Le géographe Strabon est originaire d’Asie Mineure. Né vers 63 avant notre ère à Amasée, il a beaucoup voyagé (il est allé jusqu’en Ethiopie) et a fait plusieurs séjours à Rome. Auteur d’une œuvre historique complétement perdue, il a également rédigé une Géographie en grec qui, elle, est parvenue jusqu’à nous. Comprenant 17 livres, l’ouvrage décrit les trois continents connus des Anciens : l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Strabon offre à ses lecteurs, plutôt un public de lettrés, des commentaires associant géographies physique et humaine.
Le livre IV de sa Géographie est consacré à la Gaule, aux Alpes et à la Bretagne (l’actuelle Grande-Bretagne).
L’extrait présenté ici évoque le fameux « or de Toulouse », épisode qui a longtemps contribué à alimenter les imaginaires, jusqu’à aujourd’hui.
Au début du IIIe siècle avant notre ère, des Gaulois, dont des Tectosages, se rendent en Orient. En 278 avant notre ère, ils pillent le sanctuaire de Delphes et prennent possession de son trésor. Une partie des Tectosages, revenue en Gaule avec ces richesses, les auraient déposées dans les sanctuaires de Toulouse.
En 106 avant notre ère, les Volques Tectosages font prisonnière la garnison romaine de Toulouse. Le consul Quintus Servilius Caepio (mentionné dans le texte) est envoyé sur place ; il prend possession de la ville, pille ses sanctuaires et envoie le trésor à Rome.  Sur la route, Le convoi est attaqué et l’or disparaît. Le destin de Caepio et de ses filles est funeste, comme l’indique Strabon dans l’extrait.
Reste que le géographe doute que l’or trouvé par le consul Servilius Caepio vienne réellement de Delphes. Il écrit que les Gaulois n’avaient eu que peu de chance de revenir « sains et saufs » après « leur retraite de Delphes » et que le sanctuaire avait déjà été pillé par les Phocidiens.
Strabon pense plutôt que les richesses viennent du territoire des Tectosages (« la contrée est riche en or »).
Patrick Thollard (Promenades archéologiques, Voyage avec Strabon. La Gaule retrouvée, éditions errance, 2011, p.102-103) apporte plusieurs démentis à l’affirmation du géographe grec : absences de ressources en or suffisantes dans la région et aucune trace archéologique des sanctuaires ou lacs mentionnés par Strabon. Surtout, P.Thollard revient sur le montant des richesses évoquées par Strabon : 15 000 talents grecs correspondent à 70 tonnes d’or et d’argent en métal brut. L’historien écrit ainsi qu’on a estimé qu’il aurait fallu, pour les transporter, 200 chariots ou 400 mulets avec un convoi qui se « serait étalé sur plus de 2 km »!
L’or de Toulouse a donc toute les chances, écrit-il, « d’avoir été une belle légende », offrant de la Gaule, par ailleurs, la vision d’un « El Dorado ».


« L’or de Toulouse chez Strabon »

« Ceux que l’on nomme Tektosages avoisinent la Pyrènè et ils atteignent aussi, en quelques points, le versant septentrional des Kemména (Les Cévennes).
(…) A propos des Tektosages, on dit aussi qu’ils ont pris part à l’expédition contre Delphes et même que les trésors qu’avait trouvés chez eux Caepio, général des romains, dans la ville de Tôlossa (Toulouse), étaient une partie des richesses rapportées de là-bas, que la population avait augmentées par des consécrations faîtes sur leurs biens propres et par des offrandes destinées à s’attirer la faveur du dieu. C’est pour y avoir mis la main que Caepio termina sa vie dans le malheur: exilé par sa patrie comme voleur sacrilège, il laissa comme héritières des filles qui tombèrent dans la prostitution -à ce que rapporte Timagène- et moururent dans l’ignominie.
La version de Poseidonios est plus crédible. D’abord les richesses trouvées à Tôlossa se montaient – dit-il- à environ 15000 talents, elles étaient déposées soit dans des enclos soit dans des lacs sacrés, il ne s’agissait pas d’objets élaborés mais d’or et d’argent à l’état brut.
D’autre part, le sanctuaire de Delphes, déjà à cette époque, ne contenait plus de tels trésors, pillé qu’il avait été par les Phocidiens lors de la guerre sacrée; en fut-il resté, le partage l’eût éparpillé. Enfin, quelle chance que (les Tectosages) aient regagné sains et saufs leur patrie, quand on connaît la fin lamentable de l’aventure – après leur retraite de Delphes et que la discorde eut provoqué la dispersion générale – ? En revanche (et là, Poseidonios s’accorde avec nombre d’autres auteurs), comme la contrée est riche en or, qu’elle appartient à une population qui, à la fois, craint les dieux et est peu portée sur le luxe, ils possédaient des trésors en de nombreux points de la Keltikè, tout particulièrement dans les lacs qui leur garantissaient l’inviolabilité et où ils ont jeté des lingots d’argent et d’or (D’ailleurs, lorsque les Romains, devenus maîtres des lieux, vendirent les lacs pour le compte du trésor public, de nombreux acheteurs y trouvèrent des blocs d’argent martelés en forme de meules). A Tôlossa, le sanctuaire était également objet de piété – les habitants de la contrée l’entouraient d’une extraordinaire vénération et, de ce fait, les richesses y surabondaient: foule de gens y portaient des offrandes et nul n’aurait eu l’audace d’y toucher ».

Strabon, Géographie, Livre IV, 1, 13 (traduction de Patrick Thollard)