L’ordonnance allemande du 29 mai 1942 imposa aux Juifs  âgés de plus de 6 ans vivant  dans  la zone occupée à porter l’étoile jaune dans  l’espace public. Cette obligation entra en vigueur le dimanche 7 juin 1942. Particulièrement visible dans la région parisienne, le port de l’étoile jaune par les Juifs fit l’objet d’articles dans la presse collaborationniste. Nous en  avons choisi  deux exemples.

Le premier est issu du quotidien « Le Matin ». Fondé en 1884, Le Matin, qui se définit modestement comme « le mieux informé des journaux français », est un des plus anciens et des plus importants tirages de la presse nationale. Pendant l’Occupation, il adopte une ligne éditoriale collaborationniste. Le journaliste anonyme  a arpenté les rues de Paris la veille, soit le  premier jour de l’obligation du port de l’étoile jaune. Sans surprise, il approuve la mesure prise par les autorités allemandes, car elle  permet aux  « non juifs » de  constater « le nombre important de Juifs » qu’ils côtoyaient jusqu’ici sans le savoir. Le journaliste donne des chiffres de la population juive résidant en France et sur Paris tout-à-fait fantaisistes. Il confond probablement ici  avec le nombre d’étrangers vivant en France en 1941, une erreur de chiffres qui n’est pas anodine…

Le deuxième texte est extrait de l’hebdomadaire collaborationniste « Je suis partout » du 24 juillet 1942. Nous sommes  un mois et demi après l’entrée en vigueur de l’ordonnance allemande sur le port de l’étoile jaune, mais surtout un semaine après la rafle du Vel d’hiv’. L’auteur n’est autre que Pierre-Antoine Cousteau, le frère aîné du célèbre océanographe, le commandant Cousteau  (nul ne choisit sa famille…).

P-A Cousteau reproche à certains Français, traités de  « cornichons antifascistes », la pitié excessive dont ils feraient preuve à l’égard du sort réservé aux Juifs. On retrouve dans l’article toutes les vieilles obsessions et haines  recuites de l’extrême-droite française, du  juif errant jusqu’au traître Dreyfus …

Mais le polémiste nous offre aussi,   sans le vouloir,   comme un reflet  de la réprobation d’une partie de l’opinion publique parisienne à l’égard de l’obligation du port de l’étoile jaune, ainsi que de l’émotion suscitée par  la rafle du Vel d’Hiv’,  à laquelle il fait ainsi  allusion :  « que le bruit se répande d’un départ de Juifs vers les grandes plaines de l’Est, alors l’affliction des cornichons antifascistes ne connaît plus de bornes! « 


Premier jour du port de l’étoile jaune

 

La réflexion qu’elle a suscitée :
«Jamais on n’eût pu penser qu’il y avait autant de Juifs à Paris »

 

Depuis hier, les Juifs portent, cousue sur leurs vêtements, l’étoile de David, signe distinctif de leur race, dite improprement étoile jaune, puisqu’elle est noire sur fond bouton d’or. Selon les ordonnances, l’insigne était soigneusement découpé et solidement fini.

Cette floraison jaune qui s’était principalement manifestée, hier matin, dans les arrondissements périphériques et, naturellement, dans le ghetto, quartiers du Temple et de Saint-Paul, avait, dans l’après-midi, gagné les Boulevards.

Ainsi, les non Juifs purent connaître, en faisant leur marché, la race de bien des gens qu’ils croisaient ou rencontraient encore la veille chez les fournisseurs sans y prêter autrement attention, et il y eut quelques surprises.

Une autre surprise attendait les Parisiens l’après-midi, en constatant le nombre important de Juifs qui se promenaient, discutaient dans les cafés, se mêlaient aux fîles d’attente des théâtres et cinémas, ou bien encore prenaient simplement le métro. Et une partie seulement de la population juive était dehors. Il ne faut pas oublier qu’il y avait, en 1941, 1.200.000 Juifs en France, dont plus de 350.000 étaient absorbés par Paris et sa banlieue. Nous avons pu constater, une fois de plus, hier, que nous avions la mémoire courte.

Vers 20 heures, les étoiles jaunes se firent moins nombreuses. A 20 h. 1 , les Juifs étaient rentrés chez eux.

Le Matin, lundi 8 juin 1942, article non signé,  page 1


Pitié pour les Aryens! 

(extraits)

[…] Nous avons perdu la Syrie et le quart de l’Empire ? Les gens de Dunkerque sont traqués dans leurs caves par les commis-voyageurs volants de la Vickers Armstrong ? M. Churchill se prépare à trucider notre escadre d’Alexandrie ? Des petits Français manquent de lait ? Les vieillards des asiles crèvent comme des mouches ? Nous allons tous grelotter cet hiver ?

Eh ! quoi … la belle affaire ! Tout ceci est bien embêtant, sans doute, mais il faut se faire une raison. La vraie tragédie, ce sont les Juifs. Ecoutez les geignards du métro et des salons de coiffure. Pour se lamenter sur eux-mêmes, ils conservent une certaine bonhomie. Mais parlez-leur des Juifs et leurs traits se révulsent. Tout, absolument tout, pourvu qu’on ne touche pas aux Juifs. Chers Juifs, Juifs délectables, indispensable cancer.

Cette étoile, ce pavillon enfin hissé sur la viande d’Israël, c’est l’abomination de la désolation… Et que le bruit se répande d’un départ de Juifs vers les grandes plaines de l’Est, alors l’affliction des cornichons antifascistes ne connaît plus de bornes. Les mêmes gens qui vous disent avec un cynisme féroce :” Si les prisonniers rentraient, comment les nourrirait-on ?” ne se consolent pas de voir des rationnaires hébreux refluer vers les bases de départ de la grande invasion.

Comme ils sont doués, merveilleusement doués, ces éternels parasites, ces éternels errants, pour ameuter l’opinion. C’est la vertu cardinale de la race. Partout où ils ont pris pied, ils finissent par se faire détester. Mais toujours ils réussissent à se faire plaindre par le reste de l’univers. Ils sécrètent de la pitié, comme les Français sécrètent de l’épargne.

Qu’un traître s’appelle l’enseigne de vaisseau Aubert, on le fusille sans qu’une seule voix s’élève pour le défendre. Que le traître s’appelle le capitaine Dreyfus, c’est aussitôt la France scindée en deux camps, mûre pour la guerre civile. […]

Je suis partout, 24 juillet 1942, extraits de l’article de P-A Cousteau, Pitié pour les Aryens !, page1

Y Hélène Berr – Porter l’étoile jaune pour la première fois