Greater Britain vue par John A. Seeley

 

« La Plus-Grand-Bretagne ne constitue en rien, au sens ordinaire, un Empire. Considérons sa seule partie coloniale : nous contemplons une croissance naturelle, une extension simplement normale de la race britannique dans d’autres pays […] Cela crée non pas un Empire à proprement parler, mais seulement un très vaste État […] J’ai insinué que, dans le monde moderne, la distance a grandement perdu de ses effets et qu’il existe des signes prouvant qu’un jour les États seront plus étendus qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent […] Depuis l’époque de Burke, l’océan Atlantique a diminué jusqu’à devenir à peine plus large que la mer séparant la Grèce de la Sicile. […] De vastes forces d’unification ont commencé à agir, le commerce et l’émigration. En même temps, les liens naturels qui unissent les Anglais retrouvent leur influence […] je veux dire les liens de nationalité, de langage et de religion […] Il apparaît possible que notre soi-disant Empire colonial mérite de plus en plus d’être dénommé Plus-Grande-Bretagne, et que ses liens internes ne cessent de se consolider. Alors, les mers qui nous divisent pourraient être oubliées […] L’émigration à une vaste échelle pourrait devenir le remède au problème du paupérisme, une organisation pourrait graduellement être mise en place qui rendrait toute la force de l’Empire disponible en cas de guerre. […]
L’Angleterre a, dans le moment présent, le choix entre les deux termes d’une alternative : celui qui, à l’avenir, la placerait au niveau des plus grands États, le second qui la réduirait à l’échelle d’une puissance purement européenne tournée vers le passé, semblable à l’Espagne d’aujourd’hui comparée aux grands jours où elle nourrit la prétention d’être un État-monde […]
La particularité de l’évolution anglaise a été faite d’une expansion sans parallèle. Tenez-vous à cela et vous aurez la clé à la fois du XVIIIe et du XIXe siècle. Les guerres avec la France, de Louis XIV à Napoléon, rentrent dans des séries intelligibles […] La croissance de la richesse, du commerce et de l’industrie, la chute du vieux système colonial et l’essor graduel d’un nouveau système s’insèrent aisément dans la même formule. Enfin, cette formule relie le passé de l’Angleterre et son avenir et nous laisse illuminés et plus profondément concernés, parce que en partie préparés à ce qui va survenir. »

J. A. Seeley, The Expansion of England, 1883, dans Roland Marx, La reine Victoria, Paris, Fayard, 2000, p. 328-329.