La persécution de Néron

En 64 EC, Néron accuse les chrétiens d’avoir été à l’origine de l’incendie dont lui-même est soupçonné.  Ceci étant, le christianisme n’a jamais été interdit ans l’empire romain et, comme toutes les autres persécutions, celle de Néron exploitent l’hostilité et le soupçon pesant sur les pratiques des chrétiens, lesquels sont des Romains ordinaires, pratiquant leur culte sans se cacher (les catacombes sont une pieuse légende). Le paradoxe des débuts du christianisme à Rome est qu’il est finalement autorisé par Constantin sans jamais avoir été interdit.

« Pour anéantir cette rumeur, Néron supposa des coupables et infligea des tortures cruelles à ceux que leur conduite faisait détester et que la foule appelait chrétiens […] Réprimée sur le moment, leur détestable religion apparaissait de nouveau, non pas seulement en Judée, où le mal avait pris naissance, mais encore à Rome, où tout ce qu’il y a d’affreux ou de honteux dans le monde se rassemble.

On commença par emprisonner ceux qui reconnaissaient qu’ils étaient chrétiens. Puis, lorsqu’ils révélèrent les noms d’autres chrétiens, on emprisonna aussi ces derniers : on les accusait moins d’avoir allumé les incendies qui éclataient à Rome que de haïr le genre humain. On ne se contentait pas de les faire périr : on s’amusait à les revêtir de peaux de bêtes pour les faire déchirer par les dents des chiens. Ou bien on les attachait à des croix et, quand le jour finissait, on les enduisait de résine et on les allumait comme des flambeaux dont on s’éclairait. L’Empereur Néron avait offert ses jardins pour ce spectacle […] »

Tacite, Annales, XV.44

 

Martyrs

Procès verbal de l’interrogatoire de Justin, philosophe dénoncé comme chrétien et décapité avec d’autres chrétiens en 165-168 EC

« Dès qu’ils furent amenés dans le tribunal, le préfet Rusticus dit à Justin : « Commence par te soumettre aux dieux et obéis aux empereurs ! » Justin répondit : « On ne peut être blâmé ou condamné pour se soumettre aux commandements de Notre Seigneur Jésus-Christ. » « Quelle doctrine enseignes-tu ? » demanda la préfet Rusticus. « Je me suis efforcé, dit Justin, d’apprendre toutes les doctrines ; je m’en tiens finalement à la doctrine de vérité, celle des chrétiens, bien qu’elle déplaise aux tenants d’opinions erronées. » « C’est donc là, répliqua Rusticus, la doctrine qui te plaît, malheureux ! » « Oui, dit Justin, et je m’y attache par le lien d’une croyance droite. » « Quelle est cette croyance ? » demanda Rusticus. « Ce qu’est notre piété envers le Dieu des chrétiens, répondit Justin, c’est de croire qu’il est unique, qu’il est dès l’origine créateur et organisateur du monde entier, du monde visible et de l’invisible, c’est d’affirmer le Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui a d’abord été prédit par les prophètes comme devant venir au secours du genre humain, messager du salut et maître d’excellents enseignements. Quand à moi, qui ne suis qu’un homme, j’estime ne pouvoir dire que de pauvres paroles, au regard de sa divinité infinie, tout en affirmant une puissance prophétique, je veux dire que des prédictions ont été faites au sujet de celui dont j’affirmais à l’instant qu’il est le Fils de Dieu. De fait, sache-le bien, inspirés d’en haut, les prophètes ont annoncé sa venue parmi les hommes. »

« Actes du martyre des saints Justin, Chariton, Charitô, Evelpistos, Hiérax, Péon et Libérien », dans Xavier Loriot, Christophe  Badel (dir.), Sources d’histoire romaine (Ier siècle – Début du Ve siècle), Larousse, 1993, p. 654.

 

La Grande persécution de Dioclétien

« Ces gens, disait [Dioclétien], avaient l’habitude de marcher volontairement à la mort, et il était bien suffisant d’épurer de cette religion le personnel du palais et de l’armée. Il ne put cependant fléchir la folie de [Galère] […] Le lendemain on afficha un édit stipulant que les adeptes de cette religion seraient exclus de toute charge officielle et de toute dignité et passibles de torture, que toute action dirigée contre eux serait recevable mais qu’ils n’auraient pas le droit d’agir en justice en réparation de dommages pour adultère et pour vol […]; les arrestations n’épargnaient ni l’âge, ni le sexe ; toutes se terminaient par le bûcher et si grande était la foule des condamnés qu’on ne les exécutait plus individuellement, mais qu’ils étaient rassemblés en masse au centre d’un immense feu. »

 

Lactance (vers 260-325 ap. J.-C.), De la mort des persécuteurs, 2, dans Meslin-Palanque, Le christianisme antique, A. Colin, 1970.

 

Construction du récit chrétien sur l’espoir d’une martyre

La jeune chrétienne Perpétue est en prison en 203. Une vie de saint entend raconter son rêve avant l’exécution

« Je vis un immense jardin. Au milieu était un homme aux cheveux blancs, vêtu comme un berger, de haute taille, et occupé à traire les brebis. Autour de lui se tenaient des milliers de gens vêtus de blanc. Il leva la tête et m’aperçut. Il me dit : « sois la bienvenue, mon enfant ». Il m’appela, et il me donna une bouchée du fromage qu’il faisait. Je la reçus dans les mains jointes et la mangeai. Tous ceux qui m’entouraient disaient « Amen ». Au bruit de leurs voix, je me réveillai, mâchant encore je ne sais quelle douceur. Je le racontai à mon frère. Nous comprîmes alors que c’était le martyre qui nous attendait. Dès lors, nous nous mîmes à ne plus rien espérer de ce monde. »

Passion des saintes Perpétue et Félicité, 4, traduction de V. Saxer, Saints anciens d’Afrique du Nord, Cité du Vatican, 1979.

Celse : contre les chrétiens (178 EC)

« Il est une race nouvelle d’hommes nés d’hier, sans patrie ni traditions, ligués contre toutes les institutions religieuses et civiles, poursuivis par la justice, universellement notés d’infamie, mais se faisant gloire de l’exécration commune : ce sont les chrétiens […]

Dans ces derniers temps, les chrétiens ont trouvé parmi les juifs un nouveau Moïse qui les a séduits mieux encore. Il passe auprès d’eux pour le fils de Dieu et il est l’auteur de leur nouvelle doctrine […]. On sait comment il a fini. Vivant, il n’avait rien pu faire pour lui-même; mort, dites-vous, il ressuscita et montra les trous de ses mains. Mais qui a vu tout cela ? […]

Soutenez l’empereur de toutes vos forces, partagez avec lui la défense du droit ; combattez pour lui si les circonstances l’exigent ; aidez-le dans le commandement de ses armées. Pour cela, cessez de vous dérober aux devoirs civils et au service militaire ; prenez votre part des fonctions publiques, s’il le faut, pour le salut des lois et la cause de la piété. »

D’après Celse, « Discours contre les chrétiens », Discours vrai, 178,

trad. Louis Rougier, Paris, Le siècle, 1925.

Lettre de Pline à l’empereur Trajan

« Je n’ai jamais participé à des procès concernant des chrétiens ; c’est pourquoi je ne sais quels sont les faits que l’on punit ou sur lesquels on enquête, ni jusqu’où il faut aller […] s’il faut pardonner à ceux qui se repentent, et encore si, pour qui a vraiment été chrétien, rien ne sert de se dédire, et si l’on punit le seul nom de chrétien en l’absence de crimes (1) ou les crimes qu’implique ce nom.

En attendant, voici la règle que j’ai suivie envers ceux qui m’étaient déférés comme chrétiens : je leur ai demandé à eux-mêmes s’ils étaient chrétiens. À ceux qui avouaient, je l’ai demandé une seconde et une troisième fois, en les menaçant du supplice ; ceux qui persévéraient, je les ai fait exécuter : peu importe la nature de ce qu’ils avouaient ainsi, j’étais certain qu’il fallait punir du moins cet entêtement et cette obstination inflexibles ; d’autres, possédés de la même folie, je les ai, en tant que citoyens romains, notés pour être envoyés à Rome […]

Ceux qui niaient être ou avoir été chrétiens, s’ils répétaient après moi une invocation aux dieux et faisaient une supplication par l’encens et le vin à ton image que j’avais donné ordre d’apporter avec les statues des divinités, et aussi s’ils maudissaient le Christ – toutes choses qu’il est, dit-on, impossible d’obtenir de ceux qui sont vraiment chrétiens -, j’ai pensé qu’il fallait les relâcher. D’autres avaient été accusés par un dénonciateur à titre privé, et après avoir dit qu’ils étaient chrétiens, le nièrent […] Tous ceux-là aussi ont adoré ton image ainsi que les statues des dieux et ont maudit le Christ […]

J’ai cru d’autant plus nécessaire de chercher ce qu’il y a de vrai là-dessous en faisant torturer deux esclaves que l’on disait diaconesses (2). Je n’ai découvert qu’une mauvaise superstition sans mesure. Aussi ai-je suspendu ces procès pour te consulter. L’affaire m’a paru mériter une consultation, surtout en raison du nombre des accusés. Nombreux sont ceux qui sont en danger, de tout âge, appartenant à tous les « ordres », et même aux deux sexes. La contagion de cette superstition a gagné non seulement les villes, mais les villages et les campagnes ; elle paraît pouvoir être enrayée et guérie.

Il n’est certes pas douteux que les temples qui étaient désormais presque abandonnés commencent à être fréquentés, que les cérémonies rituelles longtemps interrompues sont reprises, que partout on vend la chair des victimes, qui jusqu’à présent ne trouvait plus que de très rares acheteurs. D’où il est aisé de penser quelle foule d’hommes pourrait être guérie si l’on accueillait le repentir. »

 

Lettre de Pline le jeune à l’empereur Trajan, c. 112 (Lettres, 10, 96) dans Claude Quétel (dir.), Histoire Seconde, Bordas, 1996, p. 77.

Notes :

  1. Sous-entendu : « prouvés »
  2. Chrétiennes qui remplissent un certain nombre de fonctions dans les communautés d’Orient.

Réponse de Trajan

Tu as suivi la marche que tu devais […] dans l’examen des causes de ceux qui ont été déférés à ton tribunal comme chrétiens. En pareille matière, en effet, on ne peut établir une règle fixe pour tous les cas. Il ne faut pas les rechercher ; si on les dénonce et qu’ils passent aux aveux, il faut les punir. Celui, toutefois, qui nie être chrétien et qui prouve son affirmation par ses actes, c’est-à-dire en adressant des supplications à nos dieux, obtiendra le pardon comme récompense de son repentir, quels que soient les soupçons qui pèsent sur lui pour le passé. Pour ce qui est des dénonciations anonymes dans quelque accusation que ce soit, il n’en faut pas tenir compte ; c’est un procédé exécrable, indigne de notre temps.

Trajan au gouverneur de Bythinie, c. 112 av. n.e.

 

Certificat de sacrifice (rescrit) du IIIe siècle (Égypte)

J’ai toujours sacrifié régulièrement aux dieux, et maintenant, en en votre prédence, conformément à la loi, j’ai procédé aux sacrifices, aux offrandes, aux dieux, et je sollicite qu’on certifie cela

Aurelius Diogenes.

Je certifie avoir constaté le sacrifice,

Fait la première année du règne de Caesar Gaius Messius, Quintus Trajanus Decius Pius Felix Augustus*,

[signature officielle d’un responsable]

*C. 250, sous Trajan-Dèce.

 

L’édit de tolérance de Galère (311 EC)

« L’empereur César Galère […] aux habitants des provinces, salut : parmi les autres dispositions que nous prenons toujours pour l’intérêt de l’État, nous avions décidé antérieurement de veiller à ce que même les chrétiens, qui avaient abandonné la foi de leurs pères, revinssent à de bonnes dispositions. […] Comme un grand nombre persévèrent dans leur position et que nous voyons qu’ils ne rendent pas aux dieux le culte et la dévotion qui leur sont dus, sans honorer pour autant le dieu des chrétiens […] nous avons pensé qu’il fallait aussi étendre immédiatement notre indulgence à leur égard, afin qu’à nouveau ils puissent être chrétiens et rebâtir leurs lieux de réunion à condition de ne rien faire contre l’ordre établi. »

Lactance (c. 260-325 EC), De la mort des persécuteurs, 34 dans Meslin-Palanque, Le christianisme antique, A. Colin, 1970.

Un seul Dieu, un seul empereur

« C’est de Dieu et à travers Dieu que l’empereur reçoit et revêt l’image de sa suprême royauté, et ainsi gouverne, à l’imitation de son seigneur, la barre de toutes les affaires de ce monde […] Dieu est le modèle du pouvoir royal, et c’est lui seul qui décide de l’établissement d’une autorité unique pour tous les hommes. La monarchie l’emporte comme système et méthode de gouvernement pour tous les États […] De même qu’il n’y a qu’un seul Dieu, de même il n’y a qu’un seul empereur […] »

D’après Eusèbe (c. 270-339),évêque de Césarée, discours en l’honneur de Constantin.

La lettre de Milan (313 EC)

« Ayant en vue tout ce qui intéresse l’utilité de la sécurité publique, nous pensons que, parmi les autres décisions profitables à la plupart des hommes, il faut en premier lieu placer celles qui concernent le respect dû à la divinité et ainsi donner, aux chrétiens comme à tous, la liberté de pouvoir suivre la religion que chacun voudrait, en sorte que ce qu’il y a de divin au céleste séjour puisse être bienveillant et propice à nous même et à tous ceux qui sont placés sous notre autorité.

De plus [en ce qui regarde les chrétiens], voici ce que nous croyons devoir décider : s’il apparaît que ces mêmes locaux où ils avaient auparavant l’habitude de se réunir […] ont été achetés antérieurement […], on devra les restituer aux chrétiens sans paiement et sans aucune exigence d’indemnité en évitant toute tromperie et toute équivoque.»

Lactance (c. 260-325 EC), De la mort des persécuteurs, 48, dans Meslin-Palanque, Le christianisme antique , A. Colin, 1970.

 

Le repos dominical

Que tous les juges, que les habitants  des villes, que les bureaux de toutes sortes se reposent le jour vénérable du soleil. Toutefois, à la campagne, ceux qui cultivent les champs peuvent travailler librement, comme ils le veulent ; en effet, il arrive souvent qu’on ne puisse pas semer le blé ou planter la vigne un autre jour, et que le beau temps, accordé un moment par la providence céleste, ne dure pas.

Fait le 5 des nones de juillet, les Césars Crispus et Constantin étant consuls. »

Loi de Constantin du 3 juillet 321 EC, dans le Code Justinien (529 EC), 111, 12, 2.

 

Un conflit empereur-évêque

« Vers le même temps la ville de Thessalonique fut la cause d’une grande tribulation pour l’évêque, quand il eut appris la destruction presque totale de cette ville. L’empereur, en effet, lui avait promis de pardonner aux citoyens de cette ville, mais les comtes agirent secrètement avec l’empereur, à l’insu de l’évêque, et la ville fut livrée au glaive pendant trois heures et beaucoup d’innocents furent massacrés […] Quand l’évêque connut ce fait il refusa à l’empereur l’accès de l’église et ne le jugea pas digne de se joindre aux fidèles ni de participer aux sacrements, avant d’avoir fait pénitence publique […] l’empereur eut à cœur de ne pas repousser la pénitence publique. »

Paulin (353-431 EC), Vie d’Ambroise, 24 dans Meslin-Palanque, Le christianisme antique, A. Colin, 1970

Le premier ermite connu : Antoine

« Or ce jour là, à l’église, on lut l’évangile et [Antoine] entendit le Seigneur dire au riche : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes, donne le aux pauvres et suis moi. » Antoine, persuadé que la lecture avait été faite pour lui, sortit aussitôt de l’église. Il tenait de ses parents trois cents aroures de terre fertile : il en fit cadeau aux gens du village, il vendit tous ses meubles et distribua aux pauvres tout l’argent qu’il en tira […], il fit d’abord l’apprentissage de l’ascèse devant sa maison et s’astreignit à une discipline sévère, car il n’y avait pas encore en Égypte beaucoup de monastères et Antoine ne savait rien encore du grand désert. Il vécut ainsi près de vingt ans en reclus menant la vie ascétique et ne se montrant pas. »

Athanase (295-373 EC), Vie d’Antoine, op. cit.

Antoine au désert

« La patrie d’Antoine fut l’Égypte. Il y naquit de parents honorables et riches qui, étant chrétiens, l’élevèrent chrétiennement […] Un jour, il entra dans l’église au moment même où on lisait le passage de l’Évangile où le Seigneur disait au jeune homme riche : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne le aux pauvres, puis viens, suis moi et tu auras un trésor dans le ciel. » […] Antoine distribua alors ses terres à ses voisins. Il vendit ses meubles et donna aux pauvres la somme assez importante qu’il en tira. Antoine se retire dans le désert d’Égypte pendant vingt ans. Là sa foi et sa piété lui donnaient continuellement le mérite du martyre qu’il faisait supporter à son corps, par l’austérité de sa vie. Car il jeûnait toujours et portait en permanence sur sa peau une tunique de poils de chèvre, et par dessus une autre de cuir qu’il ne quitta pas jusqu’à sa mort. Il ne lavait jamais son corps ni ne nettoyait ses pieds […]. »

D’après Athanase, op. cit.