l’étranger. Elle se suffisait à elle-même et n’était nullement portée à s’inquiéter des nationalités voisines, ni à se mêler de leurs affaires, encore moins à les troubler ou rendre ennemies. (…)
Actuellement, nous souffrons des illusions de nos pères. (…) Nous sommes des vaincus : il dépendra de nous désormais de mériter le mépris ; il dépendra de nous de perdre, après tous nos autres malheurs, même l’honneur. Le combat [entre Allemands] avec les armes est fini ; voici que va commencer le combat des principes, des moeurs, des caractères. Donnons à nos hôtes [les autres Européens] le spectacle d’une amitié fidèle pour la patrie, (…) d’une honnêteté inattaquable de l’amour du devoir : l’image de toutes les vertus civiles.
Le territoire allemand est divisé en une multitude d’états indépendants et parfois rivaux. »
J. G. FICHTE, Discours à la Nation allemande, Extraits du 131e discours, traduit par L. Philippe, Paris, Delagrave, 1895