Panem et circenses, sont les deux termes-clé qui, pour certains, résument l’Antiquité romaine. Si Gladiator II, le dernier film de Ridley Scott, a su attirer les foules, nombreuses sont, depuis, les conversations sur le réalisme de certaines scènes, en particulier celles concernant les jeux du cirque et la potentielle présence de requins (!) dans l’arène. Au-delà de la fiction (car oui! Gladiator II emprunte certes à l’histoire mais s’en écarte aussi à dessein), il est toujours utile de (re)parcourir quelques textes afin d’aborder le sujet.
Les extraits choisis proviennent de la Vie des douze Césars, rédigé par Suétone [vers 70 – 140 ap. JC]. Haut fonctionnaire romain, issu de l’ordre équestre, Suétone est l’auteur de nombreux ouvrages dont le plus connu reste la Vie des douze Césars, ouvrage proposant les biographies des César ayant dirigé Rome, de Jules César à Domitien. Même si une partie de ses propos restent sujet à caution, son œuvre reste incontournable.
le premier extrait revient sur les naumachies (spectacles nautiques) organisées par César. Si les requins sont absents, le spectacle, grandiose, montre la débauche de moyens déployés pour assurer le spectacle. Le second extrait est important pour une phrase mythique, passée à la postérité : « ave Caesar moritori te salutant « , uniquement attestée pourtant sous le règne de l’Empereur Claude, en 52, et prononcée non par des gladiateurs mais par des condamnés à mort destinés à combattre lors d’une naumachie.
Extrait n° 1 : les naumachies de Jules César
[…] Il donna des spectacles de divers genres : des combats de gladiateurs, des pièces de théâtre jouées dans tous les quartiers de la ville, et même par des acteurs parlant toutes les langues, des jeux dans le cirque, des combats d’athlètes, une naumachie. On vit combattre dans le forum, parmi les gladiateurs, Furius Leptinus, d’une famille prétorienne, et Q. Calpenus, qui avait été sénateur et avocat. Les enfants de plusieurs princes d’Asie et de Bithynie dansèrent la pyrrhique. Aux jeux scéniques, Decimus Laberius, chevalier romain, joua un mime de sa composition. Il reçut de César cinq cents sesterces et un anneau d’or ; et, de la scène, il alla, en traversant l’orchestre, s’asseoir sur l’un des quatorze gradins (réservés aux chevaliers). Au cirque, l’arène fut agrandie des deux côtés ; on creusa tout autour un fossé qui fut rempli d’eau, et l’on vit des jeunes gens des plus nobles familles faire courir dans cette enceinte des chars à deux et à quatre chevaux, ou sauter alternativement sur des coursiers dressés à cette manœuvre. Des enfants, partagés en deux troupes, suivant la différence de leur âge, célébraient les jeux appelés Troyens. Cinq jours furent consacrés à des chasses. Le dernier spectacle fut celui d’une bataille rangée entre deux armées, et où combattirent, de part et d’autre, cinq cents fantassins, trente cavaliers et vingt éléphants. Afin d’ouvrir à ces troupes un plus vaste champ de bataille, on avait enlevé les bornes et dressé à leur place deux camps opposés l’un à l’autre. Des athlètes luttèrent, pendant trois jours, dans un stade construit exprès dans le quartier du champ de Mars. Pour la naumachie, un lac fut creusé dans la petite Codète, où s’affrontèrent des vaisseaux tyriens et égyptiens, à deux, à trois, à quatre rangs de rames, et chargés de soldats. L’annonce de tous ces spectacles avait attiré à Rome une si prodigieuse affluence d’étrangers, que la plupart d’entre eux couchèrent sous des tentes, dans les rues et dans les carrefours, et que beaucoup de personnes, entre autres deux sénateurs, furent écrasées ou étouffées dans la foule. […]
Suétone, Vie des douze Césars, César XXXIX – Traduction de Théophile Baudement (1845)
Extrait n°2 : » Ave Caesar ! Moritori te salutant ! «
[…] Il distribua souvent des congiaires au peuple. Il donna des jeux aussi fréquents que magnifiques ; et il ne s’en tint pas aux représentations ordinaires, dans les lieux accoutumés : il imagina d’autres spectacles, il en fit revivre d’anciens, et il y consacra de nouveaux emplacements.
Quand il eut reconstruit le théâtre incendié de Pompée, il donna le signal des jeux de la dédicace, du haut d’un tribunal placé dans l’orchestre, après avoir sacrifié aux dieux dans la partie supérieure de l’édifice, d’où il était descendu prendre sa place, en traversant l’enceinte, devant toute l’assemblée assise et silencieuse. Il célébra aussi les jeux séculaires, dont il prétendit alors qu’Auguste avait avancé l’époque, quoiqu’il dise lui-même, dans ses mémoires, «que cet empereur, après une longue interruption, les avait ramenés au temps préfix, par un calcul fort exact des années écoulées». Aussi se moqua-t-on beaucoup de l’annonce du crieur public, lorsqu’il convia le peuple, selon la formule solennelle, «à des jeux que personne n’avait vus et ne reverrait jamais» ; car il existait encore des citoyens qui les avaient déjà vus ; et quelques acteurs, qui avaient paru sur la scène à ces derniers jeux, y reparurent à ceux-ci.
Il donna souvent des jeux de Cirque sur le Vatican, et quelquefois, après cinq courses de chars, il y avait chasse de bêtes fauves. Il orna le grand Cirque de barrières de marbre et de bornes dorées, tandis qu’elles étaient autrefois de bois ou de mauvaise pierre. Il y assigna des places aux sénateurs, qui, avant lui, n’en avaient pas de marquées. Outre les luttes des quadriges, il donna le spectacle des jeux troyens et des chasses africaines, exécutées par un escadron de cavaliers prétoriens, leurs tribuns en tête et le préfet lui-même avec eux. Il fit voir aussi ces cavaliers thessaliens qui poursuivent dans le Cirque des taureaux sauvages, leur sautent sur le dos, après les avoir lassés à la course, et les terrassent en les saisissant par les cornes.
Il multiplia les spectacles de gladiateurs, et en donna de plusieurs espèces : un qui fut annuel, dans le camp des prétoriens, mais sans appareil et sans combat de bêtes ; un autre, au champ de Mars, dans la forme et de la longueur accoutumées ; un autre encore, dans le même endroit, mais tout nouveau, de peu de durée, et qu’il appela la sportule, parce que, en l’annonçant pour la première fois, il avait dit «qu’il invitait le peuple comme à un petit souper impromptu et sans cérémonie». Il n’y avait point de spectacle où il se montrât plus affable et plus gai : on le voyait compter sur les doigts de sa main gauche et à haute voix, comme le peuple, les pièces d’or offertes aux vainqueurs ; inviter lui-même et exciter tous les spectateurs à la joie, les appelant de temps en temps ses maîtres, et mêlant parfois à ses propos des plaisanteries d’assez mauvais goût, comme le jour où, l’assemblée réclamant le gladiateur Palumbus, il répondit : «Je le donnerai, si on peut le prendre». Le trait suivant avait du moins le mérite d’être un sage conseil donné à propos. Ayant accordé la baguette de congé à un gladiateur de char, dont les quatre fils l’en avaient prié, et voyant toute l’assemblée applaudir, il fit aussitôt circuler des tablettes, où il représentait au peuple «tout l’avantage qu’il y avait à faire des enfants, puisqu’ils étaient une source de faveur et une force, même pour un gladiateur. Il fit représenter dans le champ de Mars, comme une image de la guerre, la prise et le sac d’une ville et la soumission des rois de la Bretagne ; et il y présida lui-même en costume de général.
Avant de dessécher le lac Fucin, il voulut y donner une naumachie ; mais les combattants ayant crié, en passant devant lui, «Empereur Claude, nous te saluons avant de mourir», et Claude leur ayant répondu «Salut à vous !» ils ne voulurent plus combattre, disant que cette réponse était leur grâce. Il délibéra quelque temps s’il les ferait tous périr par le fer ou par le feu : enfin, il s’élança de son siège, courut çà et là autour du lac, d’un pas chancelant et d’une façon ridicule, menaçant ceux-ci, priant ceux-là ; et il finit par les décider à combattre. On vit s’aborder, dans ce spectacle, une flotte sicilienne et une flotte rhodienne de douze trirèmes chacune. Le signal en fut donné par la trompette d’un Triton d’argent, qu’une machine avait fait surgir du milieu du lac. […]
Suétone Vie des douze César, Claude, XXI, ses spectacles – Traduction de Théophile Baudement (1845)