La doctrine « Clinton »

« (…) Une nouvelle fois, la crise du Kosovo illustre ce qui commence à ressembler à une « doctrine Clinton » : le recours à la guerre aérienne, en dépit de toutes ses limites, comme instrument d’une politique étrangère américaine qui vise à préserver la crédibilité de la seule superpuissance de l’après-guerre froide, tout en minimisant les risques de l’intervention pour l’armée américaine (le « zéro pertes »). La guerre, aux objectifs limités (« endommager la capacité militaire » de l’ennemi), est menée avec les moyens que met à la disposition des stratèges la révolution technologique de l’armement. À quatre reprises en un an, Clinton a déclenché le feu du ciel, sous la forme de missiles de croisière Tomahawk ou de bombardiers B52. Le Soudan et l’Afghanistan ont été frappés en août 1998, l’Irak en décembre, et continue de l’être quotidiennement. La Serbie fait la même expérience aujourd’hui.

L’ambiguïté, certains disent l’impuissance, de cette doctrine a ses racines dans les motivations contradictoires de l’engagement américain. « Les Américains constatent qu’il se passe des choses terribles dans le monde, et se disent qu’il faut faire quelque chose », explique dans le Wall Street Journal Joseph Nye, professeur à l’université de Harvard, « mais ils ne sont pas sûrs du prix qu’ils sont prêts à payer » pour répondre à l’« impératif moral » que Bill Clinton invoque depuis le début de la crise au Kosovo comme la motivation première des frappes contre la Serbie. L’impératif moral est en fait équilibré par un autre réflexe au moins aussi puissant : l’égoïsme sacré qui pousse les Américains à refuser de voir « les boys rentrer dans des sacs à viande », surtout du bout du monde .

Bill Clinton est en fait confronté au dilemme que Jim Hoagland, l’éditorialiste de politique étrangère du Washington Post, décrit comme « la double image qu’ils ont d’eux-mêmes. Celle d’une nation qui a atteint un niveau sans précédent de prospérité et de puissance militaire mais qui ne veut pas, et ne peut pas, utiliser cette puissance à volonté pour imposer au monde une pax americana ». »

Patrick SABATIER, « Se poser en superpuissance sans risquer la vie des boys. L’Amérique soutient la « doctrine Clinton » », in Libération, 29 mars 1999.

Source : « Se poser en superpuissance sans risquer la vie des boys. L’Amérique soutient la « doctrine Clinton » [consulté le 30 mars 2012]