La prise de Grenade par les Rois Catholiques, le 2 janvier 1492, fut interprétée comme une victoire providentielle du Christianisme. Dans ce contexte d’effervescence religieuse, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon signèrent 3 mois plus tard le décret de l’Alhambra qui ordonnait l’expulsion définitive des Juifs d’Espagne, à moins qu’ils acceptent la conversion au christianisme. Le délai fixé pour l’application du décret était de 4 mois.
Le texte présenté ici évoque la dimension économique de ‘l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492. Son auteur Andrés Bernaldez [1450-1513] est connu comme le curé de Palacios, une petite cité proche de Séville. Homme d’Église, il est historien et a écrit « Une histoire des Rois Catholiques don Fernando et doña Isabel » qui constitue une source précieuse pour l’étude du règne des Rois Catholiques.
Andrés Bernaldez s’appuie ici sans doute sur des témoignages directs, les Juifs étant assez nombreux en Andalousie. Homme d’Église, Bernaldez n’échappe pas aux clichés et préjugés antijudaïques de son temps. Mais ici, il fait preuve d’une certaine compassion pour les Juifs d’Espagne contraints de brader à vil prix leurs biens, dans une opération qui s’apparente finalement à une spoliation.
NB : la traduction proposée s’efforce de ne pas trop s’écarter du texte original, écrit il y a plus d’un demi-millénaire.
Au moment de l’édit des six mois, ils vendirent et bradèrent leurs biens comme ils purent, et les petits et les grands préparaient leur voyage, montrant grand effort et espoir d’avoir une sortie heureuse et de choses divines. Et en tout, ils eurent des fortunes funestes : car les chrétiens obtinrent leurs très nombreuses propriétés et de très riches maisons et domaines pour peu d’argent, et ils allaient les supplier et ne trouvaient personne pour les acheter ; et ils donnaient une maison pour un âne et une vigne pour un peu d’étoffe ou de toile, parce qu’ils ne pouvaient sortir ni or ni argent. Cependant, il est vrai qu’ils sortirent infiniment d’or et d’argent à secrètement, et surtout de nombreux ducats et « cruzados » cabossés avec les dents, qu’ils les avalaient et les sortaient dans leurs ventres; et dans les passages où on devait les fouiller et dans les ports de la terre et de la mer, c’était surtout les femmes qui en avalaient davantage, puisqu’il arrivait à une personne d’avaler trente ducats à la fois.
Andrés Bernaldez, Historia de los Reyes Católicos don Fernando y doña Isabel, escrita por el bachiller Andrés Bernaldez, dans Cronicas de los Reyes de Castilla, vol. 3, « Biblioteca de Autores Españoles », t. LXX, Madrid, M. Rivadeneyra, 1878, p. 651 – 653
Texte original en espagnol.
En el tiempo del edicto de los seis meses, vendieron y malbarataron cuanto pudieron de sus haciendas, y aparejaron su viaje los chicos y los grandes, mostrando gran esfuerzo y esperanza, de haber próspera salida y cosas divinas. Y en todo hubieron siniestras venturas : pues hubieron los cristianos sus haciendas muy muchas y muy ricas casas y heredamientos por pocos dineros, y andaban rogando con ellas y no hallaban quien se las comprase; y daban una casa por un asno y una viña por un poco paño o lienzo, porque no podían sacar oro ni plata. Empero es verdad que sacaron infinito oro y plata escondidamente, y especial muchos ducados y cruzados abollados con Íos dientes,
que los tragaban y sacaban en Ios vientres; y en Ios pasos donde habían de ser buscados y en los puertos de la tierra y de Ia mar, y en especial las mujeres tragaban más, pues a persona le acentecía tragar treinta ducados de una vez.
Andrés Bernaldez, Historia de los Reyes Católicos don Fernando y doña Isabel, escrita por el bachiller Andrés Bernaldez, dans Cronicas de los Reyes de Castilla, vol. 3, « Biblioteca de Autores Españoles », t. LXX, Madrid, M. Rivadeneyra, 1878, p. 651 – 653