Les années 80 furent à bien des égards une décennie de grandes réalisations et de succès pour l’Espagne. Après avoir fait échec au coup d’Etat néo-franquiste de février 1981, la jeune démocratie espagnole passait avec succès l’épreuve de l’alternance démocratique en 1982, avec la victoire des socialistes qui s’installaient au pouvoir pour 14 ans. L’adhésion de l’Espagne dans la CEE en 1986 permettait d’intégrer pleinement le pays dans un espace européeen démocratique et prospère.
Mais cette période fut aussi marquée par un climat de violences et d’insécurité créé par les attentats terroristes perpétrées par ETA.
Acronyme de Euskadi ta Askatasuna (« Pays basque et liberté »), ETA est une organisation basque indépendantiste clandestine fondée en 1959, sous la dictature franquiste. ETA se définit comme une organisation nationaliste révolutionnaire et prône la lutte armée pour obtenir l’indépendance de l’Euskadi. Le premier attentat mortel de ETA a été perpétré le 7 juin 1968 contre un garde civil et le plus spectaculaire fut l’attentat à la bombe qui coûta la vie au chef du gouvernement de Franco, Luis Carrero Blanco, en décembre 1973. Le fait de viser des cibles politiques liées à la dictature franquiste ou des forces de l’ordre chargées de la répression valut à ETA une certaine popularité sous Franco, non seulement en Espagne (parmi les opposants à la dictature), mais aussi à l’étranger.
Cependant, la fin de la dictature et l’instauration de la démocratie en Espagne ne mettent pas fin aux attentats d’ETA, comme on peut le constater sur le graphique ci-dessous.
Au contraire, les attentats meurtriers connaissent un pic entre 1978 et 1980, – ce sont « les années de plomb » (los años de plomo) -, au moment de la mise en place du nouveau régime démocratique. Dans les années 80, les attentats terroristes d’ETA font chaque année plusieurs dizaines de victimes.
Les deux documents présentés ici concernent un attentat terroriste particulièrement odieux et criminel : un attentat à la bombe placée dans le parking d’un supermarché Hipercor de Barcelone, le 19 juin 1987, un vendredi après-midi au « moment où les familles viennent faire leurs courses hebdomadaires ». L’attentat fit au total 21 victimes, dont des femmes et des enfants, et 45 blessés.
Les deux textes sont des extraits d’articles du journal espagnol El País, publié à chaud aux lendemains de l’événement. La virulence de l’éditorial est à la hauteur du « record d’infamie et de cruauté battu hier par ces émissaires de la mort » et exprime sans doute l’effroi et le sentiment d’horreur ressentis par la société espagnole dans son ensemble.
Le deuxième extrait, plus factuel, relate la manifestation qui a envahi les rues de Barcelone, le lendemain de l’attentat, « la plus grande marche organisée en Catalogne depuis le 11 septembre 1976″.
L’attentat d’hipercor du 19 juin 1987 est donc une date majeure dans l’histoire du terrorisme d’ETA : un sommet atteint dans l’infamie et la violence aveugle ; un moment-clé dans la mobilisation de la société espagnole contre le terrorisme.
ETA contre tous, tous contre ETA
L’attentat misérable perpétré hier à Barcelone, la ville récemment choisie par ETA pour mener à bien sa courageuse offensive consistant à utiliser la bombe et la terreur contre des citoyens sans défense, porte la marque de la sinistre organisation basque. Placer une bombe sur le parking d’un hypermarché au moment où les familles viennent faire leurs courses hebdomadaires, voilà le nouveau record d’infamie et de cruauté battu hier par ces émissaires de la mort. Ils devaient savoir à l’avance que les victimes seraient surtout des femmes et des enfants. Et la stratégie de la terreur a fait cette fois-ci 15 morts et plus de 30 blessés, certains d’entre eux luttant en ce moment même entre la vie et la mort. Peut-être a-t-on tenté de compenser, dans le décompte sanglant des terroristes, par cette moisson de morts et de corps détruits, les centaines ou les milliers de corps que la récente attaque contre la raffinerie Enpetrol de Tarragone n’a pas réussi à produire : une action qui, au-delà des pertes économiques élevées, aurait pu provoquer une extermination incalculable parmi les habitants des maisons voisines.
Le message de ces incendiaires à gages, encouragés depuis certaines tribunes et par la lâcheté intellectuelle d’écrivains frustrés et de religieux impuissants, est clair : la menace ne concerne plus seulement certaines forces de sécurité, les forces armées de l’État, les hommes d’affaires qui refusent de payer leur protection à la mafia de l’ETA ou ceux qui quittent les rangs de l’organisation ETA. La population tout entière, sans distinction de croyances ni d’âge, semble désormais être une cible que ces indésirables ont placée au centre de leurs projets macabres. Et c’est pour cette raison que la population tout entière, à travers ses instances souveraines, doit savoir répondre avec force et sérénité à la menace. Mais pour cela, il faut un leadership politique qui accorde plus d’attention aux angoisses et aux préoccupations de la rue et moins à ses propres rêveries.
Mesures de sécurité
L’action de Tarragone a fait comprendre aux responsables du ministère de l’Intérieur le saut qualitatif du terrorisme de l’ETA. C’est pour cette raison qu’un mécanisme d’alarme et de sécurité plus intense et plus développé avait été mis en place dans la ville de Barcelone, centre déclaré de risque maximal d’attentats, compte tenu de la repércussion internationale de son statut de prochain site olympique . Mais ces mesures n’ont servi à rien.
L’inefficacité de la police dans la lutte contre le terrorisme ainsi que dans la prévention de la sécurité des citoyens est pathétique. L’incapacité politique à avancer sur cette question est évidente. Il faut reconnaître les difficultés qu’implique la lutte contre le banditisme de l’ETA et de ses acolytes politiques. Mais cette reconnaissance ne doit pas empêcher le ministre de l’Intérieur d’assumer le bilan négatif que représente la succession d’échecs et le record d’inaptitudes qu’il enregistre dans ce domaine.
[…]
El Pais, éditorial du 20 juin 1987
Barcelone connaît sa plus grande manifestation depuis qu’elle a demandé le retour de Tarradellas
Plusieurs centaines de milliers de personnes – les estimations varient entre 300 000 et un demi-million – ont manifesté hier dans le centre de Barcelone, suite à l’appel du Parlement de Catalogne contre le terrorisme, trois jours après l’attentat qui a fait 17 morts. La polémique continue sur l’évacuation des centres menacés par les bombes, alors que Barcelone continue de subir un flot d’appels annonçant des attentats, et hier une vingtaine de grands magasins,d’ hôpitaux etde bureaux ont subi cette épreuve, à laquelle – bien qu’il soit fermé – Hipercor n’a pas échappé. Ce grand magasin réfute l’affirmation du gouvernement selon laquelle la police aurait demandé son évacuation.
Il y a unanimité pour considérer qu’hier après-midi a eu lieu la plus grande marche organisée en Catalogne depuis le 11 septembre 1976, journée au cours de laquelle fut demandé le retour d’exil du président Tarradellas. Derrière un groupe de proches des victimes, aux côtés du ministre de la Culture, Javier Solana – qui représentait le gouvernement espagnol – et du président du Parlement basque, Jesús Eguiguren – qui a exprimé la solidarité d’Euskadi -, toutes les autorités catalanes ont défilé. Parmi les participants se trouvait Gary Hart, actuellement dans la capitale catalane. À midi, la cloche qui a sonné en faveur d’une grève de protestation de cinq minutes de silence a été massivment suivie dans la plupart des usines et des bureaux. Le gouverneur de Barcelone, Ferrán Cardenal, a demandé que la polémique sur les raisons pour lesquelles Hipercor n’ a pas été évacué vendredi dernier, ne détourne pas l’opinion publique du fait que l’ETA est l’unique coupable des assassinats. […]
El País, 22 juin 1987, page 1
Traduction proposée par Gilles Legroux
ETA contra todos, todos contra ETA
EL MISERABLE atentado realizado ayer en Barcelona, ciudad elegida últimamente por ETA para llevar a cabo su valerosa ofensiva consistente en usar la bomba y el terror contra ciudadanos indefensos, lleva el sello de la siniestra organización vasca. Colocar una bomba en el aparcamiento de un hipermercado a la hora en que las familias acuden para realizar su compra semanal es el nuevo récord de infamia y crueldad batido ayer por esos emisarios de la muerte. Tenían que saber de antemano que las víctimas serían sobre todo mujeres y niños. Y la estrategia del terror se ha cobrado esta vez 15 muertos y más de 30 heridos, algunos de ellos debatiéndose en estas horas entre la vida y la muerte.Posiblemente esa cosecha de víctimas mortales y cuerpos destrozados haya procurado suplir, en la sangrienta contabilidad de los terroristas, los cientos o miles de cadáveres que no alcanzó a producir el reciente atentado contra la refinería de Enpetrol en Tarragona: una acción que más allá de las altas pérdidas económicas podía haber provocado un incalculable exterminio entre los habitantes de las viviendas cercanas.
El mensaje de estos pirómanos a sueldo, jaleados desde algunas tribunas y desde la cobardía intelectual de frustrados escritores y desamparados clérigos, es claro: la amenaza no se refiere ya sólo a determinados cuerpos de seguridad, a las Fuerzas Armadas del Estado, a empresarios que se resisten a pagar protección a la mafia etarra o a quienes abandonan las propias filas de la organización ETA. Toda la población, sin distinción de creencias o edad, parece haberse convertido ya en un objetivo que estos indeseables han colocado en el centro de sus proyectos macabros. Y por lo mismo toda la población, a través de sus órganos de soberanía, debe saber responder con contundencia y serenidad a la amenaza. Pero para eso se necesita un liderazgo político que atienda más a las inquietudes y preocupaciones de la calle y menos a sus propias ensoñaciones.
Medidas de seguridad
La acción de Tarragona hizo entender a los responsables del Ministerio del Interior el salto cualitativo del terrorismo etarra. Se había dispuesto, por ello, un mecanisno de alarma y de seguridad más intenso y desarrollado en la ciudad de Barcelona, centro declarado de máximo riesgo en vista de la repercusión internacional que por su condición de próxima sede olímpica alcanzan los atentados. Pero de nada han servido estas medidas.
La ineficacia policial en la lucha contra el terrorismo, como en la prevención de la seguridad ciudadana, es patética. La incapacidad política para progresar en el tema, es ya evidente. Es preciso reconocer las dificultades que la lucha contra el bandolerismo de ETA y sus secuaces políticos comporta. Pero ese reconocimiento no debe evitar al ministro del Interior asumir el negativo balance que representa la sucesión de fracasos y el récord de incapacidades que en este terreno ha venido contabilizando.
Sin duda, como declaró en su día Juan María Bandrés, el mejor medio para que no explote una bomba es no colocarla. Que alguien de ETA hiciera o no una llamada previa a la explosión es una vacua coartada para los asesinos. Pero las fuerzas de seguridad, en circunstancias de amenaza tan grave como las que padece la capital catalana, deben aprovechar el mínimo recurso a su alcance, y no parece seguro que el dispositivo de reacción, tras el aviso, se encontrara al grado de competencia que requiere una lucha contra esta máquina de muerte.
De hecho, si se comprueban indolencias o ineptitudes por parte de la policía en esta materia el responsable de ellas no puede ser únicamente, por más tiempo, un comandante des pistado o un delegado del Gobierno poco activo. El responsable político directo es el señor Barrionuevo, y si la testarudez de otros lleva a no cesarle es su propia dignidad moral la que le debe obligar a irse. Que no se diga que no debe hacerlo en los momentos difíciles. No estamos ante un concurso para saber qué político es más resistente sino ante una situación que merece mayor sangre fría, más inteligencia y otra imaginación política.
Cobertura política
Hace unos días, 150.000 ciudadanos no vascos, y entre ellos 40.000 catalanes, otorgaron su voto a Herri Batasuna, la coalición que afirma compartir los principios y objetivos de ETA, y cuyas fechorías se niega a condenar aduciendo que el problema de la violencia debe ser abordado « en toda su complejidad ». Ideólogos del nacionalismo radical vasco se han indignado con frecuencia ante el calificativo de terroristas aplicado por los medios de comunicación a las acciones de ETA, y todavía en la reciente campaña se han oído voces que establecían sutiles diferencias entre terrorismo propiamente dicho y lucha armada. Cuando los antiguos competidores polimilis hicieron estallar sendos artefactos en el aeropuerto de Barajas y en una estación de ferrocarril, en Madrid, Herri Batasuna condenó tales acciones, que calificó de indiscriminadas y contrarias a los intereses del pueblo trabajador vasco. Es preciso que quienes pidieron el voto de los ciudadanos españoles en nombre de la necesidad de soluciones políticas al problema de la violencia expliquen si consideran discriminado o indiscriminado el atentado de ayer en Barcelona, y cuál es la relación existente entre la colocación de ese artefacto mortífero y los intereses populares comunes a los trabajadores catalanes y vascos esgrimidos durante la campaña.
Es seguro que muchos votantes de Herri Batasuna aborrecen esa ciega violencia asesina. Incluso es probable que algunos de sus dirigentes anhelen acabar de una vez con esta locura. Pero para que tales sentimientos merezcan crédito resulta imprescindible que se atrevan a dar un paso al frente y digan claramente que no es poniendo bombas en los grandes almacenes como se avanzará en la búsqueda de soluciones políticas a los problemas del pueblo vasco. Es decir, que por una vez sea mayor la repugnancia ante el crimen gratuito que el temor a disgustar a los profetas armados. No resulta posible seguir ignorando el sentido de la cobertura ideológica y política que HB viene prestando a ETA en su desesperada huida hacia delante. Lo de menos es saber si realmente todos o sólo una pequeña parte de los votantes de Herri Batasuna apoyan subjetivamente barbaridades como la de ayer. Lo indudable es que ETA interpreta esos votos como una autorización para seguir cometiéndolas. Y aunque hubieran sido no ya 300.000 sino tres millones los votos obtenidos por HB, no variaría la consideración moral que merecen los autores de la acción de ayer; del mismo modo que los votos obtenidos por el Partido Nacional Socialista alemán en 1933 no modifican en nada la catadura moral de Hitler, la Gestapo y todos sus cómplices.
El País, editorial del 20 de junio de 1987
Barcelona vive su mayor manifestación desde la que pidió el regreso de Tarradellas
Varios centenares de miles de personas -las estimaciones oscilan entre los 300.000 y el medio millón- se manifestaron ayer en el centro de Barcelona, siguiendo la convocatoria del Parlamento de Cataluña contra el terrorismo, tres días después del atentado que causó 17 muertos. Continúa la polémica sobre el desalojo de los centros amenazados de bomba, pues Barcelona sigue padeciendo un aluvión de llamadas anunciando atentados, y ayer una veintena de grandes almacenes, hospitales y oficinas sufrieron ese trance, del que no escapó -pese a estar cerrado- Hipercor. Este almacén desmiente la afirmación gubernativa de que la policía hubiera pedido la evacuación.
Existe unanimidad en considerar que la de ayer por la tarde ha sido la marcha más multitudinaria que se ha celebrado en Cataluña desde el 11 de septiembre de 1976, la Diada en que se solicitó el regreso del exilio del presidente Tarradellas. Detrás de un grupo de fainiliares de las víctimas, junto al ministro de Cultura, JavierSolana -que representaba al Gobierno español-, y al presidente del Parlamento vasco, Jesús Eguiguren -que expresaba la solidaridad de Euskadi-, desfilaron todas las autoridades catalanas. Entre los asistentes figuraba Gary Hart, actualmente en la capital catalana. Al mediodía, la campaña en favor de un paro de protesta de cinco minutos de silencio fue seguida masivamente en la mayor parte de las fábricas y oficinas.El gobernador de Barcelona, Ferrán Cardenal, ha pedido que la polémica sobre las causas por las que no fue desalojado el viernes pasado Hipercor no desvíe ante la opinión pública el hecho de que ETA es el único culpable de los asesinatos. Los responsables del hipermercado ya han entrado en contacto con las familias de las víctimas para concretar su ayuda. Ha trascendido que hay una póliza que cubre con cinco millones de pesetas la vida de cada uno de los damnificados.
[…]
El País, 22 de junio de 1987, portada
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