Suétone (70-122 ap. J.-C.) était un haut fonctionnaire romain, ami, entre autres, de Pline le Jeune. Sous Trajan et sous Hadrien, il eut la charge des archives, des bibliothèques et de la correspondance impériale. Il fut aussi un auteur prolifique puisque, outre ses Vies des douze Césars, il s’était également intéressé à la Grèce, aux coutumes des Romains ou encore aux signes de ponctuation.

Il est, dans les biographies des Césars de cet auteur, un premier « mauvais empereur » que les Romains ont pu opposer à leurs « bons empereurs », comme l’écrit Nicolas Tran (N.Tran, Caligula, PUF, 2021, p.10) : Caligula. L’empereur Caligula aurait été le champion de l’hybris dans tous les domaines : hommages inconditionnels à sa personne, mœurs sexuelles déréglées, goût immodéré pour les spectacles, cruauté et humiliations gratuites. Le même Nicolas Tran écrit (p.86) que « Caligula a dirigé l’Empire romain pendant quatre ans, en bien ou mal et avec sa personnalité. Il s’est malgré tout investi dans sa fonction de dirigeant suprême, si bien que derrière les condamnations d’ordre moral qui sont adressées, on peut se demander si ce n’est pas un mode de gouvernement ouvertement monarchique qui lui est reproché ».

La liste des turpitudes de Caligula chez Suétone est tellement étendue, que l’on est conduit ici à n’en mentionner qu’une infime partie (mais non des moindres). L’historien romain nous prévient plus en amont dans sa Vie de Caligula (XXII): « jusqu’ici nous avons parlé d’un prince; il nous reste à parler d’un monstre ».


« XXIX. Ses crimes les plus monstrueux s’aggravaient de paroles atroces. Ce qu’il admirait, disait-il, et prisait avant tout dans son caractère, c’était, pour me servir de sa propre expression, son adiatrepsia (c’est à dire son effronterie). Sa grand-mère Antonia lui adressant une remontrance, il lui répondit, comme s’il n’eut pas suffi de lui désobéir: « Souvenez-vous que j’ai tout pouvoir et sur tout le monde ». Sur le point de faire égorger son cousin germain, parce qu’il soupçonnait que la crainte lui faisait prendre des contrepoisons, il lui dit : « Eh quoi ! un antidote contre César ? » Après avoir relégué ses sœurs, il leur écrivait, à titre de menace qu’ « il possédait non seulement des îles, mais aussi des glaives ». Comme un ancien préteur, de sa retraite d’Anticyre, où il s’était rendu pour des raisons de santé, lui demandait par trop souvent des prolongations de congé, il envoya l’ordre de le mettre à mort, en ajoutant qu’ « une saignée lui était nécessaire, puisqu’après si longtemps l’hellébore de le guérissait pas ». Tous les dix jours, il arrêtait la liste des prisonniers à exécuter, ce qu’il appelait « apurer ses comptes ». Ayant condamné à la fois un grand nombre de Gaulois et de Grecs, il se vantait « d’avoir soumis la Gallo-Grèce ».

XXX. il n’admit pour ainsi dire jamais que l’on exécutât quelqu’un autrement qu’à petits coups multipliés, et l’on connaissait bien son éternelle recommandation: « Frappe-le de telle façon qu’il se sente mourir ». Comme on avait condamné à mort, en se trompant de nom, un condamné différent de celui qu’il avait désigné, il déclara que tous deux avaient mérité la même peine. Souvent il répétait ce vers de tragédie: « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent! » (…)

XXXI. Il avait même coutume de déplorer ouvertement la malchance de son époque, parce qu’elle n’était marquée par aucune catastrophe publique, le principat d’Auguste ayant eu pour l’illustrer le désastre de Varus, celui de Tibère, l’écroulement de l’amphithéâtre à Fidènes, tandis que le sien était menacé de l’oubli, du fait de sa prospérité ; il souhaitait à tout instant un massacre de ses armées, une famine, une peste, des incendies, un cataclysme quelconque ».

Suétone, Caligula, XXIX-XXXI.