Le XIXe siècle a été le siècle des nationalités, il est rempli d’agitations et de guerres nationales. (…) Le mouvement national n’a commencé qu’au moment où le sentiment national a pris la forme d’une idée politique, où l’on est parvenu à concevoir l’Etat comme l’institution commune à un peuple déjà réuni par une autre communauté, de traditions, de moeurs ou d’idéal politique. Alors on en est venu à désirer que l’État fût fondé sur la nation, que le territoire de l’État fût le pays habité par les nationaux. On en est venu à condamner le régime qui imposait à une population le gouvernement des étrangers. Le mouvement national s’est arrêté, et sauf la Norvège * et la péninsule des Balkans, aucun pas nouveau n’a été fait en Europe depuis 1870. (…) On ne peut plus aujourd’hui faire des révolutions comme en 1848, les gouvernements sont trop bien armés et trop expérimentes. Voilà pourquoi au XXe siècle le mouvement national prend la forme d’aspirations autonomistes. (…) Depuis que la révolution et la guerre d’indépendance sont devenues impraticables, il ne reste que les moyens de résistance passive. Dans la vie publique, publier des journaux en langue nationale (…), élire des députés d’opposition nationale (…). Dans la vie privée, entretenir des écoles avec l’enseignement national, des églises avec le culte national, et surtout dans les familles, enseigner aux enfants la langue maternelle, malgré les interdictions. Les héros de cette résistance passive, ce sont les députés et les journalistes qui s’exposent à la prison, les maîtres d’école et les prédicateurs qui acceptent une vie de privations et de tracasseries ; parfois les écoliers qui se laissent donner des coups, comme cri Pologne prussienne, pour parler la langue nationale. Et les plus solides défenseurs de la nation sont encore les femmes, car ce sont elles qui font la langue « maternelle » ; un peuple ne petit pas être dénationalisé tant que ses femmes ne cessent pas d’enseigner la langue nationale à leurs enfants. »

* Séparée de la Suède après le référendum de 1905.

C. SEIGNOBOS, Les Aspirations autonomistes en Europe (Albanie, Alsace-Lorraine, Catalogne, Finlande, îles grecques, Irlande, Macédoine, Pologne, Serbo-Croatie), Paris, Félix Alcan, 1913.