Aperçu de la culture hindouiste
«Ainsi, notre idée du temps est-elle différente de celle des Indiens. Pour les Occidentaux, il constitue une progression constante en ligne droite. Nous « savons » qu’il existe un passé, un présent et un avenir, et nous « savons » que tout moment écoulé l’est pour toujours. Nous sommes certains que l’événement qui se produit maintenant est, par quelque aspect, différent d’événements similaires du passé ou de l’avenir. Les hindous « savent » exactement le contraire. Pour eux, tout ce qui arrive est déjà arrivé et arrivera de nouveau ; ce qui n’est jamais arrivé n’arrivera jamais. Pour les hindous, le temps tourne en rond ; il n’y a ni commencement ni fin, et toute chose dans l’univers, y compris Dieu ou les dieux, est indissolublement liée au cycle éternel du temps.
La plupart des Occidentaux admettent qu’il existe une vérité absolue : un fait est vrai ou faux, et ce qui est vrai pour l’un l’est pour tous. Les hindous croient qu’il existe bien des sortes de vérité, des vérités pour chaque âge, chaque occupation, chaque classe d’homme. En fait, l’une des objections de l’hindouisme à l’islam, au christianisme, au judaïsme, c’est qu’ils prêchent une vérité unique pour tous les hommes.
Comme beaucoup d’Occidentaux, les hindous croient que le bien engendre le bien, et le mal, le mal – mais l’hindouisme va beaucoup plus loin dans sa foi. La loi morale de cause à effet, que les hindous appellent la karman, n’est, pour eux, ni d’origine divine, ni d’origine humaine ; c’est la loi naturelle, aussi impersonnelle, impartiale et inexorable que celle de la pesanteur.
Bien que beaucoup d’Occidentaux croient à un au-delà, ils croient en même temps qu’un homme n’a qu’une vie sur cette terre. Les hindous croient à la métempsycose, ou réincarnation. Passant d’un corps au suivant, une âme hindoue accumule les fruits, bons ou mauvais, de ses expériences précédentes.»
Le maintien des castes en Inde au début du XXIe siècle
« « Basé à Delhi, un Dhiman brahmane cherche alliance pour son fils » ; « Cherche un Gautam kshatriya au teint clair » ; « Union avec un élégant garçon jat »… Toutes les castes, y compris les « intouchables », qu’on appelle en Inde dalit (défavorisé) et qui sont classés comme « castes répertoriées » (scheduled castes), ont leur colonne dans les annonces matrimoniales du dimanche. La caste reste en Inde l’appartenance première et l’abolition de l’intouchabilité, en 1950, par la première Constitution de l’Inde indépendante, n’a pas changé grand-chose dans les faits.
Chaque jour, la presse se fait témoin de discriminations à l’égard des dalit ou rapporte les crimes variés commis, en toute impunité la plupart du temps, au nom de la caste. Le plus récent est la pendaison publique dans un village, à moins de deux heures de Delhi, de deux jeunes de quinze et dix-sept ans qui avaient eu le malheur de s’aimer alors qu’ils n’étaient pas de la même caste. Un crime impardonnable pour les gens du village, qui ont fait justice eux-mêmes […]
Pour avoir le premier en 1996 introduit aux Nations-unies les discriminations dues à la caste, Ravi Nair a été traité en Inde d' »agent du Pakistan, d’élément antinational ». Il se bat depuis vingt ans contre toutes les discriminations. Il estime que l’amélioration du sort des 170 millions d’intouchables passe d’abord par des réformes économiques et sociales. « Si vous voulez donner la dignité aux dalit, donnez-leur la dignité économique, dit-il, et pour cela, faites appliquer les lois sur la redistribution des terres et le salaire minimum des travailleurs agricoles journaliers. » Le dispositif de lois est quasiment complet, mais la plupart ne sont jamais appliquées et, très souvent, la police refuse même d’enregistrer la plainte d’un dalit contre un membre d’une caste supérieure. « Notre système social de valeurs est si fort qu’il surpasse la loi », affirme M. Rawat, un activiste dalit des droits de l’homme. « De plus, ce système est lié à la religion, ce qui rend plus difficile son attaque aux yeux de certains ».
Le gouvernement admet que les lois ne suffisent pas. Un officiel, qui réclame l’anonymat, affirme : » L’éducation et l’éradication de la pauvreté sont les deux armes qui peuvent aider dans cette lutte. » Toutes deux relèvent du gouvernement. Or l’éducation primaire obligatoire n’est toujours pas un droit fondamental reconnu par la Constitution ; le taux d’enfants dalit quittant l’école à la fin du primaire était de 77,65 % en 1991 (dernier chiffre officiel). En outre, selon la Commission nationale des castes répertoriées, la plupart des dalit victimes de violences ou d’abus sont des paysans sans terre.
» La caste est un instrument d’exploitation économique « , confiait en 1998, R. Balakrishnan, président régional de la commission pour le Tamil Nadu à Human Rights Watch. Cette organisation non gouvernementale a publié, en 1999, un remarquable rapport – » Peuple brisé » – sur la violence contre les intouchables indiens. La majorité d’entre eux occupent le bas de l’échelle, dans l’ordre social et économique. Ce n’est pas la présence à la tête de l’Inde d’un dalit en la personne du président Kocheril Raman Narayanan qui y change quelque chose […] »
Extraits de Françoise Chipaux, «En Inde, les « intouchables » ont survécu à un dispositif légal quasi complet», Le Monde, 31 août 2001.