Le personnage du gladiateur a depuis  l’Antiquité fasciné les hommes et suscité la curiosité. Le gladiateur suscite à la fois  fascination et répulsion chez ses contemporains. Cependant, et c’est là tout le paradoxe, jamais les gladiateurs n’ont fait l’objet d’un traité à part entière. Mais ils sont souvent mentionnés dans la littérature latine au travers de différents traités ou de lettres personnelles rédigées par les contemporains (Sénèque, Dion Cassius, Ovide…)

Pour illustrer cette idée, nous vous proposons ici deux extraits. Le premier provient d’un traité philosophique Les Tusculanes, rédigé par l’un des auteurs, philosophe et homme d’État les plus connus de son temps, Cicéron [106 avant JC- 43 avant JC] et publié en 45 av. J.-C.

Le second provient d’un auteur postérieur Quintus Septimius Florens Tertullianus, dit Tertullien [vers 150 – vers 220 après J.-C.]. Issu d’une famille bourgeoise de Carthage, il se convertit au christianisme et, durant toute sa vie, lutte compte le paganisme. C’est à ce titre que sa vision négative du gladiateur s’oppose à celle de Cicéron dans cet extrait issu de De spectaculis  (contre les spectacles). Ce livre est  rédigé à l’occasion des jeux séculaires organisés par l’Empereur Sévère lors de la douzième année de son règne. Tertullien cherche alors à démontrer aux Chrétiens qu’ils ne pouvaient assister aux spectacles du Cirque, du Théâtre, du Stade et de l’Amphithéâtre sans renier leur foi. Cependant, au-delà de montrer la volonté de Tertullien d’affirmer une identité chrétienne (austère) en rupture avec la société romaine païenne, l’intérêt du passage en question montre sa volonté de revenir aux origines des gladiateurs, qu’il fait remonter aux Étrusques. Les affirmations de Tertullien ont depuis été nuancées assez largement par les historiens spécialistes de l’Antiquité.


 

[…] Un homme éclairé, un philosophe ne pourra-t-il donc pas aussi bien qu’un vieux guerrier, montrer de la patience dans ses douleurs ? Oui sans doute il le pourra, et incomparablement mieux. Mais nous n’en sommes pas encore aux secours qui se tirent de sa raison : il s’agit présentement de ceux qui naissent de l’habitude. Une petite femme décrépite jeûnera sans peine deux et trois jours. Retranchez la nourriture à un athlète pendant vingt-quatre heures, il se croira mort, et appellera Jupiter à son aide, ce Jupiter l’Olympien, à qui ses travaux sont consacrés. Telle est la force de l’habitude. Passer les nuits au milieu des neiges, et brûler toute la journée au soleil, c’est l’ordinaire des chasseurs. On n’entend pas même gémir ces athlètes, qui se meurtrissent à coups de cestes. Que dis-je ? Une victoire remportée aux jeux Olympiques est à leurs yeux ce qu’a été autrefois le consulat dans Rome. Mais les gladiateurs, des scélérats, des barbares, jusqu’où ne poussent-ils point la constance ? Pour peu qu’ils sachent bien leur métier, n’aiment-ils pas mieux recevoir un coup, que de l’esquiver contre les règles ? On voit que ce qui les occupe davantage, c’est le soin de plaire, et à leur maître, et aux spectateurs. Tout couverts de blessures, ils envoient demander à leur maître s’il est content : que s’il ne l’est pas, ils sont prêts à tendre la gorge. Jamais le moindre d’entre eux a-t-il, ou gémi, ou changé de visage ? Quel art dans leur chute même, pour en dérober la honte aux yeux du public ? Renversés enfin aux pieds de leur adversaire, s’il leur présente le glaive, tournent-ils la tête ? Voilà ce que l’exercice, la réflexion et l’habitude ont de pouvoir. Quoi donc, un Samnite, un coquin, le dernier des mortels, pourra s’élever à ce degré de courage ? Et il y aura dans le coeur d’un homme né pour la gloire, un endroit si faible, que ni raison ni réflexion ne puissent le fortifier ? Quelques personnes traitent d’inhumanité le spectacle des gladiateurs : et je ne sais si, tel qu’il est aujourd’hui, on ne doit pas effectivement le regarder ainsi. Mais lorsque des criminels étaient seuls employés à ces sortes de combats, il ne pouvait y avoir, du moins pour les yeux, une école où l’on apprît mieux à mépriser la douleur et la mort.[…]

Cicéron, Les Tusculanes, livre II « De la douleur qu’on doit supporter », 17, extrait

Il nous reste à signaler le plus fameux et le plus agréable de tous les spectacles. On l’a d’abord appelé devoir, comme qui dirait office, parce qu’office et devoir signifient la même chose. Les anciens s’imaginaient que ces spectacles étaient un devoir rendu aux morts, surtout depuis qu’ils eurent tempéré la barbarie de ces hommages. Autrefois, en effet, dans la persuasion que le sang humain apaisait les âmes des morts, on égorgeait sur leurs tombeaux les captifs, ou des esclaves de mauvais aloi achetés dans ce but. On trouva convenable, dans la suite, de couvrir des voiles du plaisir cette exécrable impiété. Après que l’on avait instruit ces misérables à manier des armes, quelles armes et comment? peu importait pourvu qu’ils apprissent à s’entre-tuer, on les immolait sur des tombeaux, le jour marqué pour les sacrifices funèbres. C’est ainsi que l’on consolait la mort par l’homicide. Telle fut l’origine du devoir. Peu à peu, il devint d’autant plus agréable qu’il fut plus cruel. On ne se contenta plus du fer; il fallut que les dents et les ongles des bêtes féroces déchirent le corps de l’homme. Les victimes étaient regardées comme un sacrifice en l’honneur des morts : idolâtrie véritable, puisque l’idolâtrie est une espèce de culte rendu aux morts. Des deux côtés, honneurs funèbres et idolâtrie, on trouve le culte des morts. Or, des démons séjournent dans les idoles ; cela nous conduit à considérer en ce moment les titres. Quoique ce spectacle ait préféré l’honneur des morts à l’honneur des vivants, je veux dire des questeurs, des magistrats, des pontifes et des flamines, comme ces dignités touchent à l’idolâtrie, tout ce qui se pratique sous le voile de ces dignités doit être nécessairement souillé et corrompu, puisque la source en est infecte. Même reproche à l’appareil qui accompagne ces honneurs. La pourpre, les bandelettes, les couronnes, les harangues, les proclamations, les festins de la veille, qu’est-ce que tout cela, sinon la pompe de Satan, sinon les plaisirs des démons? Que dire de ce lieu exécrable, dont les parjures ne rachètent pas l’infamie ? En effet, dans l’amphithéâtre siègent des divinités plus cruelles et plus nombreuses que dans le Capitole lui-même. Il est le temple de tous les démons. Là autant d’esprits immondes que d’hommes. Enfin, pour achever ce qui concerne les arts, Mars et Vénus président aux deux exercices de l’amphithéâtre. 

Tertullien, De spectaculis, XII – Traduit par E.-A. de Genoude

Pour aller plus loin :

    • Duprat, A.,« Ne mangeons pas avec le diable ». La haine dans le traité Des spectacles de Tertullien. Littératures classiques, 2009, N° 98(1), 29-40.
    • Bernet, Anne, Histoire des gladiateurs, Tallandier, 2023 (rééd.), 384 pages.
    • Claude Aziza, l’Antiquité romaine décryptée au-delà des clichés cinématographiques, France Bleu, 13 novembre 2024, ICI
ensemble d’armures et d’armes de gladiateurs découvert à Pompéi en 1766 comprend des casques intégraux et des épées courtes (en haut), ainsi que des jambières et des boucliers finement décorés (en bas). Musée archéologique national de Naples – National Geographic

Supplément pop culture

Gladiator, réalisé par Ridley Scott, 2000, avec Russel Crowe, Joaquin Phoenix, Connie Nielsen. Genre : péplum (et non film historique !)

Synopsis : « Le général romain Maximus est le plus fidèle soutien de l’empereur Marc Aurèle, qu’il a conduit de victoire en victoire avec une bravoure et un dévouement exemplaires. Jaloux du prestige de Maximus, et plus encore de l’amour que lui voue l’empereur, le fils de Marc Aurèle, Commode, s’arroge brutalement le pouvoir, puis ordonne l’arrestation du général et son exécution. Maximus échappe à ses assassins mais ne peut empêcher le massacre de sa famille. Capturé par un marchand d’esclaves, il devient gladiateur et prépare sa vengeance. »