Le discours du 4 mars 2025, prononcé par le sénateur de l’Allier Claude Malhuret à la tribune du Sénat et devant le chef du gouvernement français, a connu une médiatisation virale et fait le tour du monde. Aux États-Unis et ailleurs, ce sont surtout les flèches décochées contre Trump et ses séides qui ont retenu l’attention et qui ont été reprises à la fois dans les médias traditionnels ( CNN), et les réseaux sociaux. Mais c’est l’ensemble du discours de près de 9 minutes consacré à la situation internationale qui vaut le détour. Et c’est pourquoi nous en publions le texte intégral.
Nous ignorons évidemment ce que la postérité en retiendra, mais il possède de nombreux ingrédients des beaux discours politiques : en dehors des saillies contre les adversaires politiques, l’auteur développe une analyse cohérente de la situation géopolitique actuelle, affirme des convictions politiques fortes dont découle un plan d’action à long terme. Toutes choses que chacun est libre d’approuver ou non…
A 75 ans, le sénateur de l’Allier Claude Malhuret a une longue carrière derrière lui. Médecin, il s’est engagé dans l’action humanitaire et a présidé l’association Médecins sans frontières, pendant 8 ans à partir de 1978. Il entame ensuite une carrière politique à partir de 1986, exerçant successivement des mandats locaux (comme maire de Vichy), nationaux ou européens. L’engagement politique de Claude Malhuret est clairement situé à droite (ou plutôt au centre-droit), mais d’une droite ennemie des extrêmes et résolument européiste, ce qui le met à l’abri de certaines dérives de certains de ses anciens compagnons politiques.
Les couleurs du drapeau ukrainien à la boutonnière et concluant son discours par un « Vive l’Ukraine libre ! Vive l’Europe démocratique ! », l’engagement en faveur d’une Europe plus unie autour de ses valeurs et plus forte sur le plan militaire pour aider l’Ukraine et se protéger elle-même est sans ambiguïté. Prenant acte de la « trahison » américaine, il appelle les Européens à sortir du « déni » et à « rebâtir la défense européenne ».
C’est bien, semble-t-il, ce qui semble se mettre en marche sur notre continent.
Discours du sénateur Claude Malhuret prononcé à la tribune du Sénat le 4 mars 2025
L’Europe est à un tournant critique de son histoire. Le bouclier américain se dérobe, l’Ukraine risque d’être abandonnée, la Russie renforcée. Washington est devenu la cour de Néron. Un empereur incendiaire, des courtisans soumis et un bouffon sous kétamine chargé de l’épuration de la fonction publique. C’est un drame pour le monde libre, mais c’est d’abord un drame pour les États-Unis.
Le message de Trump est que rien ne sert d’être son allié puisqu’il en vous défendra pas, qu’il vous imposera plus de droits de douane qu’à ses ennemis et vous menacera de s’emparer de vos territoires tout en soutenant les dictatures qui vous envahissent. Le roi du deal est en train de montrer ce qu’est l’art du deal à plat ventre. Il pense qu’il va intimider la Chine en se couchant devant Poutine, mais Xi Jinping, devant un tel naufrage, est sans doute en train d’accélérer les préparatifs de l’invasion de Taïwan.
Jamais dans l’histoire un président des États-Unis n’a capitulé devant l’ennemi.
Jamais aucun n’a soutenu un agresseur contre un allié. Jamais aucun n’a piétiné la Constitution américaine, pris autant de décrets illégaux, révoqué les juges qui pourraient l’en empêcher, limogé d’un coup l’état-major militaire, affaibli tous les contre-pouvoirs et pris le contrôle des réseaux sociaux. Ce n’est pas une dérive illibérale, c’est un début de confiscation de la démocratie. Rappelons-nous qu’il n’a fallu qu’un mois, trois semaines et deux jours pour mettre à bas la République de Weimar et sa constitution.
J’ai confiance dans la solidité de la démocratie américaine et le pays proteste déjà.
Mais, en un mois, Trump a fait plus de mal à l’Amérique qu’en quatre ans de sa dernière présidence.
Nous étions en guerre contre un dictateur, nous nous battons désormais contre un dictateur soutenu par un traître. Il y a huit jours, au moment même où Trump passait la main dans le dos de Macron à la Maison-Blanche, les États-Unis votaient à l’ONU avec la Russie et la Corée du Nord contre les Européens réclamant le départ des troupes russes. Deux jours plus tard, dans le Bureau ovale, le planqué du service militaire donnait des leçons de morale et de stratégie au héros de guerre Zelensky, avant de le congédier comme un palefrenier en lui ordonnant de se soumettre ou de se démettre [applaudissements]. Cette nuit, il a franchi un pas de plus vers l’infamie en stoppant la livraison d’armes pourtant promises.
Que faire devant cette trahison ? La réponse est simple : faire face. Et d’abord ne pas se tromper. La défaite de l’Ukraine serait la défaite de l’Europe. Les pays baltes, la Géorgie, la Moldavie sont déjà sur la liste. Le but de Poutine est le retour à Yalta, où fut cédée la moitié du continent à Staline. Les pays du Sud attendent l’issue du conflit pour décider s’ils doivent continuer à respecter l’Europe ou s’ils sont désormais libres de la piétiner. Ce que veut Poutine, c’est la fin de l’ordre mis en place par les États-Unis et leurs alliés, il y a 80 ans, avec comme premier principe l’interdiction d’acquérir des territoires par la force. Cette idée est à la source même de l’ONU, où aujourd’hui les Américains votent en faveur de l’agresseur et contre l’agressé parce que la vision trumpienne coïncide avec celle de Poutine : un retour aux sphères d’influence, les grandes puissances dictant le sort des petits pays. “À moi le Groenland, le Panama et la canada. À toi l’Ukraine, les pays baltes et l’Europe de l’Est, à lui Taiwan et la mer de Chine.” On appelle cela dans les soirées des oligarques du golfe de Mar-a- Lago le réalisme diplomatique. Nous sommes donc seuls. Mais le discours selon lequel on ne peut résister à Poutine est faux.
Contrairement à la propagande du Kremlin, la Russie va mal. En trois ans, la soi-disante deuxième armée du monde n’a réussi à grapiller que des miettes d’un pays trois fois moins peuplé, les taux d’intérêt à 25%, l’effondrement des réserves de devises et d’or, l´’écroulement démocratique montrent qu’elle est au bord du goufre. Le coup de pouce américain à Poutine est la plus grande erreur stratégique commise lors d’une guerre.
Le choc est violent mais il a une vertu : les Européens sortent du déni. Ils ont compris en un jour à Munich que la survie de l’Ukraine et l’avenir de l’Europe sont entre leurs mains et qu’ils ont trois impératifs : accélerer l’aide militaire à l’Ukraine pour compenser le lâchage américain, pour qu’elle tienne et pour imposer sa présence et celle de l’Europe dans toute négociation. Cela coûtera cher, il faudra en terminer avec le tabou des avoirs russes gelés ; il faudra contourner les complices de Moscou à l’intérieur de l’Europe par une collaboration des seuls pays volontaires, avec bien sûr le Royaume Uni.
En second lieu, exiger que tout accord soit accompagné du retour des enfants kidnappés, des prisonniers et des garanties de sécurité absolue.
Après Budapest, la Georgie et Minsk, nous savons ce que valent les accords avec Poutine. Ces garanties passent par une force militaire suffisante pour empêcher une nouvelle invasion.
Enfin, et c’est le plus urgent, parce que c’est ce qui prendra le plus de temps, il faut rebâtir la défense européenne négligée au profit du parapluie [nucléaire] américain depuis 1945 et sabordée depuis la chute du mur de Berlin. C’est une tâche herculéenne mais c’est sur sa réussite ou son échec que seront jugés dans les livres d’histoire les dirigeants de l’Europe démocratique d’aujourd’hui. Friedrich Merz vient de déclarer que l’Europe a besoin de sa propre alliance militaire. C’est reconnaître que la France avait raison depuis des décennies en plaidant pour une autonomie stratégique. Il reste à la construire. Il faudra investir massivement, renforcer le fonds européen de défense hors des critères d’endettement de Maastricht, harmoniser les systèmes d’armes et de munitions.
Accélérer l’entraide de l’Union [europénne] á l’Ukraine qui est aujourd’hui la première armée européenne, repenser la place et les conditions de la dissuasion nucléaire à partir des capacités françaises et britanniques, relancer les programmes de bouclier anti-missiles et de satellites. Le plan annoncé hier par Ursula Von der Leyen est un très bon point de départ. Et il faudra beaucoup plus. L’Europe ne redeviendra une puissance militaire qu’en redevenant une puissance industrielle. En un mot, il faudra appliquer le rapport Draghi pour de bon.
Mais le vrai réarmement de l’Europe, c’est son réarmement moral. Nous devons convaincre l’opinion face à la lassitude et à la peur de la guerre, et surtout face aux comparses de Poutine, l’extrême droite et l’extrême gauche. Ils ont encore plaidé hier à l’Assemblée nationale, monsieur le premier ministre devant vous, contre l’unité européenne, contre la défense européenne. Ils disent vouloir la paix. Ce que ni eux ni Trump ne disent, c’est que leur paix c’est la capitulation, la paix ou la défaite, le remplacement de “de Gaulle Zelinsky” par un Pétain ukrainien à la botte de Poutine, la paix des collabos qui ont refusé depuis trois ans toute aide aux Ukrainiens.
Est-ce la fin de l’Alliance atlantique? Le risque est grand.
Mais depuis quelques jours, l’humiliation publique de Zelinsky et toutes les décisions folles prises depuis un mois ont fini par faire réagir les Américains. Les sondages sont en chute, les élus républicains sont accueillis par des foules hostiles dans leurs circonscriptions, même FoxNews devient critique. Les trumpistes en sont plus en majesté, ils contrôlent l’exécutif, le Parlement, la Cour suprême et les réseaux sociaux. Mais dans l’histoire américaine, les partisans de la liberté ont toujours gagné : ils commencent à relever la tête. Le sort de l’Ukraine se joue dans les tranchées, mais il dépend aussi de ceux qui aux États-Unis, veulent défendre la démocratie, et ici de notre capacité à unir les Européens, à trouver les moyens de leur défense commune et à refaire de l’Europe la puissance qu’elle fut un jour dans l’Histoire et qu’elle hésite à redevenir.
Nos parents ont vaincu le fascisme et le communisme au prix de tous les sacrifices. La tâche de notre génération est de vaincre les totalitarismes du 21e siècle.
Vive l’Ukraine libre ! Vive l’Europe démocratique !
Claude Malhuret, sénateur de l’Allier, discours prononcé au Sénat, 4 mars 2025
( Note : il s’agit ici d’une retranscription d’après vidéo)
Le 11 mars 2025, Claude Malhuret était l’invité de la Matinale de France Inter. Il revient ici sur la réception de son discours, ses sources d’inspiration et son parcours politique et ses intentions ICI