Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles, Marquise de Lambert [1647-1733] est la fille unique d’Étienne de Marguenat, seigneur de Courcelles, qui décède alors qu’elle n’a que 3 ans. Anne-Thérèse est élevée par sa mère et son second mari François de Bachaumont, un poète qui lui fait découvrir la littérature. En , elle épouse Henri de Lambert, marquis de Saint-Bris, lieutenant général et gouverneur du Luxembourg et avec qui elle a deux enfants. Veuve en 1686, la Marquise de Lambert décide en 1698 de louer la moitié de l’hôtel de Nevers, à Paris. En 1710, elle lance son salon littéraire où elle accueille deux fois par semaine de nombreuses personnalités : son ami Fénelon, l’abbé de Choisy, mais aussi Madame Dacier et la poétesse Catherine Bernard. Précurseure des Lumières, elle soutient la publication des Lettres persanes en 1721 et parvint, grâce à son influence, à faire élire Montesquieu à l’Académie française en 1728.
Très active intellectuellement, Mme de Lambert n’hésite pas à prendre la plume et à publier quelques-unes de ses réflexions, consacrées à l’éducation (Avis d’une mère à son fils, 1726). Mais, en 1727, paraît anonymement Réflexions nouvelles sur les femmes contre sa volonté, ce texte n’ayant été distribué qu’à un cercle d’amis restreint, ce qui blesse profondément la Marquise. Dans cet ouvrage qui ne manque pas d’intérêt, elle revient sur la question de l’éducation des femmes pour en déplorer, entre autres, la médiocrité et la superficialité mais aussi la domination masculine qui accompagne ces dernières.
Le livre de Don Quichotte, selon un auteur espagnol, a perdu la monarchie d’Espagne, parce que le ridicule qu’il a répandu sur la valeur, que cette nation possédait autrefois dans un degré si éminent, en a aboli et énervé le courage.
Molière en France a fait le même désordre, par la comédie des femmes savantes. Depuis ce temps-là, on a attaché presque autant de honte au savoir des femmes, qu’aux vices qui leur sont le plus défendus. Lorsqu’elles se sont vues attaquer sur des amusements innocents, elles ont compris que, honte pour compte, il fallait choisir celle qui leur rendait avantage, et elles se sont livrées au plaisir.
Le désordre s’est accru par l’exemple, et a été autorisé par les femmes en dignité ; car la licence et l’impunité sont les privilèges de la grandeur : Alexandre nous l’a appris. […]La société a-t-elle gagné dans cet échange du goût des femmes ? Elles ont mis la débauche à la place du savoir, le précieux qu’on leur a tant reproché, elles l’ont changé en indécence : par là elles se sont dégradées, et sont déchues de leur dignité ; car il n’y a que la vertu qui leur conserve leur place, et il n’y a que les bienséances, qui les maintiennent dans leur droit. Mais plus elles ont voulu ressembler aux hommes de ce côté-là, et plus elles se sont avilies.
Les hommes par la force plutôt que par le droit naturel, ont usurpé l’autorité sur les femmes ; elles ne rentrent dans leur domination que par la beauté et par la vertu : si elles peuvent rejoindre les deux, leur empire sera plus absolu : mais le règne de la beauté est peu durable. On l’appelle une courte tyrannie ; elle leur donne le pouvoir de faire des malheureux, mais il ne faut pas qu’elles en abusent.
Le règne de la vertu est pour toute la vie : c’est le caractère des choses estimables et de redoubler de prix par leur durée, et de plaire par le degré de perfection qu’ils ont, quand elles ne pèsent plus par le charme de la nouveauté. Il faut penser qu’il y a peu de temps à être belle, et beaucoup plus à ne l’être plus ; que quand les grâces abandonnent les femmes, elles se soutiennent que par les parties essentielles, et par les qualités estimables. Il ne faut pas qu’elles espèrent allier une jeunesse voluptueuse et une vieillesse honorable. Quand une fois la pudeur est immolée, elle ne revient pas plus que les belles années : c’est elle qui sert leur véritable intérêt : elle augmente la beauté : elle en est la fleur : elle sert d’excuse à la laideur : elle est le charme des yeux, l’attrait des cœurs, la caution des vertus, l’union et la paix des familles.
Extrait pages 5 à 11
[…] Les femmes pourraient dire : quelle est la tyrannie des hommes ! Ils veulent que nous ne fassions aucun usage de notre esprit ni de nos sentiments. Ne doit-il pas leur suffire de régler tout le mouvement de notre cœur, sans se saisir encore de notre intelligence ? Ils veulent que la bienséance soit aussi blessée, quand nous en ont notre esprit, que quand nous livrons notre cœur. C’est étendre trop loin leurs droits.[…]
Extrait page 12
[…] Les femmes d’ordinaire ne doivent rien à l’art. Pourquoi trouver mauvais qu’elles aient un esprit qui ne leur coûte rien ? Nous gâtons toutes les dispositions que leur a donné la nature : nous commençons par négliger leur éducation : nous n’occupons leur esprit à rien de solide, et le cœur en profite : nous les destinons à plaire, et elles ne nous plaisent que par leur grâce ou par leurs vices, il semble qu’elles ne soient faites que pour être un spectacle agréable à nos yeux. Elles ne songent donc qu’à cultiver leurs agréments, et se laissent aisément entraîner au penchant de la nature ; elles ne se refusent pas à des goûts qu’elles ne croient pas avoir reçu de la nature, pour les combattre.
Mais ce qu’il y a de singulier, c’est qu’en les formant pour l’amour, nous leur en défendons l’usage. Il faudrait prendre parti : si nous ne les destinons qu’à plaire, ne leur défendons pas l’usage de leurs agréments : si vous les voulez raisonnables et spirituelles, ne les abandonnez pas, quand elles n’ont que cette sorte de mérite ; mais nous leur demandons un même mélange et un aménagement de ces qualités, qu’il est difficile d’attraper et de réduire à une mesure juste. Nous leur voulons de l’esprit, mais pour le cacher, l’arrêter et l’empêcher de rien produire.[…]
Extrait page 29 à 31
Anne – Thérèse de Marguenat de Courcelles, Marquise de Lambert Réflexions nouvelles sur les femmes, par une dame de la Cour, Paris, François Lebreton Père librairie, avec approbation et privilège du roi, 1727,74 pages
Note : l’orthographe d’origine a été modernisée.