Conférence de Potsdam, extrait du communiqué à la presse du 2 août 1945
« (…)

III. – Allemagne

Les armées alliées occupent la totalité de l’Allemagne et le peuple allemand a commencé à expier les crimes horribles commis sous la direction de ceux que, dans le moment où ils connaissaient le succès, il a approuvés ouvertement et auxquels il a obéi aveuglément. La Conférence s’est mise d’accord sur les principes politiques et économiques d’une politique alliée coordonnée à l’égard de l’Allemagne vaincue, pendant la durée du contrôle allié.

Le but de cet accord est de mettre en application la déclaration de la Conférence de Crimée sur l’Allemagne. Le militarisme allemand et le nazisme seront extirpés, et les Alliés prendront d’accord, maintenant et dans l’avenir, les autres mesures nécessaires pour que l’Allemagne ne puisse plus jamais constituer une menace pour ses voisins ou pour la paix du monde.

Il n’est pas dans l’intention des Alliés de détruire ou de réduire en esclavage le peuple allemand. L’intention des Alliés est de donner au peuple allemand l’occasion de se préparer à refaire éventuellement sa vie sur une base démocratique et pacifique. Si les efforts du peuple allemand sont fermement dirigés dans ce sens, il lui sera possible, le moment venu, de prendre sa place parmi les peuples libres et pacifiques du monde. (…)

IV. – Réparations dues par l’Allemagne

Conformément à la décision prise par la Conférence de Crimée suivant laquelle l’Allemagne sera contrainte de compenser, dans la plus grande mesure possible, les pertes et les souffrances qu’elle a causées aux Nations unies et à la responsabilité desquelles le peuple allemand ne peut échapper, l’accord suivant sur les réparations a été conclu:

« 1. Les demandes de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, au titre des réparations, seront satisfaites au moyen de prélèvements effectués dans la zone allemande occupée par l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et sur les avoirs allemands à l’étranger qui peuvent faire l’objet de ces prélèvements.

« 2. L’Union des Républiques Socialistes Soviétiques s’engage à régler sur sa propre part de réparations les demandes de la Pologne au titre des réparations.

« 3. Les demandes au titre des réparations des Etats-Unis, du Royaume-Uni et des autres pays ayant droit aux réparations seront satisfaites au moyen de prélèvements effectués dans les zones occidentales et sur les avoirs allemands à l’étranger qui peuvent faire l’objet de ces prélèvements.

« 4. En plus des réparations que l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques prélèvera sur sa propre zone d’occupation, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques recevra des zones occidentales:

« a. 15 p. 100 de l’outillage industriel de base utilisable et complet provenant en premier lieu des industries métallurgique, chimique et de constructions mécaniques, qui n’est pas nécessaire à l’économie de paix de l’Allemagne; cet outillage devra être prélevé sur les zones occidentales de l’Allemagne, en échange d’une valeur égale de denrées alimentaires, de charbon, de potasse, de zinc, de bois, de produits à base d’argile, de produits pétroliers et de tels autres produits dont il sera convenu;

« b. 10 p. 100 de l’outillage industriel qui n’est pas indispensable à l’économie de paix de l’Allemagne; cet outillage devra être prélevé sur les zones occidentales pour être remis au gouvernement soviétique au titre des réparations, sans payement ou échange d’aucune sorte en contrepartie.

Les prélèvements d’outillage prévus aux alinéas a et b s’effectueront simultanément.

« 5. La quantité d’outillage à prélever sur les zones occidentales au titre des réparations devra être fixée dans les six mois au plus tard.

« 6. Les prélèvements d’outillage industriel de base commenceront dès que possible et devront être achevés dans les deux ans qui suivront le délai spécifié au paragraphe 5. La livraison des produits visés au paragraphe 4 a ci-dessus commencera dès que possible et sera effectuée par l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques par tranches convenues dans un délai de cinq ans à dater du présent accord. La quantité et la nature de l’outillage industriel de base, non indispensable à l’économie allemande du temps de paix, et par suite disponible au titre des réparations, seront fixées par le Conseil de contrôle selon les règles établies par la Commission des Réparations, avec la participation de la France, sous réserve de l’approbation définitive du Commandant de la zone dans laquelle l’outillage devra être prélevé.

« 7. Avant que soit fixée la quantité totale d’outillage à prélever, des livraisons de cet outillage seront faites, à valoir selon la procédure indiquée dans la dernière phrase du paragraphe 6.

« 8. Le gouvernement soviétique renonce à revendiquer, au titre des réparations, toute participation dans les entreprises allemandes situées dans les zones occidentales d’occupation de l’Allemagne; il renonce de même aux avoirs allemands à l’étranger dans tous les pays autres que ceux qui sont mentionnés au paragraphe 9 ci-dessous.

« 9. Les gouvernements du Royaume-Uni et des Etats-Unis d’Amérique renoncent à revendiquer, au titre des réparations, des participations dans les entreprises allemandes situées dans la zone orientale d’occupation en Allemagne et sur les avoirs allemands à l’étranger se trouvant en Bulgarie, en Finlande, en Hongrie, en Roumanie et en Autriche orientale.

« 10. Le gouvernement soviétique, n’élève aucune revendication sur l’or saisi par les troupes alliées en Allemagne. (…)

IX. Pologne

La Conférence a examiné les questions relatives au gouvernement provisoire polonais et à la frontière occidentale de la Pologne.

a. En ce qui concerne le gouvernement polonais d’unité nationale, les membres de la Conférence ont précisé leur attitude dans la déclaration suivante:

« Nous avons pris note avec plaisir de l’accord réalisé entre des personnalités polonaises de Pologne et de l’étranger, accord qui a permis la formation, conformément aux décisions de la Conférence de Crimée, d’un gouvernement provisoire polonais d’unité nationale reconnu par les trois Puissances. L’établissement, par les gouvernements britannique et américain, de relations diplomatiques avec le gouvernement provisoire polonais, a eu pour conséquence l’annulation de leur reconnaissance de l’ancien gouvernement polonais de Londres qui a cessé d’exister.

« Les gouvernements britannique et américain ont pris des mesures pour protéger les intérêts du gouvernement provisoire polonais en tant que gouverne ment reconnu de l’Etat polonais, en ce qui concerne les biens appartenant à l’Etat polonais qui se trouvent sur leurs propres territoires et sous leur contrôle, quelle que soit la forme de ces biens. Ils ont en outre pris des mesures en vue d’empêcher l’aliénation de ces biens à des tiers. Toutes facilités seront données au gouverne ment provisoire polonais pour l’exercice des moyens légaux permettant à l’Etat polonais de récupérer tout bien lui appartenant qui aurait pu être indûment aliéné.

« Les trois puissances sont désireuses d’aider le gouvernement provisoire polonais à faciliter le retour en Pologne, dès que faire se pourra, de tous les Polonais actuellement à l’étranger qui désirent rentrer dans leur pays, y compris !es membres des forces armées et de la marine marchande polonaises. Elles espèrent que les Polonais qui rentreront dans leur patrie jouiront des mêmes droits civiques et des mêmes droits de propriété que tous les citoyens polonais.

« Les trois Puissances notent que le gouvernement provisoire polonais a accepté, conformément aux décisions de la Conférence de Crimée, d’organiser aussitôt que possible, sur la base du suffrage universel et du scrutin secret, des élections auxquelles tous les partis démocratiques et antinazis auront le droit de prendre part et de présenter des candidats, et qu’il a accepté aussi que les représentants de la presse alliée aient toute liberté de faire connaître au monde ce qui se passera en Pologne avant et pendant les élections.

b. La question de la frontière occidentale de la Pologne a fait l’objet de l’accord suivant:

« Conformément à l’accord de la Conférence de Crimée, concernant la Pologne, les chefs des trois gouvernements ont demandé au gouvernement provisoire polonais d’unité nationale son avis sur l’accroissement de territoire dont la Pologne doit bénéficier au Nord et à l’Ouest.

« Le Président du Conseil national de Pologne et les membres du gouverne ment provisoire polonais d’unité nationale ont été reçus à la Conférence et ont pleinement exposé leur point de vue.

« Les chefs des trois gouvernements réaffirment qu’à leur avis, la délimitation définitive de la frontière polonaise occidentale doit être ajournée jusqu’au moment du règlement de la paix.

« Les chefs des trois gouvernements sont d’accord pour que l’Etat polonais administre, en attendant le tracé définitif de cette frontière, les anciens territoires allemands qui sont situés à l’est d’une ligne partant de la Mer Baltique, immédiatement à l’ouest de Swinemunde, pour descendre le long de l’Oder jusqu’au confluent de la Neisse occidentale, puis longer celle-ci jusqu’à la frontière tchécoslovaque, y compris la partie de la Prusse orientale qui n’est pas placée sous l’administration soviétique en vertu de l’accord intervenu à la présente Conférence et la région de l’ex-ville libre de Dantzig, lesdits territoires ne devant pas être, à cette fin, considérés comme faisant partie de la zone soviétique d’occupation de l’Allemagne.

X. Conclusion des traités de paix et admission dans l’Organisation des nations unies

La Conférence a adopté la déclaration suivante sur la politique commune à suivre pour établir dès que possible les conditions d’une paix durable après la victoire en Europe:

« Les trois gouvernements estiment qu’il est désirable que la situation normale actuelle de l’Italie, de la Bulgarie, de la Finlande, de la Hongrie et de la Roumanie prenne fin par la conclusion de traités de paix et ils comptent que les autres gouvernements alliés seront également de cet avis. Pour leur part, les trois gouvernements ont placé la préparation d’un traité de paix avec l’Italie en tête des tâches d’importance immédiate que devra aborder le nouveau Conseil des Ministres des Affaires étrangères.

« L’Italie a été la première, parmi les Puissances de l’Axe, à rompre avec l’Allemagne, à la défaite de laquelle elle a contribué d’une façon substantielle, et elle s’est maintenant jointe aux Alliés dans la lutte contre le Japon. L’Italie s’est libérée du régime fasciste et marque des progrès importants vers le rétablissement d’un gouvernement et d’institutions démocratiques. La conclusion d’un traité de paix avec un gouvernement démocratique italien permettra aux trois gouvernements d’appuyer, comme ils en ont le désir, la demande d’admission de l’Italie à l’Organisation des Nations unies.

« Les trois gouvernements ont également chargé le Conseil des Ministres des Affaires étrangères de la préparation des traités de paix avec la Bulgarie, la Finlande, la Hongrie et la Roumanie. La conclusion de traité de paix avec des gouvernements démocratiques reconnus de ces Etats permettra aux trois gouvernements d’appuyer leur demande d’admission à l’Organisation des Nations unies. Les trois gouvernements sont d’accord pour examiner chacun séparément dans un proche avenir, et en tenant compte de l’état de choses qui existera alors, la question du rétablissement des relations diplomatiques avec la Finlande, la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie, dans la mesure où ce rétablissement sera possible avant la conclusion des traités de paix avec ces pays.

« Les trois gouvernements ne doutent pas, qu’en raison du changement de conditions résultant de la cessation des hostilités en Europe, les représentants de la presse alliée auront toute liberté de rendre compte à l’opinion mondiale, des événements de Roumanie, de Bulgarie, de Hongrie et de Finlande.

« Pour ce qui est de l’admission des autres Etats dans l’Organisation des Nations unies, les trois gouvernements déclarent:

« 1° Que l’Organisation des Nations unies est ouverte à tous les autres Etats pacifiques qui acceptent les obligations stipulées dans la Charte actuelle et qui, de l’avis de l’Organisation, ont la possibilité et la volonté de remplir ces obligations;

« 2° Que l’admission de ces Etats comme membres des Nations unies aura lieu en vertu d’une décision de l’Assemblée générale, sur la proposition du Conseil de Sécurité.

« Les trois gouvernements soutiendront, en ce qui les concerne, les candidatures de tous les pays restés neutres pendant la guerre et remplissant les conditions mentionnées ci-dessus.

« Toutefois, ils se croient tenus de déclarer que, pour leur part, ils n’appuieront pas la candidature du Gouvernement espagnol actuel, qui, établi avec l’aide des Puissances de l’Axe, ne possède pas, en raison de ses origines, de son caractère et de son association étroite avec les pays agresseurs, les qualifications nécessaires pour justifier son admission parmi les Nations unies.» (…)

XIII. Transfert méthodique de populations allemandes

La Conférence a adopté l’accord suivant au sujet du transfert des Allemands de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie:

« Les trois Gouvernements, après avoir examiné la question sous tous ses aspects, reconnaissent qu’il y aura lieu de procéder au transfert en Allemagne des populations allemandes restant en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Hongrie. Ils sont d’accord pour estimer que ces transferts devront être effectués de façon ordonnée et humaine. Etant donné que l’arrivée d’un grand nombre d’Allemands en Allemagne accroîtrait la charge qui pèse déjà sur les autorités d’occupation, ils estiment que le Conseil de Contrôle doit d’abord étudier le problème en tenant compte particulièrement de la question de la répartition équitable de ces Allemands entre les différentes zones d’occupation. En conséquence, ils donnent des instructions à leurs représentants respectifs au Conseil de Contrôle afin que ceux-ci leur fassent connaître le plus tôt possible dans quelle mesure les Allemands dont il s’agit ont déjà pénétré en Allemagne en provenance de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie et pour qu’ils évaluent la durée et la cadence que pourront comporter les transferts ultérieurs, compte tenu de la situation actuelle en Allemagne. Le Gouvernement tchécoslovaque, le Gouvernement provisoire polonais et le Conseil de Contrôle en Hongrie sont en même temps informés de ce qui précède et sont invités à surseoir à toute expulsion, pendant que les Gouvernements intéressés examineront les rapports de leurs représentants au Comité de Contrôle.»

Berlin, le 2 août 1945.

J. V. Staline, H. S. Truman, C. R. Attlee »

Texte cité d’après le Ministère français des Affaires étrangères, « Recueil de textes à l’usage des conférences de la Paix » , Paris, Imprimerie nationale, 1946