« Rarement la source d’une catastrophe a été identifiée avec autant de clarté : le premier et le seul responsable de la Seconde Guerre mondiale est Adolf Hitler. Il en est la cause unique. Il est le mal absolu. Son nom s’inscrit dans la lignée des grands assassins de l’histoire : les Attila, les Gengis Khan, les conquérants du Nouveau Monde, les trafiquants d’esclaves, les Mao Tse-toung, les Pol Pot. Mais, des goulags soviétiques aux exactions de l’Armée rouge en Europe orientale, en Allemagne, à Berlin, sur lesquelles peu de lumière a encore été faite, et aussi, du côté occidental, du bombardement de Dresde à la bombe atomique lancée sur Hiroshima et Nagasaki, il arrive aux moyens déployés contre lui par ses ennemis de relever du terrorisme dénoncé, à juste titre, chez lui par les démocraties. Pour abattre un système qui méritait et exigeait d’être abattu, les adversaires du système n’ont pas eu d’autre choix que d’employer les armes mêmes du système qu’ils combattaient. Comment échapper à la logique en forme d’engrenage de la guerre totale ? Personne n’a le droit de douter que, si Hitler avait disposé des ressources scientifiques nécessaires et de la puissance nucléaire, il n’aurait pas hésité un instant à s’en servir. Ce sont ses adversaires qui ont déchaîné le feu nucléaire. Il avait dégainé le premier. Il a été vaincu par ses propres armes, perfectionnées par ses ennemis. Beaucoup de maux d’aujourd’hui sortent de cette tragédie dont l’origine est Adolf Hitler.

J’ai souvent répété que les ombres de Staline et de Hitler ont dominé notre temps, notre existence à tous, et jusqu’à ma propre vie, si obscure et si protégée. L’histoire a pesé sur nous avec plus de force que jamais. Allemands ou russes, américains, japonais ou chinois, les chars ont dévalé dans nos journaux, sur nos scènes, sur nos écrans de cinéma ou de télévision, dans notre imagination avant même de déferler sur toutes les plaines du globe. Et puis la bombe a été lancée sur le Japon. La planète, tout à coup, s’est révélée fragile, menacée par des ennemis qui, comme dans un rêve de terreur, se confondaient avec nous. Longtemps, l’avenir a appartenu à Dieu ; maintenant, il appartenait aux hommes – et les hommes étaient dangereux. Nous sommes liés plus que jamais à un monde dont la disparition, pour la première fois dans son histoire mille et mille fois millénaire, appartient désormais au domaine du possible. »

Jean d’Ormesson, Une fête en larmes, Paris, Pocket, 2006, p. 62-63.