7 avril 1836
«La vente des emplois publics est la source principale des revenus de l’État. Le candidat emprunte, à des taux très élevés, [le] prix de l’achat à une maison de commerce arménienne, et le gouvernement laisse aux fermiers généraux le soin d’exploiter les provinces comme ils veulent pour rentrer dans leurs déboursés. (…)
Les provinces savent d’avance que le pacha arrive pour les dépouiller ; elles arment en conséquence. On entame des négociations ; si l’entente ne s’établit pas, il y a guerre ; si elle se rompt, soulèvement. (…)
L’inférieur ne peut approcher des supérieurs sans cadeaux ; le plaignant est tenu de faire un don à son juge. Employés et officiers reçoivent des pourboires ; mais celui qui accepte le plus de cadeaux, c’est le sultan lui-même.
La ressource de l’avilissement du titre des monnaies a été employée jusqu’à épuisement. Il y a douze ans, l’écu espagnol valait 7 piastres ; aujourd’hui, il en vaut 21…
Si l’une des premières conditions de tout gouvernement est d’éveiller la confiance, l’administration turque s’inquiète fort peu de remplir cette tâche. Les procédés à l’égard des Grecs, la persécution injuste et cruelle des Arméniens, ces fidèles et riches sujets de la Porte, tant d’autres mesures violentes sont de trop fraîche date pour que personne ne s’avise de placer ses capitaux à longue échéance. Dans un pays où l’industrie est privée de l’élément qui seul permet de réussir, le commerce ne peut être que l’échange des matières premières contre des objets de fabrication étrangère.
Dans l’intérieur, personne ne veut s’occuper de la culture en grand du blé, parce que le gouvernement fait ses achats à des prix qu’il fixe lui-même. Les prix imposés par l’administration sont des calamités plus grandes pour le pays que les incendies et la peste tout ensemble. Non seulement cette mesure mine le bien-être, mais elle en tarit encore les sources. Il arrive ainsi que le gouvernement se trouve réduit à acheter son blé à Odessa, tandis que des étendues illimitées de terre fertile restent sans culture sous le ciel le plus clément, aux portes d’une ville de 800’000 habitants.
Les membres du corps de cet État, autrefois si puissants, sont frappés de mort, la vie tout entière a reflué vers le coeur, et un soulèvement dans les rues de la capitale peut être le convoi funèbre de la monarchie osmanienne. »
Maréchal de Moltke, Lettres sur l’Orient, Paris, 1872
Bismarck et la question d’Orient
« La question de savoir si, à propos des complications orientales, nous nous brouillerons pour longtemps avec l’Angleterre, ou, ce qui serait encore plus grave, avec l’Autriche, ou, ce qui serait le plus grave de tout, avec la Russie, est infiniment plus importante pour l’avenir de l’Allemagne que tous les rapports entre la Turquie et ses sujets ou entre elle et les puissances européennes. Cela exige de nous une grande prudence…, si nous voulons conserver, autant qu’il sera possible, le capital de bonnes relations que nous avons avec l’Angleterre, l’Autriche et la Russie. Nous ne devons, à mon avis, exposer aucune partie de ce capital, à moins que nous n’y soyons obligés par les propres intérêts de l’Allemagne. »
Note de Bismarck (14 octobre 1876), Mémoires (Fasquelle).
Les projets de la Russie
Les affaires de la Turquie sont dans un grand état de désorganisation. Nous avons sur les bras un homme malade, gravement malade… Il y a là plusieurs millions de chrétiens aux intérêts desquels je suis tenu de veiller.. le ne permettrai pas à l’Angleterre de s’établir à Constantinople ; je ne m’y établirai pas non plus, en propriétaire s’entend, car en dépositaire je ne dis pas… Ne serait-il pas indispensable de reconnaître l’indépendance de chacune des parties qui se détacherait d’elle-même de la Turquie : la Moldavie, la Valachie, la Bulgarie, la Serbie, etc ? Nous aurons alors pour voisins de petits États qui n’auront besoin que de notre protection commune pour exister… En ce qui concerne l’Égypte, le comprends que l’Angleterre y tienne : qu’elle l’occupe si elle veut, de même pour Candie [la Crète]. »
Déclaration de Nicolas Ier à l’ambassadeur de Grande-Bretagne, 1853.
LA RUSSIE ET LA TURQUIE
« Ce qui a compliqué et exaspéré les luttes nationales en Orient, c’est l’intervention des puissances intéressées, pour exciter les peuples balkaniques l’un contre l’autre, en faisant miroiter à leurs yeux la possibilité d’agrandissement territorial, soit aux dépens de la Turquie, soit à leurs propres dépens.
Sous ce rapport, c’est la Russie qui a joué le rôle le plus néfaste (…) Pour poursuivre sa poussée irrésistible vers le sud – la Méditerranée la Russie devait conquérir la Turquie (…). Je ne parlerai pas des innombrables projets de partage de l’empire ottoman que la Russie a voulu conclure ou a conclus avec l’Autriche, la France ou l’Angleterre.
Ces projets n’ont pu aboutir à cause de l’impossibilité de partager Constantinople avec ses détroits ; ne pouvant faire une guerre directe de conquête, la Russie a dû s’arrêter à la seule politique possible, celle de l’intervention permanente en Turquie en vue de la protection des chrétiens. Le résultat devait être l’affaiblissement et enfin la désagrégation de la Turquie.
Dans les vues de cette politique, il entrait : l° de ne pas permettre à la Turquie de se consolider par une réforme intérieure (…); 2° de ne pas permettre aux États balkaniques, dont la création devait être une étape vers leur conquête définitive par la Russie, de se fortifier par leur union. Ceci enlèverait à la Russie le droit de les protéger.
Si nous avons fait cette longue digression dans l’histoire diplomatique de l’Orient, c’est pour montrer qu’aujourd’hui la formation d’une confédération balkanique ne rencontrera plus d’adversaires aussi puissants et aussi implacables que dans le passé. La Russie, affaiblie après la défaite dans l’Extrême-Orient, est entrée (…) dans une phase de recueillement, ne peut plus au moins pour longtemps encore mener une politique agressive dans les Balkans. »
C. Racovski, « Vers l’entente balkanique », Revue de la paix, 1908.