La Russie protectrice des Slaves
« Ce fut un crime contre (…) la Russie, qui assume le devoir sacré du frère aîné, que le partage des Balkans en deux sphères d’influence, russe et autrichienne
A l’égard du Monténégro, la Russie a une dette. La majeure partie des conquêtes monténégrines sur la Turquie a été donnée, sans rime ni raison, en toute propriété à l’Autriche qui n’avait même pas dégainé son épée, qui n’avait pas versé une goutte de sang, et la petite partie qui avait été accordée au Monténégro lui est à présent contestée par la Turquie le long de la frontière albanaise !
L’Autriche a entouré ce pays auparavant libre, d’un cercle de blockhaus en pierre et d’une clôture de baïonnettes, elle le tient en surveillance, littéralement dans la « sphère de son pouvoir », bien que, grâce à la fidélité et à la vaillance du Monténégro et à la sagesse du Prince, elle ne le tienne pas encore dans la « sphère d’influence autrichienne ». »
Éditorial paru dans Rus, Moscou, 25 janvier 1886.
La mission de la Russie (1876)
« La Russie d’avant Pierre était active et robuste, bien qu’elle eût mis du temps à se constituer politiquement ; elle avait forgé son unité et se préparait à consolider ses confins : elle avait intimement conscience de porter en elle une valeur telle qu’il n’en est pas de plus grande, l’orthodoxie : d’être la gardienne de la vérité de Christ.
Après Pierre * le premier pas de notre politique nouvelle s’est tracé de lui-même : notre devoir était que ce premier pas fût l’union de tout le monde slave sous l’aile, pour ainsi dire, de la Russie. Et non pas pour la conquête, non pas pour la contrainte, ce premier pas, non pas pour l’anéantissement des individualités slaves devant le colosse russe, mais pour les reconstituer et leur faire la place qui leur est due dans leurs rapports avec l’Europe et avec l’humanité.
Quant à faire de Constantinople l’héritage des Grecs seuls, c’est désormais tout à fait impossible : on ne peut pas leur livrer un point si important du globe terrestre, ce serait par trop au-dessus de leur taille.
« Mais cela … est … une utopie, qu’il soit jamais permis à la Russie de prendre la tête des Slaves et d’entrer à Constantinople. On peut toujours rêver, mais les rêves restent des rêves »
En êtes-vous si sûrs ? Mais outre que la Russie est forte, et peut-être même beaucoup plus forte qu’elle ne le suppose elle-même, outre cela, n’a-t-on pas vu jusque sous nos yeux, et dans les toutes récentes décennies, s’ériger d’énormes puissances qui ont régné sur l’Europe, et dont l’une s’est évanouie comme poudre et poussière.
Et qui aurait pu le prédire à temps ? Qui connaît les voies de Dieu ? »
F. Dostoievski (1821 -1881), « juin, Chapitre second, IV. Une conception utopique de l’histoire », journal d’un écrivain 1876.
* Pierre 1er (le Grand) : empereur de Russie de 1672 à 1725. Il force la Russie à s’ouvrir à l’Europe.
L’INAUGURATION DE LA STATUE DU POÈTE MICKIEWICZ, À VARSOVIE, EN 1898
Dès 1815, Adam Mickiewicz appelle à la solidarité pour la libération de la Pologne. En 1832, il se réfugie à Paris, où il devient le chef spirituel des émigrés polonais après la révolution de 1830. Par son oeuvre littéraire et par son action inlassable, il a joué un grand rôle dans l’éveil de la conscience nationale polonaise.
« Ouvriers et Camarades,
C’est le 24 décembre que tombe le centenaire de la naissance de notre poète Adam Mickiewicz. ( … )
Le projet d’élever un monument à Mickiewicz est né dans les milieux intellectuels sympathisant avec le gouvernement. Il fut favorablement accueilli par le gouvernement. Au moment où un nouveau satrape du tsar, Imeretynski [gouverneur de la Pologne], était en coquetterie avec la société polonaise, ce monument devait être le premier lien du coeur unissant les deux partis, mais ceux qui trafiquaient de Mickiewicz ne savaient pas, ne sentaient pas ce que Mickiewicz représente pour la nation tout entière. Imeretynski s’est étonné, les promoteurs ont été surpris de voir sur la liste des souscripteurs les sous des ouvriers et des paysans de toutes les régions du pays. (…)
Le programme d’aujourd’hui qui nous est imposé par le tsar et ses valets pour le jubilé de Mickiewicz, ne comporte rien de ce qui pourrait rappeler les souffrances, les espoirs, les luttes du grand poète (…). Le gouvernement a refusé une garde civique et l’a remplacée par la gendarmerie et la police qui l’entoureront de tous côtés, comme ils l’entourèrent pendant toute sa vie, pour le séparer une fois de plus du peuple polonais. Tout discours a été interdit. »
Joseph Pilsudski, Du révolutionnaire au chef d’État, 1893-1938. Fondateur du Parti socialiste polonais en 1892, Pilsudski réclame en 1896, au cours d’une réunion de l’Internationale socialiste, le droit de la nation polonaise à l’indépendance.
LA DIVERSITÉ DES SENTIMENTS POLONAIS SELON UN RAPPORT AUTRICHIEN DE 1914
« L’aristocratie foncière : un élément nombreux réparti sur tout le territoire de la Pologne russe, cohérent, plus ou moins aisé, fortement austrophile, encore plus fortement, car de manière purement théorique, prussophobe. (…) Jouent pour l’amitié avec l’Autriche les faits suivants :
– Les vieilles traditions de combat contre la Russie des années 1831 et 1863.
– Les carrières militaires et administratives ouvertes aux Polonais en Galicie et par contre fermées en Russie à ceux-ci,
– La forte concurrence agricole de la part de l’agriculture de la Russie centrale.
Les paysans polonais (plus de 7 millions): sont en définitive très conservateurs, aussi méfiants à l’égard des propriétaires fonciers polonais que de l’intelligentsia citadine (…). La libération du paysan polonais en juin 1864 du servage a tout à fait brisé l’insurrection polonaise et continue toujours d’agir. En outre, le paysan polonais, effectivement protégé par le gouvernement russe, se trouve dans une situation matérielle bien meilleure que celle du paysan galicien. Par contre, il est très croyant et se fait influencer dans tous les domaines par le clergé.
La population chrétienne des villes : ce groupe est l’expression même du tempérament national : bruyant, impulsif, nerveux, instable
Résumé : dans la guerre entre l’Autriche et la Russie, les groupes les plus importants comme la petite noblesse, les paysans, le clergé, l’intelligentsia chrétienne des villes seraient immédiatement pour nous. L’alliance avec les Prussiens refroidit très sensiblement cette sympathie. »
Cité par P. Cabanel, Nation, nationalités et nationalismes, Ophrys, 1995.
La Pologne, vue par un nationaliste russe…
Cet article a paru en 1863, en pleine insurrection polonaise.
« Cependant que nos troupes défont l’un après l’autre des groupes d’insurgés et conduisent toute l’affaire de la rébellion polonaise à un rapide dénouement, on entend s’élever dans toute l’Europe, de Stockholm à Naples, de Paris à Londres et à Berlin, des voix qui vitupèrent de plus en plus la Russie. (…) Il est facile de venir à bout d’ennemis ayant ostensiblement pris les armes ; mais comment allons-nous anéantir cette force, non moins hostile, de l’opinion publique européenne ? Que pouvons-nous lui opposer ? (…)
Si les Polonais sont dotés de leur propre existence politique et avant tout de leur propre armée, ils en useront à la première occasion pour réaliser leur rêve le plus cher, pour restaurer le royaume polonais dans toute son étendue passée, pour annexer des régions aussi traditionnellement russes que la Podolie, la Volhynie (…). La Russie devrait donc de la sorte armer la Pologne pour ensuite défendre contre elle son patrimoine ancestral et la désarmer de nouveau. Qu’adviendrait-il de la Russie dans une telle lutte, qui serait pour elle une menace de tout instant ? Elle cesserait tout bonnement d’être une grande puissance européenne. Seul peut être qualifié de grande puissance l’État qui est en mesure d’appuyer ses paroles par des actes ; mais à quelle tâche sérieuse la Russie pourrait-elle se consacrer si la Pologne, qui lui est hostile, qui, par son catholicisme, adhère aux puissances occidentales, fourbissait ses armes contre elle et était l’alliée immanquable de tout ennemi ? »
Texte cité dans L’Autre Europe, no 7-8, 1985.
… et par une Polonaise
Cette lettre a été publiée en juin 1861
« Aussi, quoique morts, dit-on, quoique fâcheux, impossibles, désavoués de tous, accablés, torturés, sans secours, niés, honnis, poursuivis, rejetés hors du cercle de vie, eh bien ! malgré tout, l’Occident devra compter avec nous. Car l’âme polonaise existe, et plus vivace et plus entière que celle des heureux de ce monde : les sources de la vie n’ont point été empoisonnées en elle. Nous avons la foi ! Comprenez-vous la magie, la puissance de ce mot ? (…) Nous croyons, et nous sommes prêts à mourir pour notre foi : nous crions vers Dieu, et rien ne se place entre le cri de notre coeur et Dieu (…) et Dieu nous entendra, et chacun de nous mourra avec cette certitude, Dieu est au ciel, donc la Pologne existera sur cette terre. (…)
Ainsi nous avons la foi, nous avons la paix sociale. Ce sont deux grandes forces, et en vérité sur aucun point du globe je ne les vois développées et réunies à un aussi haut degré. Cela peut compter pour quelque chose dans cette triste Europe, minée de tous côtés, corrompue, et malade de tant de maux, et en face de cette Russie immense, qui contient à elle seule toutes les corruptions, celles de la civilisation et celles de la barbarie. »
Texte cité dans L’Autre Europe, numéro cité
LA RÉACTION DE BISMARCK À L’INSURRECTION
« Dans un entretien que j’ai eu hier soir avec l’ambassadeur de Grande-Bretagne sur les événements les plus récents de Pologne, je lui ai fait savoir confidentiellement que nous conclurions avec la Russie une convention en vue de réprimer le plus rapidement possible l’insurrection. Pour atteindre ce but, des deux côtés, les autorités se prêteraient assistance mutuelle.
Sir A. Buchanan me demanda si à ce sujet serait permis un éventuel franchissement de la frontière par une fraction des troupes des deux parties. je répondis affirmativement à cette question et ajoutai la déclaration catégorique que nous ne pourrions jamais supporter une Pologne indépendante sur notre frontière, même en partie insérée entre nos provinces. »
0. von Bismarck, le 11 février 1863.
Cité par M. Chaulanges, Textes historiques 1848-1871, Delagrave, 1971.
PATRIOTISME ET ANTISÉMITISME
« Je suis un Polonais – cela signifie que j’appartiens à la nation polonaise comprise dans tout son espace et dans tout le cours de son existence, tant aujourd’hui que dans les siècles passés et dans l’avenir : cela signifie que je me sens lié à toute la Pologne (…).
Ce patriotisme n’impose pas uniquement un certain comportement face aux gouvernements copartageants, face aux oppresseurs de la nation, il exige aussi la défense du bien national contre toute réduction au profit de tous ceux qui l’attaquent : il adopte une position défensive contre les prétentions des Ruthènes et des Lituaniens, il résiste aux efforts dissolvants des Juifs et ainsi de suite. »
R. Dmowski, Réflexions d’un Polonais moderne, 1902.
La russification en Pologne
Notre langue (…) est non seulement bannie de toutes les institutions publiques et de beaucoup d’institutions privées, exclue en tant qu’enseignement obligatoire de toutes nos écoles, mais interdite, même aux causeries enfantines dans les corridors et les préaux des établissements d’éducation (…). Il est permis de s’adresser au gouvernement dans toutes les langues européennes, à l’exception seulement de la langue polonaise.
(…) Aucune fonction supérieure, influente, bien rétribuée, n’est accessible aux Polonais. (…) Sur 11’003 fonctionnaires du royaume, on compte dans les divers ministères 3’285 Polonais (soit 29 %) (…). Sur 558 présidents et vice-présidents de tribunal, juges et procureurs, il n’y a que 21 Polonais (…). Les écoles présentent le même spectacle : dans le chiffre total de 1’516 professeurs, on ne relève que 164 Polonais (…).
Comme l’administration entière du royaume ne se propose d’autre fin que l’exploitation fiscale et la russification, toutes les institutions ont cessé de répondre à leur destination originelle. Le tribunal ne veille pas au maintien de la justice ; l’école n’enseigne pas. Fonctionnaires et magistrats n’ont cure que de russifier. Ils russifient l’Église catholique, les institutions sociales, les délinquants, les enfants, les paysans, les bourgeois (…). Le plus infime fonctionnaire russe, parce qu’il est russe, peut suspendre à sa fantaisie l’exercice de tous les droits. (…)
L’idéal de la politique russe en Pologne est d’entretenir une haine qui pénètre par tous les pores de l’organisme social. À chaque soulèvement populaire, le gouvernement russe incite les masses à piller les Juifs. »
Appel polonais à tous les gouvernements, partis et cercles politiques, hommes d’État, journaux et associations, 1905.
REVENDICATION DE L’AUTONOMIE LITUANIENNE
« La Nation Lituanienne – nation arienne la plus ancienne – qui a conservé sa langue arienne dans sa forme ancienne, habite un pays qui constitue son territoire sous le nom de Lituanie. Les travaux scientifiques ont prouvé qu’avant l’arrivée des Lituaniens, personne n’occupait de territoire ; que les Lituaniens en ont créé seuls la culture et que les Slaves venus ensuite de l’Est et du Sud, ainsi que les Allemands venus de l’Ouest, ont trouvé les Lituaniens déjà installés là où les a trouvés l’histoire médiévale et où ils habitent actuellement. (Suit un résumé historique).
En partie sous l’influence de l’oppression nationale et linguistique des Lituaniens, en partie grâce à l’influence bénéfique du progrès européen, la nation lituanienne s’est réveillée depuis 25 ans de son sommeil séculaire et la conscience nationale s’est propagée à tout le pays. Les Lituaniens sont actuellement fiers de leur passé, de leurs coutumes et tendent à recouvrer leur existence autonome comme tous les peuples éclairés d’Europe. Ils ont exposé leurs buts à l’étranger par leur presse où ils demandent :
– la reconnaissance de leur territoire national sur lequel sont admises à égalité de droit les autres nationalités qui l’habitent ;
– l’abolition des ordres et les libertés fondamentales ; l’instruction gratuite, obligatoire, générale ;
– une diète à Vilna ;
– la restitution du titre du Grand-Duché de Lituanie dans tous les Actes du gouvernement. »
J. BASANOVICIUS, cité in M. RÔMER (Romeris), Lituanie, étude de la renaissance de la nation lituanienne, Lwow, 1908.
LE MOUVEMENT UKRAINIEN
« Ce n’est qu’en 1905, pendant la période révolutionnaire, que la littérature et la presse ukrainiennes furent placées sur un pied d’égalité avec la littérature et la presse russes. Les premiers livres et journaux publiés en caractères ukrainiens commencèrent à paraître, et tous les obstacles qui avaient jusqu’ici empêché les Ukrainiens de se servir de leur langue nationale pour l’éducation du peuple disparaissaient. (…)
Une fois les chaînes tombées, les classes éclairées de l’Ukraine se mirent avec ardeur à rattraper le temps que leur avait fait perdre l’oppression russe. Tout le monde était convaincu que rien ne s’opposerait plus désormais au développement culturel des Ukrainiens. (…)
Les livres populaires furent répandus en masse dans la population et les paysans, qui n’avaient jamais vu de livres écrits dans leur langue, se jetèrent avec passion sur chaque nouvelle publication. (…) Les classes éclairées formèrent à Kiev une société scientifique ukrainienne. »
Fedortchouk, le Réveil national des Ukrainiens, 1912.