Le 4 décembre 2025, l’administration Trump a rendu public le National Security Strategy, document élaboré périodiquement par le pouvoir exécutif des États-Unis, dont le but est de recenser les enjeux de sécurité nationale et la manière dont l’administration entend y répondre. Long de 30 pages, loin d’être un texte creux et sans effet, ce texte a pour but de communiquer la vision stratégique de l’exécutif au Congrès, et ainsi de légitimer ses demandes de ressources, en particulier financières, mais aussi de faire connaître la vision stratégique du pouvoir exécutif des États-Unis aux autres pays et aux différentes instances internationales.
D’ordinaire peu lu et peu commenté, le dernier en date a fait l’effet d’une bombe diplomatique par son contenu et le contexte dans lequel il intervient. Nous ne vous proposons pas ici la traduction complète du document, mais la traduction de quelques passages, et nous vous livrons ici quelques commentaires qui restent, bien sûr, sujets à discussions argumentées et étayées.
Trump, fils de Monroe ou fils de l’extrême droite blanche raciste et suprémaciste …
Trump y affiche clairement son attachement à la doctrine Monroe, à laquelle il a voulu apporter sa touche. Cette filiation a été d’ailleurs rappelée par son message présidentiel du 2 décembre 2025 rendant hommage à l’anniversaire de cette doctrine.
Le texte est intéressant à plus d’un titre. Le lecteur averti constatera que Trump nous livre ici sa vision du peuple américain, un peuple menacé dont il faut assurer la survie, quasi à tout prix. Telle est la mission que Trump assigne à l’État (toute ressemblance avec une autre idéologie ayant eu cours au XXème siècle en Europe…) ; le « Golden Dome » mentionné dans le texte relève de cette volonté.
Mais Trump va au-delà : il se livre à une condamnation sans réserve de la politique américaine passée, et de la situation du temps présent (le dérèglement climatique n’existe pas), quitte à faire preuve de révisionnisme et d’ignorance. Ce qui a existé est nul et non avenu, et condamnable par essence, que ce soit l’histoire-même des États-Unis (seule une Amérique WASP chrétienne semble envisagée, même si les termes restent prudents) ou celle des relations séculaires entre le Nouveau et l’Ancien Continent.
… colonisatrice et impérialiste méprisant l’Europe ?
Le plan affiché est clair : les États-Unis de Trump n’envisagent pas une relation d’égal à égal avec le reste du monde en général et avec l’Europe en particulier. Si nous pouvons faire remonter le désintérêt de l’Europe à l’ère Obama (qu’il ne faut pas idéaliser), il faut souligner que même si l’attitude de Trump se situe quelque part dans la continuité de la politique démocrate, une véritable rupture est observable, et elle ne fait pas dans la demi-mesure. À la place, c’est bien un projet de soumission de l’Europe, considérée prioritairement comme une colonie économique et politiquement vassalisée, comme l’entendent les passages choisis ci-dessous, qui est envisagée ; vassalisation voulue avec le soutien des partis populistes des divers pays européens. Le monde est également concerné dans sa globalité lorsque le document aborde la question de l’accès aux minéraux et matériaux essentiels puisque rien ne doit entraver leur accès. Le contrôle doit donc passer par tous les moyens et en premier « la communauté du Renseignement » (donc l’espionnage, la surveillance de masse) mais aussi par l’usage de la force. Nous n’avons pas traduit ici le passage où le texte, reprenant les propos du vice-président Vance, estime que la liberté d’expression n’existe pas en Europe.
Quelques phrases peuvent légitimement poser question : que veut dire la phrase : « Nous voulons […] déployer l’armée la plus puissante, la plus meurtrière et la plus avancée technologiquement au monde afin de protéger nos intérêts, de dissuader les guerres et, si nécessaire, de les gagner rapidement« . ? En diplomatie, les mots ont à la fois du sens et du poids. Rappelons que la dernière fois que les États-Unis ont cherché à finir une guerre de manière rapide et efficace a eu lieu le 6 août 1945.
Extrait n° 1 : ce que les États-Unis veulent pour eux-mêmes
Version française :
Pour que l’Amérique reste le pays le plus fort, le plus riche, le plus puissant et le plus prospère du monde pendant les décennies à venir, notre pays a besoin d’une stratégie cohérente et ciblée sur la manière dont nous interagissons avec le monde. Et pour y parvenir, tous les Américains doivent savoir exactement ce que nous essayons de faire et pourquoi.
Une « stratégie » est un plan concret et réaliste qui explique le lien essentiel entre les fins et les moyens : elle commence par une évaluation précise de ce qui est souhaité et des outils disponibles, ou pouvant être créés de manière réaliste, pour atteindre les résultats souhaités.Une stratégie doit évaluer, trier et hiérarchiser. Tous les pays, régions, problèmes ou causes, aussi louables soient-ils, ne peuvent pas être au centre de la stratégie américaine. L’objectif de la politique étrangère est la protection des intérêts nationaux fondamentaux ; c’est le seul objectif de cette stratégie.
Les stratégies américaines depuis la fin de la guerre froide ont échoué : elles ont été des listes de souhaits ou d’objectifs finaux souhaités ; elles n’ont pas clairement défini ce que nous voulons, mais ont plutôt énoncé des platitudes vagues ; et elles ont souvent mal évalué ce que nous devrions vouloir.
Après la fin de la guerre froide, les élites de la politique étrangère américaine se sont convaincues que la domination permanente des États-Unis sur le monde entier était dans le meilleur intérêt de notre pays. Pourtant, les affaires des autres pays ne nous concernent que si leurs activités menacent directement nos intérêts.Nos élites ont gravement sous-estimé la volonté des États-Unis d’assumer indéfiniment des responsabilités mondiales que le peuple américain ne considérait pas comme relevant de l’intérêt national.
Ils ont surestimé la capacité des États-Unis à financer simultanément un État-providence, réglementaire et administratif massif, ainsi qu’un complexe militaire, diplomatique, de renseignement et d’aide étrangère tout aussi massif. Ils ont fait des paris extrêmement malavisés et destructeurs sur le mondialisme et le soi-disant « libre-échange », qui ont vidé de sa substance la classe moyenne et la base industrielle sur lesquelles reposent la prééminence économique et militaire des États-Unis. Ils ont permis à leurs alliés et partenaires de faire supporter le coût de leur défense au peuple américain, et parfois de nous entraîner dans des conflits et des controverses essentiels à leurs intérêts, mais périphériques ou sans rapport avec les nôtres. Et ils ont lié la politique américaine à un réseau d’institutions internationales, dont certaines sont animées par un anti-américanisme pur et simple et beaucoup par un transnationalisme qui cherche explicitement à dissoudre la souveraineté des États individuels. En résumé, non seulement nos élites ont poursuivi un objectif fondamentalement indésirable et impossible, mais ce faisant, elles ont sapé les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif : le caractère de notre nation sur lequel reposaient sa puissance, sa richesse et sa décence. […]II. Que devraient vouloir les États-Unis ?
1. Que voulons-nous globalement ?
Avant tout, nous voulons la survie et la sécurité des États-Unis en tant que république indépendante et souveraine dont le gouvernement garantit les droits naturels accordés par Dieu à ses citoyens et donne la priorité à leur bien-être et à leurs intérêts.
Nous voulons protéger ce pays, son peuple, son territoire, son économie et son mode de vie contre les attaques militaires et les influences étrangères hostiles, qu’il s’agisse d’espionnage, de pratiques commerciales prédatrices, de trafic de drogue et d’êtres humains, de propagande destructrice et d’ opérations d’influence, de subversion culturelle ou de toute autre menace pour notre nation.
Nous voulons un contrôle total sur nos frontières, sur notre système d’immigration et sur les réseaux de transport par lesquels les personnes entrent dans notre pays, légalement ou illégalement. Nous voulons un monde dans lequel la migration n’est pas seulement « ordonnée », mais dans lequel les pays souverains travaillent ensemble pour mettre fin, plutôt que faciliter, les flux démographiques déstabilisateurs, et ont un contrôle total sur les personnes qu’ils admettent ou non.
Nous voulons une infrastructure nationale résiliente, capable de résister aux catastrophes naturelles, de résister et de contrecarrer les menaces étrangères, et de prévenir ou d’atténuer tout événement susceptible de nuire au peuple américain ou de perturber l’économie américaine. Aucun adversaire ni aucun danger ne devrait pouvoir mettre l’Amérique en danger.
Nous voulons recruter, former, équiper et déployer l’armée la plus puissante, la plus meurtrière et la plus avancée technologiquement au monde afin de protéger nos intérêts, de dissuader les guerres et, si nécessaire, de les gagner rapidement. Et nous voulons une armée dans laquelle chaque militaire est fier de son pays et confiant dans sa mission.
Nous voulons la force de dissuasion nucléaire la plus robuste, la plus crédible et la plus moderne au monde, ainsi que des défenses antimissiles de nouvelle génération, notamment un « Golden Dome » pour le territoire américain, afin de protéger le peuple américain, les actifs américains à l’étranger et les alliés des États-Unis. […]
Version américaine :
To ensure that America remains the world’s strongest, richest, most powerful, and most successful country for decades to come, our country needs a coherent, focused strategy for how we interact with the world. And to get that right, all Americans need to know what, exactly, it is we are trying to do and why.
A “strategy” is a concrete, realistic plan that explains the essential connection between ends and means: it begins from an accurate assessment of what is desired and what tools are available, or can realistically be created, to achieve the desired outcomes.
A strategy must evaluate, sort, and prioritize. Not every country, region, issue, or cause—however worthy—can be the focus of American strategy. The purpose of foreign policy is the protection of core national interests; that is the sole focus of this strategy.
American strategies since the end of the Cold War have fallen short—they have been laundry lists of wishes or desired end states; have not clearly defined what we want but instead stated vague platitudes; and have often misjudged what we should want.
After the end of the Cold War, American foreign policy elites convinced themselves that permanent American domination of the entire world was in the best interests of our country. Yet the affairs of other countries are our concern only if their activities directly threaten our interests.Our elites badly miscalculated America’s willingness to shoulder forever global burdens to which the American people saw no connection to the national interest.
They overestimated America’s ability to fund, simultaneously, a massive welfareregulatory-administrative state alongside a massive military, diplomatic, intelligence, and foreign aid complex. They placed hugely misguided and destructive bets on globalism and so-called “free trade” that hollowed out the very middle class and industrial base on which American economic and military preeminence depend. They allowed allies and partners to offload the cost of their defense onto the American people, and sometimes to suck us into conflicts and controversies central to their interests but peripheral or irrelevant to our own. And they lashed American policy to a network of international institutions, some of which are driven by outright anti-Americanism and many by a transnationalism that explicitly seeks to dissolve individual state sovereignty. In sum, not only did our elites pursue a fundamentally undesirable and impossible goal, in doing so they undermined the very means necessary to achieve that goal : the character of our nation upon which its power, wealth, and decency were built. […]II. What Should the United States Want ?
1. What Do We Want Overall ?
First and foremost, we want the continued survival and safety of the United States as an independent, sovereign republic whose government secures the God-given natural rights of its citizens and prioritizes their well-being and interests.
We want to protect this country, its people, its territory, its economy, and its way of life from military attack and hostile foreign influence, whether espionage, predatory trade practices, drug and human trafficking, destructive propaganda and influence operations, cultural subversion, or any other threat to our nation.
We want full control over our borders, over our immigration system, and over transportation networks through which people come into our country—legally and illegally. We want a world in which migration is not merely “orderly” but one in which sovereign countries work together to stop rather than facilitate destabilizing population flows, and have full control over whom they do and do not admit.
We want a resilient national infrastructure that can withstand natural disasters, resist and thwart foreign threats, and prevent or mitigate any events that might harm the American people or disrupt the American economy. No adversary or danger should be able to hold America at risk.
We want to recruit, train, equip, and field the world’s most powerful, lethal, and technologically advanced military to protect our interests, deter wars, and—if necessary—win them quickly and decisively, with the lowest possible casualties to our forces. And we want a military in which every single servicemember is proud of their country and confident in their mission.
We want the world’s most robust, credible, and modern nuclear deterrent, plus next-generation missile defenses—including a Golden Dome for the American homeland—to protect the American people, American assets overseas, and American allies. […]
Extrait n° 2 : ce que l’Amérique de Trump attend et veut de l’Europe
Version française
[…] Que voulons-nous dans le monde et de la part du monde ?
• Nous voulons nous assurer que l’hémisphère occidental reste suffisamment stable et bien gouverné pour prévenir et décourager les migrations massives vers les États-Unis ; nous voulons un hémisphère dont les gouvernements coopèrent avec nous contre les narco-terroristes, les cartels et autres organisations criminelles transnationales ; nous voulons un hémisphère qui reste à l’abri des incursions étrangères hostiles ou de la mainmise sur des actifs clés et qui soutienne les chaînes d’approvisionnement essentielles ; et nous voulons garantir notre accès continu à des emplacements stratégiques clés.
En d’autres termes, nous affirmerons et appliquerons un « corollaire Trump » à la doctrine Monroe ;
• Nous voulons mettre fin et inverser les dommages continus que les acteurs étrangers infligent à l’économie américaine tout en maintenant la liberté et l’ouverture de la région indo-pacifique, en préservant la liberté de navigation dans toutes les voies maritimes cruciales et en maintenant des chaînes d’approvisionnement sûres et fiables ainsi que l’accès aux matériaux essentiels ;
• Nous voulons soutenir nos alliés dans la préservation de la liberté et de la sécurité de l’Europe, tout en restaurant la confiance en soi de la civilisation européenne et l’identité occidentale
Version américaine
[…] What do we want in and from the world ?
• We want to ensure that the Western Hemisphere remains reasonably stable and well-governed enough to prevent and discourage mass migration to the United States; we want a Hemisphere whose governments cooperate with us against narco-terrorists, cartels, and other transnational criminal organizations; we want a Hemisphere that remains free of hostile foreign incursion or ownership of key assets, and that supports critical supply chains ; and we want to ensure our continued access to key strategic locations. In other words, we will assert and enforce a “Trump Corollary” to the Monroe Doctrine ;
• We want to halt and reverse the ongoing damage that foreign actors inflict on the American economy while keeping the Indo-Pacific free and open, preserving freedom of navigation in all crucial sea lanes, and maintaining secure and reliable supply chains and access to critical materials ;
• We want to support our allies in preserving the freedom and security of Europe, while restoring Europe’s civilizational self-confidence and Western identity […]
Extrait n° 3 : favoriser des régimes alignés sur Washington
Version française
[…] Recruter
La politique américaine devrait se concentrer sur le recrutement de champions régionaux capables de contribuer à instaurer une stabilité acceptable dans la région, même au-delà des frontières de ces partenaires. Ces nations nous aideraient notamment à mettre fin à la migration illégale et déstabilisatrice, à neutraliser les cartels, à délocaliser la production et à développer les économies privées locales. Nous récompenserons et encouragerons les gouvernements, les partis politiques et les mouvements de la région qui s’alignent largement sur nos principes et notre stratégie. Mais nous ne devons pas négliger les gouvernements qui ont des perspectives différentes, mais avec lesquels nous partageons néanmoins desintérêts et qui souhaitent travailler avec nous.
Les États-Unis doivent reconsidérer leur présence militaire dans l’hémisphère occidental.
Cela implique quatre mesures évidentes :
- Un réajustement de notre présence militaire mondiale afin de faire face aux menaces urgentes dans notre hémisphère, en particulier les missions identifiées dans cette stratégie, et de nous éloigner des théâtres d’opérations dont l’importance relative pour la sécurité nationale américaine a diminué au cours des dernières décennies ou années […]
Version américaine :
[…] Enlist
American policy should focus on enlisting regional champions that can help create tolerable stability in the region, even beyond those partners’ borders. These nations would help us stop illegal and destabilizing migration, neutralize cartels, nearshore manufacturing, and develop local private economies, among other things. We will reward and encourage the region’s governments, political parties, and movements broadly aligned with our principles and strategy. But we must not overlook governments with different outlooks with whom we nonetheless share interests and who want to work with us.
The United States must reconsider our military presence in the Western Hemisphere. This means four obvious things :
- A readjustment of our global military presence to address urgent threats in our Hemisphere, especially the missions identified in this strategy, and away from theaters whose relative import to American national security has declined in recent decades or years […]
Source : site de la Maison Blanche, le texte intégral est disponible ICI
Le site du Grand Continent propose une traduction intégrale du document ICI

