Des invasions barbares à l’Empire carolingien


Les Wisigoths entrent dans l’Empire romain et deviennent ariens

« Les Wisigoths, (…), étaient, à cause des Huns, dans les mêmes alarmes que leurs frères [Ostrogoths], et ne savaient à quoi se résoudre. A la fin, après s’être longtemps consultés, ils tombèrent d’accord d’envoyer une députation en Romanie [l’Empire romain] auprès de l’empereur Valens, (…), pour lui demander de leur céder une partie de la (…) Mésie pour s’y établir. Ils s’engageaient en retour à vivre sous ses lois et à se soumettre à son autorité; et, afin de lui inspirer plus de confiance, ils promettaient de se faire chrétiens, pourvu qu’il leur envoyât des prêtres qui parlassent leur langue. Valens leur accorda aussitôt avec joie une demande qu’il eût voulu leur adresser le premier. Il reçut les Goths dans la Mésie [en 377 ap. J.-C.], et les établit dans cette province comme le rempart de l’empire contre les attaques des autres peuples. Et comme en ce temps-là cet empereur, infecté des erreurs perfides des Ariens, avait fait fermer toutes les églises de notre croyance, il envoya vers eux des prédicateurs de sa secte, qui d’abord versèrent le venin de leur hérésie dans l’âme de ces nouveaux venus incultes et ignorants. C’est ainsi que, par les soins de l’empereur Valens, les Wisigoths devinrent non pas chrétiens, mais ariens. »

Jordanes, Histoire des Goths, chapitre 25, 551 ap. J.-C.

L’année suivante (378) voit la bataille d’Andrinople, la victoire des Goths et la mort de l’empereur… Les Goths iront jusqu’à Rome qu’ils pillent en 410 ap. J.-C.

On préfère vivre avec les Barbares

En 449, l’ambassadeur grec Priscus en mission à la cour d’Attila en Hongrie actuelle :

« Comme je me trouvais devant la palissade entourant les maisons [il y avait un palais de bois et des thermes en pierre] et m’y promenais de long en large, je vis venir un homme que je pris pour un barbare à cause de son costume scythe [hun] ; or il me salua en grec, par le mot « khaire » [kairé = bonjour] ; je fus étonné d’entendre un Scythe [Hun] parler cette langue. Car des représentants de beaucoup de peuples se trouvaient rassemblés là ; outre leurs langages barbares respectifs, on parlait hunnique, gothique ou latin si on avait affaire à des Romains ; mais personne n’eût aisément parler grec, à moins qu’il ne s’agit de prisonniers originaires de Thrace ou des côtes de l’Illyrie. Mais ceux-là, on les reconnaît à leurs haillons et à l’épaisseur de la crasse accumulée sur leurs visages, montrant leur déchéance. Mon homme, au contraire, avait l’apparence d’un Scythe prospère, il était bien vêtu et portait des cheveux tondus à la manière hunnique. Je lui rendis son salut et lui demandait qui il était, comment il était venu en pays barbare et avait adopté la manière de vivre des Scythes. Sa réponse fut à son tour une question : pourquoi voulais-je savoir cela ? je lui dis que ma curiosité avait été éveillée à l’entendre parler la langue grecque. Cela le fit rire, et il m’apprit qu’il était Grec de naissance. Commerçant, il était venu pour affaires à Viminacium [Kossolacz, à l’est de Belgrade, Serbie actuelle], ville de Mésie, sur le Danube. Il s’y établit à titre durable et épousa une femme riche. Mais son aisance lui fut ravie lorsque la ville tomba aux mains des barbares ; dans le partage du butin l’importance de ses biens l’avait fait attribuer à Onegesios [Hun au nom grec] en personne. Car, parmi les prisonniers, la coutume faisait des gens riches la propriété soit d’Attila, soit des grands, étant donné qu’ils apportaient avec eux le plus de bien. Depuis, il s’était distingué dans les combats contre les Romains et contre la peuplade akatzire [autre tribu barbare], abandonnant, suivant l’usage scythe, à son maître barbare tout son propre butin de guerre ; ainsi fut-il affranchi. Il avait pris femme une barbare et des enfants lui étaient nés d’elle. Comme commensal [compagnon partageant la table] d’Onegesios, sa condition présente lui plaisait plus que la vie passée. Car chez les Scythes, quand la guerre a cessé, l’existence est tranquille ; chacun jouit de ce qu’il a ; jamais ou peu s’en faut on ne tombe à la charge les uns des autres. Au contraire, chez les Romains, on risque sa vie dans une guerre ; il faudrait en effet placer son espérance en autrui, car les autorités ne permettraient jamais que tous portassent les armes ; au reste, pire encore s’avère la condition de ceux à qui cette autorisation est donnée ; c’est à cause de l’incapacité des généraux, qui ne savent mener une guerre. En temps de paix, les choses vont même plus mal encore, par suite de l’impitoyable perception des impôts et de tous les dommages causés par les méchants. La loi n’est pas égale pour tous ; êtes-vous riche, aucun châtiment ne frappera vos infractions ; êtes-vous pauvre, vous ne comprenez rien aux procédures et le poids des sanctions légales vous accable, à moins que vous ne veniez à mourir avant le jugement, non sans avoir perdu beaucoup de temps devant les tribunaux et dépensé forcément beaucoup d’argent. Le pire de tout, c’est qu’on ne vous fait pas droit, sinon moyennant finances. La victime d’un dommage ne peut avoir accès au tribunal que si, au préalable, elle a versé une somme au juge et à ses auxiliaires. »

Priscus, Excerpta de legationibus Romanorum (Extraits au sujet des ambassades des Romains), 449, éd Beckker, Bonn, 1929, p. 195.


La conversion de Clovis

« La reine ne cessait de prêcher pour que Clovis connaisse le vrai Dieu et abandonne les idoles, mais elles ne put en aucune manière l’entraîner dans cette croyance, jusqu’au jour enfin où la guerre fut déclenchée contre les Alamans. Il arriva, au cours d’une bataille [de Tolbiac, aujourd’hui Zülpich, prés de Cologne en Allemagne, en 496 ap. J.-C.] , que l’armée de Clovis fut sur le point d’être complètement exterminée. Celui-ci, ému jusqu’aux larmes, dit : « O Jésus-Christ, si Tu m’accordes la victoire sur ces ennemis, je croirai en Toi et je me ferai baptiser en Ton nom. J’ai en effet invoqué mes dieux, mais, comme j’en ai fait l’expérience, ils se sont abstenus de m’aider : je crois donc qu’ils ne sont doués d’aucune puissance (…) C’est Toi que j’invoque maintenant, c’est en Toi que je désire croire, pourvu que je sois arraché à mes adversaires. » Comme il disait ces mots les Alamans, tournant le dos, commencèrent à prendre la fuite. »

Grégoire de Tours (538-594, évêque de Tours), Histoire des Francs (livre II, 87-88).

Clovis contre les Wisigoths, ariens contre catholiques

« Le roi Clovis dit à ses soldats [en 507 ap. J.-C.] : « Je supporte avec grand chagrin que ces ariens possèdent une partie des Gaules. Marchons avec l’aide de Dieu, et, après les avoir vaincus, réduisons le pays en notre pouvoir ». Ce discours ayant plu à tous les guerriers, l’armée se mit en marche et se dirigea vers Poitiers ; là se trouvait alors Alaric [roi des Wisigoths]. Mais comme une partie de l’armée passait sur le territoire de Tours, par respect pour saint Martin [ancien évêque de Tours], Clovis donna l’ordre que personne ne prît dans ce pays autre chose que des légumes et de l’eau. Un soldat de l’armée s’étant emparé du foin d’un pauvre homme, dit : « Le roi ne nous a-t-il pas recommandé de ne prendre que de l’herbe et rien autre chose ? Et bien, c’est de l’herbe. Nous n’aurons pas transgressé ses ordres si nous la prenons ». Et ayant fait violence au pauvre, il lui arracha son foin par force. Ce fait parvint aux oreilles du roi. Ayant aussitôt frappé le soldat de son épée, il dit : « Où sera l’espoir de la victoire, si nous offensons saint Martin ? » Ce fut assez pour empêcher l’armée de rien prendre dans ce pays. »

Grégoire de Tours (538-594, évêque de Tours), Histoire des Francs (livre II, 103-104).

Charlemagne et l’école

« Nous avons estimé que les évêques et les monastères qui, par la grâce du Christ, ont été rangés sous notre gouvernement, outre l’ordre d’une vie régulière et la pratique de la sainte religion, doivent aussi mettre leur zèle à l’étude des lettres, et les enseigner à ceux qui, Dieu aidant, peuvent apprendre, chacun selon sa capacité. Ainsi, pendant que la règle bien observée soutient l’honnêteté des mœurs, le soin d’apprendre et d’enseigner mettra l’ordre dans le langage afin que ceux qui veulent plaire à Dieu en vivant bien, ne négligent pas de lui plaire en parlant bien. (…) Or, ces dernières années, de plusieurs monastères, des écrits nous ont été adressés (…) et nous avons vu dans la plupart de ces écrits des intentions et des pensées excellentes, mais un langage inculte, car ce qu’une pieuse dévotion leur dictait intérieurement, leur ignorance ne pouvait l’exprimer sans faute, à cause de leur négligence à s’instruire. C’est pourquoi nous avons commencé à craindre que si la science manquait dans la manière d’écrire, de même il y eût beaucoup moins d’intelligence qu’il ne faut dans l’interprétation des Saintes Ecritures. »

Charlemagne, lettre aux évêques et aux abbés, c. 785 ap. J.-C.

« De litteris colendis » (Sur l’études des lettres), édité dans Monumenta Germaniae Historica, Hanovre, 1883, ch. I, p. 79

Nithard : les dissensions des fils de Louis le Pieux et les Saxons
Après les Serments de Strasbourg du 15 février 842…

« Dès que Louis [le Germanique] et Charles [le Chauve] eurent appris par de sûrs témoignages que Lothaire avait quitté le royaume [mars 842], ils se dirigèrent vers le palais d’Aix [-la-Chapelle], (…) se proposant de délibérer le jour suivant sur ce qu’il paraîtrait raisonnable de faire touchant le peuple et les États que venait d’abandonner leur frère. On résolut d’abord de porter l’affaire à la connaissance des évêques et des prêtres, (…) on les chargea de tout examiner. Ayant considéré depuis le commencement les actions de Lothaire, comment il avait chassé son père [Louis le Pieux] de ses États ; (…) combien de fois il avait violé ses promesses à son père et à ses frères ; combien de fois, après la mort de son père, il avait essayé d’enlever à ses frères leur héritage, et de les perdre ; combien d’homicides, d’adultères, d’incendies et de crimes de toute sorte, l’Église universelle avait soufferts par sa criminelle ambition (…). Tous furent donc unanimement d’avis que la vengeance de Dieu l’avait chassé à cause de sa méchanceté, et avait remis le gouvernement de ses États à ses frères, meilleurs que lui. Mais ils ne leur donnèrent ce droit qu’après leur avoir demandé s’ils voulaient régner d’après l’exemple de leur frère détrôné, ou selon la volonté de Dieu. Quand les rois eurent répondu qu’autant que Dieu leur accorderait de le savoir et de le pouvoir, ils se gouverneraient eux et leurs sujets selon sa volonté ; les évêques dirent : En vertu de l’autorité divine, nous vous engageons, exhortons, et ordonnons de prendre le royaume, et de le gouverner selon les lois de Dieu. Les deux frères choisirent chacun douze des leurs, et je fus l’un de ces hommes, pour diviser entre eux le royaume, comme il leur paraîtrait convenable. (…)

Comme le savent tous ceux qui habitent en Europe, l’empereur Charles, à juste titre appelé le Grand par toutes les nations, arracha les Saxons à divers cultes idolâtres, après de longs et nombreux efforts, et les convertit à la vraie religion chrétienne. Dès les premiers temps, les Saxons, aussi nobles que vaillants à la guerre, s’illustrèrent par beaucoup d’exploits. Cette nation est divisée en trois ordres ; il y a parmi eux des hommes qui sont appelés dans leur langue, edhilingi, d’autres frilingi, et d’autres lazzi [1] ; c’est-à-dire en latin, les nobles, les hommes libres et les serfs. L’ordre qui passe chez eux pour noble se divisa en deux partis, pendant les dissensions de Lothaire et de ses frères ; l’un suivit Lothaire et l’autre Louis ; Lothaire voyant, après la victoire de ses frères, que ceux qui l’avaient suivi voulaient l’abandonner, et pressé par diverses nécessités, chercha des secours partout où il espéra en trouver. Tantôt il distribuait pour son propre avantage les biens de l’État ; tantôt il donnait aux uns la liberté, et promettait à d’autres de la leur accorder après la victoire. Il envoya des messagers en Saxe, promettant aux hommes libres et aux serfs (frilingi et lazzi), dont le nombre était immense, que, s’ils se rangeaient de son parti, il leur rendrait les lois dont leurs ancêtres avaient joui, au temps où ils adoraient les idoles. Les Saxons, avides de ce retour, se donnèrent le nouveau nom de stellingi [2] ; se liguèrent, chassèrent presque du pays leurs seigneurs, et chacun, selon l’ancienne coutume, commença à vivre selon la loi qui lui plaisait. Lothaire avait de plus appelé les Normands à son secours, leur avait soumis quelques tribus de chrétiens, et leur avait même permis de piller le reste du peuple du Christ. »

[1] Edle, les nobles ; Froye, les hommes libres ; Leute, les serfs.

[2] De stellen, sich herstellen, se mettre debout, se dresser.

par Nithard, historien franc, conseiller de Charles le Chauve (800-844), Histoire des dissensions des fils de Louis le Débonnaire (= le Pieux) (début du 4e livre).