Pour appréhender le personnage de Caracalla (Antonin), Dion Cassius s’impose comme l’une des sources incontournables.

Lucius Claudius Cassius Dio est né vers 163 à Nicée en Bithynie dans une famille sénatoriale. Il y meurt vers 235. Homme politique et historien romain d’expression grecque, Dion Cassius est proche des empereurs Septime Sévère et Sévère Alexandre, ainsi que de Julia Domna. Sa carrière politique est importante : questeur en 188, consul suffect en 205, consul éponyme en 229 avec l’empereur Sévère Alexandre, Dion Cassius occupe aussi plusieurs postes de gouverneur de province, notamment en Afrique en 222.

Il est, enfin, connu pour avoir rédigé à la fin de sa vie une Histoire romaine, ouvrage de 80 livres en partie conservés qui retracent les 973 ans de la vie de Rome, de sa fondation à Alexandre Sévère en 229. Dans l’extrait qui suit, Dion Cassius brosse le portrait assez négatif de Caracalla [188-2017], ici nommé Antonin et souligne entre autres choses, l’admiration de l’Empereur pour Alexandre le Grand. Cet extrait se situe juste après le récit de l’assassinat de son frère Geta.


 

[…] Il avait pour Alexandre une passion telle, qu’il se servait de certaines armes et de certaines coupes comme si elles eussent appartenu à ce prince, et, de plus, lui dressa de nombreuses statues dans le camp et même à Rome ; qu’il composa une phalange d’Alexandre, l’arma des armes en usage dans le temps de ce prince, c’est-à-dire d’un casque en cuir de boeuf cru, d’une cuirasse de lin en triple tissu, d’un bouclier d’airain, d’une longue lance, d’un trait court, de sandales et d’une épée. Cela ne lui suffit pas ; il se fit appeler l’Auguste d’Orient ; il écrivit même un jour au sénat que l’âme d’Alexandre était entrée de nouveau dans le corps de l’Auguste, afin d’y trouver une nouvelle existence plus longue, sa première vie ayant eu peu de durée. Il avait une si forte haine pour les philosophes appelés aristotéliciens, qu’il voulut brûler les livres de leur maître, supprima leur banquet à Alexandrie et les autres privilèges dont ils jouissaient, leur reprochant, entre autres griefs, la tradition qui faisait Aristote complice de la mort d’Alexandre. Telle était sa conduite, et, de plus, par Jupiter, il eut l’idée de mener avec lui un grand nombre d’éléphants, afin de passer pour imiter Alexandre ou plutôt Bacchus.

Sa vénération pour Alexandre lui inspirait tant d’amour pour les macédoniens, qu’ayant un jour loué un tribun militaire macédonien de la légèreté avec laquelle il avait sauté sur un cheval, il lui demanda tout d’abord : « De quel pays es-tu ? » puis, quand il eut appris que cet officier était de la Macédoine, il lui fit cette question : « Quel est ton nom ? » ensuite, lorsqu’il sut de sa bouche qu’il avait nom Antigone, il ajouta : « Comment s’appelait ton père ? » et ce père s’étant trouvé être un Philippe : « C’est, dit-il, tout ce que je désirais, » et il éleva immédiatement ce tribun aux autres grades militaires, puis, peu après, le mit au rang des sénateurs ayant exercé la préture. Une autre personne, complètement étrangère à la Macédoine, et coupable de crimes nombreux, à raison desquels sa cause venait en appel devant l’empereur, avait pour adversaire un orateur qui, attendu que l’accusé s’appelait Alexandre, ne cessait de répéter « cet homicide Alexandre, cet Alexandre ennemi des dieux. » Antonin s’en irrita comme si les injures se fussent adressées à sa personne, et s’écria : « Si Alexandre ne te secourt pas, tu es perdu. »

Cet Antonin [Caracalla], ce grand philalexandre, ne reculait pas devant les dépenses lorsqu’il s’agissait de ses soldats ; quant aux autres hommes, il ne s’occupait d’eux que pour les piller, les dépouiller, les tourmenter, et surtout les sénateurs. [En effet, indépendamment des couronnes d’or qu’il demandait à chaque instant, comme s’il n’eut cessé de remporter des victoires (je ne parle pas seulement des couronnes qui furent fabriquées quelle importance a cela ? Mais des sommes immenses que les villes ont coutume de donner aux empereurs sous le nom d’or coronaire) ; des nombreux approvisionnements pour lesquels on nous mettait de toute part à contribution, tantôt à titre gratuit, tantôt en nous imposant des dépenses, approvisionnements qu’il distribuait tous en largesses aux soldats, on leur vendait comme un cabaretier ; des présents qu’il réclamait des particuliers riches et des peuples ; des impôts, tant des nouveaux qu’il établit, que de celui du dixième en remplacement de celui du vingtième, dont il frappa les affranchissements, les legs, les donations de toute nature par abolition des successions ab intestat et des immunités accordées, dans ces circonstances, aux proches parents des défunts (c’est pour cela que tous les habitants de l’empire furent, sous apparence d’honneur, mais en réalité pour plus de revenus à l’empereur, attendu que les étrangers étaient exempts de la plupart de ces taxes, déclarés citoyens romains) ; en dehors, dis-je de tout cela,] nous étions contraints, lorsqu’il sortait de Rome, de lui préparer, à nos propres frais, des demeures de toute sorte et des lieux de repos somptueux au milieu des routes, même les plus courtes, dans des endroits où non seulement il ne s’arrêta jamais, mais dont il y avait quelques-uns qu’il ne devait même pas voir. De plus, nous construisions des amphithéâtres et des cirques partout où il passait ou espérait passer l’hiver, sans recevoir de lui aucune indemnité. Le tout était aussitôt abattu, tellement il n’avait en cela d’autre intention que de nous ruiner. […]

Histoire romaine de Dion Cassius traduite en français, avec des notes critiques, historiques, etc., et le texte en regard […] par E. Gros inspecteur de l’académie de Paris, Paris, 1889, Librairie de Firmin Didot et Cie, tome 10, extrait du livre LXXVII 

Pour aller plus loin :

  • Marie-Laure Freyburger Dion Cassius, un Gréco-romain du IIe siècle, Dialogues d’histoire ancienne, Supplément 9, 2013, 77-90
  • Guy Lachenaud, Le monde selon Cassius Dion : autopsis, savoirs empruntés et représentationsRevue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, 2018, Tome XCII(1), 39-61. 

Mise en ligne et texte de présentation : Cécile Dunouhaud

Choix du texte : Ludovic Chevassus