Combat, sous-titré Le Journal de Paris, est un journal quotidien français clandestin né en 1941. Il est alors l’ organe de presse du mouvement de résistance Combat. Il a été publié de 1941 à 1974. Dès le début, et jusqu’à sa disparition en 1974, il bénéficie de signatures prestigieuses (Albert Camus, Sartre, Malraux …).

En 1953, comme la majorité de la presse française, Combat, qui bénéficie d’un lectorat important, s’enthousiasme pour le couronnement d’Elizabeth II. À cette occasion, le rédacteur en chef du journal, Jean Fabiani, livre cette analyse en comparant les deux pays et en interrogeant la notion de patriotisme dans son éditorial, dans un contexte où le souvenir de la Seconde Guerre mondiale et les valeurs portées par la Résistance sont encore vifs.


 

La nation britannique est en fête. Après tant d’épreuves, une lutte à mort contre l’agresseur hitlérien, les bombardements terrifiants, les privations et les deuils, elle a affronté, dès la paix revenue, une autre bataille, celle de la justice sociale recherchée de pair avec le relèvement national.
L’avenir du monde est sombre, la paix est de nouveau menacée, mais, solide, maîtresse de ses destinées, sûre de l’adhésion de tous ses citoyens pour lesquels le patriotisme reste une réalité vivante, la Grande-Bretagne peut envisager cet avenir avec confiance.
Cette confiance, elle la manifeste aujourd’hui en escortant le fastueux cortège de la reine Elizabeth. L’éternelle jeunesse de la vieille Angleterre s’incarne dans la jeunesse d’une reine de 26 ans, symbole vivant de la patrie et de tous ses rejetons au delà des mers.
Les détails d’une cérémonie dont les rites surannés ont défié les siècles, les pages, les hérauts, les uniformes rutilants, les trompettes, les personnages du cortège en costumes d’époques révolues font sourire certains Français. Ceux-là ignorent que la continuité des coutumes est la vraie preuve de la permanence des liens qui font une vraie nation.
Privé des signes visibles d’une Histoire ancienne et commune à tous, quel fondement sentimental resterait au patriotisme ? D’autres l’ont compris, qui ne sont pas Britanniques, et si l’ordre de Souvarov décore les maréchaux soviétiques, si Pierre le Grand et Ivan le Terrible sont tenus en URSS pour les premiers « constructeurs » c’est sans doute parce que ces vérités sont admises, même chez les révolutionnaires, une fois la révolution accomplie.
Cela interdit aux républicains de chez nous, même les plus pointilleux, de s’étonner de l’hommage des Anglais et de leurs amis à une monarchie. Car il n’est pas de république sur la surface de la terre qui ait donné plus de majesté au suffrage universel et à la démocratie parlementaire.
Le pouvoir appartient, en Grande-Bretagne, aux chefs que le pays se donne librement, assurés de l’appui loyal de leur parti et de leurs électeurs. C’est ainsi qu’au lendemain même d’une guerre ruineuse, notre alliée a effectué une révolution sociale, silencieuse et profonde, dont beaucoup de Français ignorent l’ampleur. Le socialisme n’est plus outre-Manche une simple affaire de congrès, mais une évolution constante, respectée même par les conservateurs.
Nous ne pourrions que souhaiter à notre République une continuité dans les desseins, une permanence nationale, une « vocation mondiale » semblables.
Dans un pays où le respect de la personne humaine, l’intégrité des serviteurs de l’État, le civisme des particuliers sont promus au rang des grandes vertus, on comprend la fierté de tous les citoyens britanniques.
Cette fierté, le désir de préserver l’héritage du passé qui garantit les conquêtes de l’avenir, cette volonté de maintenir font au total une grande nation.
C’est cette vraie affirmation de grandeur que Londres enthousiaste et toute la foule lointaine penchée sur les appareils de télévision proclament aujourd’hui.
À ce spectacle, nous défions tout Français digne de ce nom de rester insensible au désordre et à la décadence de sa propre patrie, dont le sort est pourtant entre les mains de nous tous.
Pour s’en convaincre, qu’ils aillent de l’Arc de Triomphe à Notre-Dame en passant par les Invalides, le Louvre, en tournant le dos, du moins pour aujourd’hui au Palais-Bourbon.

Jean FABIANI « Une grande nation » Combat, le journal de Paris, mardi 2 juin 1953, page 1