La mort d’Adolf Hitler à Berlin, le 30 avril 1945, a soulevé de nombreuses interrogations et fait couler beaucoup d’encre depuis 80 ans. Alors qu’on commémore en ce moment  la fin de la guerre en Europe, nous avons voulu aller voir comment la presse nationale française de l’époque avait relaté ce fait marquant. Il ne s’agit en rien d’une étude exhaustive, mais ce petit sondage à travers la presse du début du mois de mai 1945 livre quelques enseignements.

  • Le premier tient aux conditions matérielles de la fin de la guerre : les pénuries (de papier en particulier) qui obligent les journaux à des éditions réduites à une seule feuille recto-verso. La place accordée à chaque information, même jugée importante, est donc nécessairement  contrainte.
  • La mort du Führer est souvent accueillie avec prudence et aucun des titres consultés n’évoque le suicide comme cause de décès.
  • La mort d’Adolf Hitler est annoncée en page 1 mais, dans la plupart des cas, ne constitue pas le gros titre. (La une de France Soir du 3 mai 1945, choisie comme image, fait plutôt figure d’exception.) Le  décès est donc une information parmi d’autres, comme si au fond, Hitler vivant ou mort n’avait plus vraiment prise sur le cours de la guerre et que la victoire des Alliés ne faisait plus de doute, ce que les lecteurs voulaient savoir avant tout, c’est quand elle allait vraiment finir.

 

Note : les textes proposés sont des extraits. Pour chacun d’entre eux, nous fournissons le lien permettant d’accéder à la version originale et intégrale.


1/ Extrait de l’Humanité du 3  mai 1945

En 1945, L’Humanité est à la fois l’organe officiel  et la figure de proue de la presse contrôlée par le PCF. L’Humanité accorde relativement peu de place à l’événement qui est  accueilli avec scepticisme, à l’unisson de la radio Moscou. Les communistes qui ont joué un rôle majeur dans la résistance intérieure préfèrent mettre l’accent sur la prise de Berlin par les Soviétiques et sur le succès de la manifestation du 1er mai. Hitler déjà dans les poubelles de l’histoire ?

 

MORT DE HITLER ou nouvelle machination diabolique ?

Avant-hier, 1er mai, dans la soirée, la radio allemande a annoncé la mort du « Fuehrer » Adolf Hitler. « Tombé cet après-midi, à son poste de commandement à la chancellerie du Reich », disait le speaker. Cette déclaration avait été précédée de l’exécution d’extraits du « Crépuscule des Dieux », de Wagner, et de la « 5e Symphonie », de Beethoven. « Le 30 avril, poursuivait le speaker, il avait désigné pour lui succéder le grand-amiral Doenitz. 

Immédiatement, le nouveau fuehrer prenait la parole devant le micro. II adressait ensuite un ordre du jour aux débris de la Wehrmacht dont il prend le commandement suprême.
« Ces deux appels, disait hier la radio de Moscou, reprennent tous les subterfuges et mensonges habituels de la propagande hitlérienne qui ont pour but de semer la discorde parmi les Nations unies vraisemblablement qu’un nouveau subterfuge hitlérien. En annonçant la mort de Hitler, les fascistes allemands essayent sans doute de lui, donner la possibilité de quitter l’arène politique pour entreprendre la lutte souterraine ». […]

L’Humanité, 3 mai 1945, p.1-2

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2/ Article de L’ Aurore du 3 mai 1945

L’article est extrait  de L’Aurore du 3 mai 1945 qu’il ne faut pas confondre avec L’Aurore fondé au 19siècle. L’Aurore dont il s’agit ici a été créé dans la Résistance en juillet 1943, en se définissant comme « l’organe de la résistance républicaine », situé à gauche. L’article faisant figure d’éditorial est signé par le directeur du journal, Paul Bastid. Celui-ci est un homme politique chevronné de l’entre deux guerres et a fait carrière à la gauche du parti radical.

L’article est un appel à la vigilance, à la fois face au peuple allemand qui a porté Hitler au pouvoir et l’a soutenu et contre l’idéologie hitlérienne qui est « un phénomène international ».

La phrase de Paul Bastid « Certains ne prétendent-ils pas que Hitler aura raison dans un demi- siècle ? » résonne étrangement de nos jours …

 

HITLER EST MORT

MORT À HITLER !

Après Mussolini, Hitler. Chaque journée de cette pathétique semaine apporte au monde sa justice — sans relever les ruines que l’esprit de dictature y a amoncelées.
Mais le Duce a été exécuté par des patriotes italiens. Le Führer, lui, n’a pas succombé à la révolte de son peuple. Il est « tombé » dans le combat, déclare son successeur, l’ amiral Doenitz. La légende hitlérienne commence.
 Au vrai, nous ne savons pas si la nouvelle, théâtralement lancée, de la fin du « héros » n’est pas une dernière imposture. Les Alliés demanderônt à palper le cadavre. Ils feront bien. ‘
Cependant, la véritable question nest pas là, car, vivant ou mort, Hitler incarne dans sa personne toute la malfaisance d’un système qui a semé partout la dévastation, que la logique irrésistible d’événements accule à un désastre sans exemple, mais qui aspirera — qui aspire déjà — ; à renaître de ses cendres.
Pour le peuple allemand, il reste un héros, dont on pleure l’échec- mais dont on honore la pensée. Chaque nation se choisit l’emblème humain qui t’exprime le mieux. Hitler, c’est le germanisme lui-même, le germanisme exaspéré, la soif incoercible de conquête et de domination, l’inspiration par conséquent de toutes les revanches.
Au dehors, cet homme chargé de crimes, responsable de massacres gigantesques et d’innombrables martyres symbolise encore, pour un certain nombre d’égarés — comme il a symbolisé pour Pétain lui-même — l’ordre en lutte contre l’anarchie. Certes, personne, à l’heure actuelle, n’oserait invoquer son lugubre patronage. Mais qui pourrait affirmer que personne, secrètement, ne le regrette ? Des complices aujourd’hui se taisent qui demain chercheront à exploiter ces déceptions inévitables que traîne après soi la plus éclatante victoire. Insensiblement, ils tenteront de nous faire retomber dans l’abîme d’où nous sortons à peine. Certains ne prétendent-ils pas que Hitler aura raison dans un demi- siècle ?
–Car l’hitlérisme n’est pas qu’un phénomène allemand ; c’est un phénomène international. Le Reich le sait bien, qui compte sur sa résurrection pour annuler la catastrophe dans laquelle son chef — momentanément il le croit — l’a précipité.
Entre les Alliés victorieux, il s’agit donc d’enfoncer le coin. Une fois de plus, l’anticommunisme sera l’instrument. La lutte de Hitler contre le bolchevisme, pous dit l’amiral Doenitz, « n’a pas seulement profité à ‘Europe, mais au monde entier ». Goebbels, il y a quelques semaines, avait déjà lancé un appel de détresse à la bourgeoisie de tous les pays. La tactique est toujours en honneur. Présentement, elle apparaît peu dangereuse. Les souvenirs laissés par le terrorisme nazi sont encore trop proches. Mais plus tard ? Une peur — qui au surplus n’est pas nouvelle — ne pourrait-elle pas succéder à l’autre ?
Aussi convient-il de détruire dans son germe la légende qu’on est en train de créer. Le premier problème qui se posera demain aux, vainqueurs sera la désintoxication des âmes en Allemagne et hors d’Allemagne.
Hitler n’est pas Napoléon. Le rapprochement de ces deux noms serait une injure à la raison et à l’histoire. Aucune grossière parodie d’un passé glorieux ne saurait être tolérée. Qui songerait à assimiler les deux hégémonies ? Napoléon a semé à travers le monde les principes et les bienfaits d’un ordre social nouveau issu de la Révolution. Hitler, partout où il a passé, n’a engendré que le chaos et la mort.

Il est humiliant de penser que l’auteur de Mein Kampf a, quelques années durant, dominé le monde. Une civilisation qui se disait et qui se croyait raffinée a subi l’ascendant de cet esprit fruste. Cette éloquence d’adjudant a maîtrisé les foules. Ces vaticinations d’hystérique ont fait rêver jusqu’à des femmes, et cela non seuement dans le pays de Goethe, mais même chez des nations traditionnellement hostiles au Reich et pénétrées de préjugés antigermaniques.

On demeure confondu d’un pareil triomphe, si éphémère qu’il ait été. Mais les générations à venir ne sauraient être dupes que si elles le veulent bien de la mise en scène qui déjà se dessine. Quelles que soient les circonstances de sa mort, elles ne feront pas de Hitler une victime et un héros. Elles l’enseveliront dans le sang mêlé de boue où s’est alimenté son génie maléfique.

PAUL BASTID.

L’Aurore, 3 mai 1945, pages 1 et 2

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Extrait du journal Le Monde du 3 mai 1945

Successeur du journal d’avant-guerre Le Temps, le quotidien Le Monde, fondé en décembre 1944 par Hubert Beuve-Méry, s’est imposé comme un journal de référence en France. Dans son numéro du 3 mai 1945, Le Monde publie en page 2 une courte nécrologie d’Adolf Hitler dont voici quelques extraits.

Signée par René Lauret, elle se distingue par la qualité de l’écriture et la pertinence du portrait du dictateur, disparu 3 jours plus tôt. René Lauret (1882-1975) a été dans les années 30 correspondant du Temps à Berlin et connaît donc particulièrement bien son sujet.

HITLER

Hitler demeurera comme une des plus étonnantes et malheureusement aussi une des plus sinistres figures de l’histoire. Ce fils d’un douanier de Braunau succédant à la fois aux Hohenzollern et à Bismarck, cet Autrichien qui règne à Munich, puis à Berlin, ce caporal qui, brûlant les grades intermédiaires, devient généralissime de la plus puissante aimée du monde, cet homme d’action qui détient le record du bavardage, ce peintre en bâtiment qui couvre l’Allemagne d’énormes bâtisses et d’autostrades, cet écrivain qui ne sait pas écrire et dont le livre unique devient une Bible pour 80 millions d’hommes, présente assez de contrastes et d’énigmes pour occuper, à l’avenir, les biographes amateurs de curiosités psychologiques.

Son physique n’était pas imposant, et pourtant il imposait à son peuple. Sa voix nous paraissait dure et déplaisante, mais elle entraînait les foules allemandes : […]

Était-il cruel, ou seulement indifférent à la vie des hommes qui le gênaient quelquefois féroce par peur, comme beaucoup de tyrans ? La tuerie du 30 juin 1934 est révélatrice : il fit massacrer sous ses yeux Rœhm, son collaborateur et son ami, assassiner le général von Schleicher, son prédécesseur à la chancellerie, plus quelques centaines de personnes – beaucoup par erreur, – croyant qu’elles complotaient contre lui. Ses fureurs contre les juifs sont dues au fanatisme : un des traits marquants de son caractère. Le mot revient sans cesse dans ses discours. A ses yeux le fanatisme est une des grandes qualités de l’homme d’État : il donne de la force, de l’élan, le mépris de l’adversaire.

Ses dons politiques, outre l’éloquence (on peut dire qu’avant lui les Allemands n’avaient pas eu d’orateur), sont le  » dynamisme  » et l’instinct […]

On ne lui contestera pas d’avoir su entraîner un grand peuple ; d’y avoir réussi comme nul avant lui, pas même Luther, ni Frédéric, ni Bismarck. Il obtint des Allemands qu’ils substituassent  » Heil Hitler  » au banal  » Guten Tag  » (bonjour), voire à la gentille formule de l’Allemagne du Sud :  » Grüss Gott  » (que Dieu vous salue !). […] Mais leur faute [aux Allemands] commune sera surtout d’avoir uni, dans leur politique, la barbarie et la science, d’avoir répudié les idéaux de christianisme et d’humanité que les hommes les meilleurs ont adoptés depuis près de vingt siècles. Cette lacune fait que Hitler apparaîtra aux générations futures comme un grand personnage, puisqu’il a joué un grand rôle : non comme un grand homme.

RENÉ LAURET

Le Monde, 3 mai 1945, page 2

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