PREAMBULE DE LA « CHARTE DE LA LIBERTE », 1955

« Nous, le peuple d’Afrique du Sud, nous déclarons pour que tout notre pays et le monde le sachent :
Que l’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent, Noirs et Blancs, et qu’aucun gouvernement ne peut équitablement revendiquer une autorité qui ne serait pas fondée sur la volonté du peuple ;
Que notre peuple a été dépossédé de son droit de naissance à la terre, de la liberté et de la paix par une forme de gouvernement fondée sur l’injustice et l’inégalité ;
Que notre pays ne sera jamais prospère ni libre tant que tout notre peuple ne vivra pas dans la fraternité et ne bénéficiera pas d’une égalité de droits et de chances ;
Quel seul un État démocratique, fondé sur la volonté du peuple, peut assurer à tous leurs droits naturels sans distinction de couleur, de race, de sexe ou de croyance ;
Et, par conséquent, nous, le peuple d’Afrique du Sud, Noirs et Blancs ensemble – égaux, compatriotes et frères –, nous adoptons cette CHARTE DE LA LIBERTE. Et nous nous engageons à ne ménager ni notre force ni notre courage tant que les changements démocratiques énoncés ici n’auront pas été réalisés. »

Rapporté par Nelson MANDELA, Un long chemin vers la liberté. Paris Fayard, 1995, p. 187.

DÉCLARATION UNILATÉRALE D’INDÉPENDANCE DE LA RHODÉSIE (11 NOVEMBRE 1965)

Dans certaines colonies, on vit se développer un mouvement d’indépendance-colon. Il s’agit d’une population blanche qui, voyant sa métropole prendre le parti des Africains noirs, tente de sauver ses privilèges en proclamant l’indépendance. « En Afrique du sud le national-colonialisme avait sécrété l’indépendance, stade ultime de l’impérialisme. » (Marc Ferro, Histoires des colonisations, éd. du Seuil, 1994, p. 294)

C’est ce qui arriva en Rhodésie du Sud, le 11 novembre 1965, avec l’Unilateral Declaration of Independance proclamée par Ian Smith. L’ONU, l’OUA, le Commonwealth la condamnèrent. Ian Smith ignora les protestations et fit en pas de plus en proclamant la République. Le gouvernement anglais pensa à l’intervention militaire, puis y renonça à cause d’une opinion publique britannique peu encline à voir des Britanniques tirés sur des Britanniques pour défendre les droits des Noirs.

« Bien des années passèrent avant que les Noirs se voient reconnaître de véritables droits et que la Rhodésie retrouve le nom de l’ancien royaume qui avait préexisté à l’arrivée des Européens et de Cecil Rhodes : le Zimbabwe. » (Marc Ferro, Histoires des colonisations, éd. du Seuil, 1994, p. 294)

« Considérant que dans le cours des affaires humaines, l’histoire a montré qu’il pouvait devenir nécessaire, pour un peuple, de remettre en question les liens politiques qui l’ont uni à un autre peuple et d’assumer séparément, dans le concert des nations, le statut auquel il peut prétendre ;

Considérant que sans une telle éventualité, le respect de l’humanité exige de ce peuple qu’il explique aux autres les raisons qui l’obligent à exercer pleinement la responsabilité de ses propres affaires ;

Nous, gouvernement de la Rhodésie, déclarons ce qui suit :

Il est acquis de façon indiscutable que le gouvernement rhodésien exerce depuis 1923 des pouvoirs autonomes et qu’il assume la responsabilité du développement économique et du bien-être du pays.

Le peuple rhodésien, après avoir montré sa loyauté à l’égard de la Couronne, assumé ses liens de parenté avec le Royaume-Uni lors des deux guerres mondiales, et prouvé qu’il était prêt à se sacrifier pour ce qu’il estimait être l’intérêt des peuple épris de paix, voit maintenant que ce qu’il a chéri risque d’être sacrifié sur l’autel de l’opportunisme.

Le peuple rhodésien a été le témoin d’un processus qui a détruit les préceptes mêmes sur lesquels, dans un pays primitif, il a bâti sa civilisation. Il a vu les principes et les valeurs morales de la démocratie occidentale s’écrouler ailleurs, et néanmoins il est resté inébranlable.

Le peuple rhodésien appuie pleinement la volonté d’indépendance souveraine de son gouvernement et constate le refus persistant du Royaume-Uni d’accéder à cette demande.

Le gouvernement du Royaume-Uni a démontré qu’il n’était pas disposé à accorder l’indépendance souveraine à la Rhodésie dans des conditions acceptables pour le peuple rhodésien. Il a continué à appliquer sans aucune justification sa législation à la Rhodésie, il l’a empêchée de légiférer et de conclure des traités librement, il a refusé de donner son accord à des textes qui étaient nécessaires au bien public, tout cela au détriment de la paix, de la prospérité et de la bonne administration de la Rhodésie.

Le gouvernement rhodésien a fait preuve d’une grande patience et il a négocié de bonne foi avec le gouvernement britannique, pour mettre fin aux limitations qui lui sont imposées et obtenir l’indépendance souveraine.

Convaincu que toute temporisation, tout retard à agir, compromettraient la vie même de la nation, le gouvernement rhodésien considère essentiel que la Rhodésie obtienne sans délai l’indépendance souveraine dont la justification ne fait aucun doute.

C’est pourquoi nous, gouvernement de la Rhodésie, en toute humilité à l’égard de Dieu Tout-Puissant, qui contrôle la destinée des peuples, sachant la loyauté et le dévouement dont le peuple rhodésien a toujours fait preuve à l’égard de Sa Majesté la Reine, et priant avec ferveur pour que nous puissions continuer à montrer la même loyauté et le même dévouement afin que la dignité et la liberté de tous les hommes soient assurées, nous adoptions, promulguons et donnons au peuple de Rhodésie la Constitution jointe en annexe.

God save the Queen. »

Cité par Daniel Jouanneau, Le Zimbabwe, Paris, PUF, 1983, pp.117-119.

AVERTISSEMENT

Voici deux extraits d’une brochure touristique datant de 1978 concernant l’Afrique du Sud.

Ils sont intéressants bien sûr au premier degré : pour illustrer l’apartheid et sa présentation officielle par le gouvernement sud-africain, mais aussi, pour le second, sur le discours politique : comment les meilleures intentions apparentes – égalité, démocratie, souci de faire progresser les plus faibles etc. – peuvent être utilisées pour « justifier » une épouvantable politique raciste. Il peut aussi faire réfléchir sur les pièges du communautarisme, des régionalismes ou nationalismes

Le premier apparaît intéressant sur la fonction de l’histoire comme « invention » au service d’une cause.

Est-il utile de préciser que ni l’un ni l’autre de ces extraits ne peut être utilisé sans précaution, ni un minimum de connaissances !

Population, histoire et propagande

« La population et son histoire

Un certain nombre de nations diverses cohabitent à l’abri des frontières de l’Afrique du Sud. Les termes Afrique du Sud, République d’Afrique du Sud et Afrique Australe sont fréquemment pris les uns pour les autres, comme s’ils recouvraient une seule et même réalité. En fait, le terme d’Afrique Australe concerne un concept régional, tels ceux d’Europe Centrale ou de Sud-Est Asiatique, et s’applique à un ensemble de sept entités territoriales qui s’étendent essentiellement au sud du Zambèze : le Sud-Ouest Africain, le Mozambique, la Rhodésie, l’ Afrique du Sud, le Botswana, le Lesotho et le Swaziland.

Les expressions Afrique du Sud et République d’Afrique du Sud semblent interchangeables. Pourtant, dans le cadre de la politique de développement multinational, la République d’Afrique du Sud apparaît comme le Foyer géopolitiquement déterminé de la nation blanche alors que le terme d’Afrique du Sud concerne la réalité géographique qui juxtapose à cette nation quatre Etats noirs indépendants (Botswana, Lesotho, Swaziland et Transkei, ce dernier indépendant depuis octobre 1976), ainsi que les Foyers historiques de sept autres nations noires. Un autre Etat, le Bophuthatswana, est indépendant depuis le 6 décembre 1977.

L’Afrique du Sud a un peuplement hétérogène, dont chaque groupe possède sa culture et sa langue à lui, avec ses propres institutions politiques, éducatives et culturelles.

LES BLANCS

Les Blancs descendent pour la plupart de pionniers néerlandais, français, britanniques et allemands, qu’ont rejoint des ressortissants d’autres pays, tels que Portugal, Grèce et Italie. L’Afrique du Sud a été découverte au XVème siècle par des Portugais qui doublèrent le Cap dans l’espoir de trouver une route maritime vers l’Orient.

La civilisation occidentale a été apportée à l’ Afrique du Sud en 1652 par les Hollandais venus au Cap sous le commandement de Jan van Rieebeeck, que la Compagnie Néerlandaise des Indes avait chargé d’y créer une station de ravitaillement pour les marchands et équipages de la Compagnie voguant entre Pays-Bas et Indes Orientales. Arrivés en 1688, les Huguenots français s’établirent parmi les Hollandais qui les assimilèrent. Seuls sont restés leurs noms et ceux de leurs fermes dans l’ouest de la province du Cap. Les vignes qu’ils ont plantées dans la Vallée de Franschhoek conservent le souvenir de ces colons français. Troisième immigration importante: celle des quelque 5’000 colons britanniques qui s’installèrent dans le Cap Oriental au lendemain des guerres napoléoniennes. Un quatrième groupe important fut celui des Allemands (entre 1848 et 1858). Les premiers Blancs sont donc arrivés 32 ans seulement après que les Pères Pèlerins aient foulé le sol de l’ Amérique du Nord. Il ne faudrait toutefois pas en déduire que la société sud-africaine est une communauté de colons ou d’immigrants. Il existait en Afrique du Sud des communautés blanches bien avant que n’aient vu le jour la plupart des républiques latino-américaines. En tout cas, il fallut attendre 120 ans après la création du Cap pour que Blancs et Noirs finissent par se rencontrer, à 1000 km à l’est ! La nation blanche sud-africaine résulte de trois siècles d’efforts soutenus, et c’est à juste titre que les citoyens de la République se considèrent comme une nation africaine à part entière, définitivement enracinée sur cette portion de continent devenue leur mère patrie, et dont ils revendiquent la possession en vertu de trois réalités historiques: une occupation consciente et suivie, un développement économique effectif et soutenu, un contrôle politique efficace et continu.

Historiquement, ce sont les 2’600’000 Afrikaners (Blancs d’expression afrikaans) qui se trouvent le plus solidement ancrés dans ce terroir africain qui les a vu naître et se développer. Aussi ont-ils de plein droit leur place parmi les divers peuples d’Afrique. Aujourd’hui, les Sud-Africains blancs forment une nation indépendante adulte. A partir d’un patrimoine hérité de leurs origines européennes, ils se sont forgé une identité et un mode d’existence propres. C’est à juste titre qu’ils se proclament des Africains Blancs, et considèrent que leur destin se trouve indissolublement lié à celui de l’ Afrique tout entière.

LES NOIRS

L’ascendance des peuples noirs est tout ensemble chamitique et négroïde. Voilà plusieurs siècles déjà qu’ils ont quitté la région des Grands Lacs, au coeur de l’ Afrique, pour émigrer vers le sud. Un premier groupe a fait halte dans le bassin du Congo, en Angola, et plus au sud. Un second (les Sothos) s’est fixé au Lesotho, au Botswana, et dans certaines parties du Transvaal et du Cap septentrional. Un troisième (les Nguni) pénétrait au Natal le long de la côte orientale, jusqu’au nord-est de la province du Cap. C’est ce dernier qui devait entrer en contact avec les Blancs arrivant de l’ouest.

Les mouvements migratoires au dix-neuvième siècle ont largement déterminé les habitats actuel des Blancs et des Noirs.

Après la création de l’Union Sud-Africaine, en 1910, les Noirs conservèrent leurs territoires, lesquels devaient être par la suite étoffés grâce à des achats de terrains, dans le Cadre du Bantu Act (1913) et du Bantu Trust and Land Act (1936). Ces lois réservent à l’occupation des Noirs une superficie totale avoisinant 15 400 000 hectares. Depuis lors, ces divers territoires se sont constitués dans une large mesure en entités géopolitiques.

Une part substantielle des Foyers nationaux Tswana, Swazi et Basotho, soit environ le tiers de « la plus grande Afrique du Sud », sont restés en dehors de l’Union, formant plus tard les Etats indépendants de Botswana, Swaziland et Lesotho. Il faut en tenir compte dans l’évaluation de la part territoriale relative dévolue à chacun des peuples d’Afrique Australe. Des peuples entiers (Xhosas, Zoulous, Sothos du Nord et Vendas) ont été inclus dans l’Union Sud-Africaine, avec certains Tswanas, Swazis, Basothos et Tsongas/Shangaans. Ces peuples désirent eux aussi, leur indépendance politique. Les territoires qu’ils occupent (Foyers Nationaux) sont en cours de remembrement et de développement. Aussitôt indépendants, ils seront libres de décider s’ils veulent ou non s’associer à d’autres Etats.

La partie la plus riche de l’Afrique du Sud recouvre un territoire appelé le « Triangle Bleu », situé grosso modo à l’est d’une ligne qui va du Blouberg, dans le Transvaal nord, à Port Elizabeth, sur la côte, et particulièrement fertile et bien arrosé.

On y trouve une part notable des Foyers nationaux noirs, avec environ 50 pour cent de toutes les terres arables du pays. Il faut comprendre que les Noirs forment plusieurs nations distinctes, ayant leurs coutumes et traditions propres et parlant une dizaine d’idiomes bantous différents.

LES INDIENS

Les Indiens sont entrés en Afrique du Sud en 1860 pour travailler sous contrat aux plantations de canne à sucre du Natal, avec approbation du gouvernement britannique. Ils s’augmentèrent par la suite d’un nombre important de compatriotes venus de leur propre chef, négociants, marchands ou artisans. En 1927, les gouvernements sud-africain et indien signèrent le « Cape Town Agreement », qui prévoyait un plan d’aide officiel pour les Indiens candidats au rapatriement en Inde, leur assurant passage gratuit et prime de départ. Il y eut fort peu d’amateurs. En 1949, on revint à la charge en augmentant la prime. Le plan fut quand même un échec.

Après la proclamation de la République en 1961, on admit que les Indiens tenaient désormais leur place au sein de la population. Aujourd’hui, ils sont devenus riches marchands, courtiers, avocats, médecins, entrepreneurs de travaux publics, industriels prospères. D’autres gagnent leur vie comme maraîchers, planteurs de canne à sucre, ouvriers spécialisés ou non. Initialement adonnés au commerce, ils sont passés à d’autres activités, surtout dans les industries de transformation. Ils disposent d’un Conseil Indien en partie élu, avec compétence sur les questions qui les concernent, et qui sera par la suite, entièrement élu. (Se reporter aux pp. 28-29 pour les derniers projets constitutionnels concernant les Indiens, les Métis et les Blancs).

LES METIS

Les seuls indigènes qu’aient connus les Blancs des origines étaient les Hottentots et les Boschimans. Ces derniers devaient demeurer un peuple à part, qui hante par petits groupes les régions semi-désertiques du Cap Occidental et des contrées voisines.

Les Hottentots furent décimés très tôt par deux épidémies de variole et leurs survivants se mêlèrent à des peuples d’autres races, pour constituer le noyau de la population métisse actuelle, qui vit principalement dans la province du Cap occidental.

Les Namas du Sud-Ouest Africain sont de nos jours les représentants les plus authentiques des Hottentots primitifs

Les Malais du Cap forment à l’intérieur du peuple métis une communauté à part, qui a conservé sa culture, ses coutumes, et sa fidélité de l’Islam.

LANGUES

La République d’ Afrique du Sud possède deux langues officielles : l’afrikaans et l’anglais. L’afrikaans est la langue maternelle de 60 pour cent des Blancs environ et de 80 pour cent des Métis. Les autres Blancs et Métis sont, dans l’ensemble, anglophones. L’afrikaans est dérivé du néerlandais du 17e siècle, et l’histoire de cette langue, le plus jeune de tous les idiomes occidentaux, montre que le Sud-Africain blanc a rompu depuis longtemps avec la situation de colon. Les ancêtres des Blancs d’expression afrikaans sont sans nul doute les seuls émigrants qui se soient créé une langue à eux dans leur nouvelle patrie. Les linguistes considèrent l’afrikaans comme une branche indépendante des langues indo-germaniques. C’est en outre la seule langue parlée d’Afrique dont le nom évoque celui de son continent natal.

Les Indiens parlent pour la plupart anglais, et certains d’entre eux afrikaans. Mais, les vieux emploient encore les idiomes ancestraux, tamil, hindi, telugu, gujarati et ourdou. Il existe également une petite communauté chinoise.

Bien que les Noirs parlent anglais, afrikaans ou les deux langues, ils préfèrent généralement leur propre idiome.

RELIGIONS

L’Afrique du Sud pratique plus de vingt religions que dominent cinq confessions principales. Plus de 2 millions de Blancs appartiennent à l’Eglise Réformée Hollandaise (Nederduitse Gereformeerde Kerk) ou à des confessions apparentées, la Nederdeutsch Hervorrnde Kerk et la Gereforrneerde Kerk, dont les différentes missions en Afrique du Sud rassemblent plus de 500’000 Métis et 850’000 Noirs. L’Eglise Anglicane compte un peu moins de 1’500’000 adhérents de toutes races et les catholiques 1’650’000 (dont près de 1’330’000 Noirs). Puis viennent les méthodistes, les presbytériens, les adeptes des religions apostoliques, de l’hindouisme et de l’islam. Autres églises et credos représentés : congrégationnistes, luthériens, grecs orthodoxes, baptistes, adeptes de la Christian Science, adventistes. du Septième Jour, évangélistes, juifs orthodoxes, confucianistes, auxquels s’ajoutent les adeptes des quelques 3’000 sectes noires qui totalisent environ 2’760’000 membres. Six pour cent seulement des Indiens sont chrétiens, alors que, d’après le recensement de 1970, 15’796’590 habitants (sur un total de 21’448’169) se réclamaient d’une religion chrétienne. »

Extrait d’une brochure à vocation touristique distribuée en France sous le titre « Voici l’Afrique du Sud » pages 7 à 11

Références : Compiled and published by the Publications Division of the South African Bureau for International Communication. Private Bag X152, 001 Pretoria. Edited by Joan Oliver. Lay-Out by Attie Driessen. Printed in the Republic of South Africa for the gouvernment Printer, Pretoria, by Trio-Rand/S.A. Litho, Cape Town. – OCTOBER 1978

ISBN 0 621 03451

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Politique d’apartheid et sa « justification »

« DEVELOPPEMENT MULTINATIONAL

L’Afrique du Sud, on l’a vu plus haut, n’abrite nullement une société homogène avec unicité d’appartenance nationale, de langue, d’histoire et de culture, pas plus qu’elle n’offre l’image d’une situation de type colonial. dans laquelle des colons blancs auraient imposé leur loi à une majorité d’indigènes de race noire.

Les descendants des pionniers néerlandais de 1652 arrivés peu après que d’autres Néerlandais aient abordé en Amérique, puis ceux des pionniers français, allemands et britanniques qui vinrent par la suite, forment une nation africaine caractérisée, tout comme Français ou Allemands, par exemple, forment des nations européennes spécifiques.

Les Noirs, issus eux-mêmes de peuples migrateurs originaires de la région des Grands Lacs, à l’est de l’Afrique Centrale, loin de constituer une seule nation, se composent au contraire d’ethnies disparates formant des nations distinctes, aux langages et cultures différents ayant derrière elles un passé de sanglants affrontements tribaux. Ces nations noires diffèrent autant les unes des autres que peuvent le faire entre eux Turcs et Grecs, Juifs et Arabes. Autrement dit : l’ Afrique du Sud est un microcosme reproduisant toutes les complexités ethniques et politiques du monde.

Aux points de vue historique ou constitutionnel, pas plus les peuples noirs que la nation blanche ne peuvent revendiquer de priorité sur l’ensemble du territoire sud-africain, si ce n’est sur ces régions (aujourd’hui Foyers Nationaux) qui les ont vu jadis s’installer les premiers. Si ces peuples ont paru former un même Etat, c’est à la suite de la conquête coloniale britannique. Les frontières nouvelles qui en résultèrent englobèrent des territoires naguère indépendants, dont quelques-uns devinrent partie intégrante de l’Union sud-africain en 1910, tandis que d’autres demeuraient sous administration britannique en attendant leur indépendance.

La décision, prise voici une trentaine d’années de lancer un programme de développement politique séparé pour les nations Noires et blanches était basée, comme elle l’est toujours, sur des considérations de culture, d’histoire et de politique. Les objectifs principaux : l’autodétermination politique pour chaque groupe national, la sauvegarde de son identité et la volonté d’abolir la domination d’un peuple sur un autre. Cette politique n’entend pas seulement sauvegarder l’identité des Zoulous, Xhosas, Tswanas, Sothos et autres nations noires, mais aussi leur donner la fierté de leur langue, de leur histoire, de leur culture et de leurs traditions.

LES FOYERS NATIONAUX

La politique de développement multinational prévoit la création de gouvernements noirs politiquement indépendants sur les territoires historiques des diverses nations noires et qui sont ceux-là mêmes (plus vastes que l’Angleterre et le Pays de Galles réunis) sur lesquels elles se sont établies lors de leur pénétration en Afrique Australe. Depuis 1936, ces Foyers nationaux noirs ont été agrandis de 70 pour cent par l’achat systématique de terres prélevées sur les régions blanches limitrophes, grâce à des crédits octroyés par le Parlement sud-africain. Au cours de la prochaine décennie cette opération absorbera de 750 millions à 1’200 millions de rands.

Développement économique

Pour le Gouvernement sud-africain l’indépendance politique des Foyers doit s’accompagner d’un développement économique maximum, seule façon de résoudre de manière satisfaisante le problème de leur expansion démographique, tout en créant les possibilités matérielles et les stimulants moraux capables de faire revenir au pays leurs ressortissants installés dans les zones blanches comme travailleurs immigrés. Aussi accorde-t-on, avec les dirigeants des différents Foyers, une priorité absolue à l’amélioration de l’infrastructure agricole et industrielle de ces pays et à la mise en oeuvre de vastes programmes de développement économique, éducatif et social, de façon à promouvoir le progrès rapide des populations noires. En 1961, le Gouvernement a inauguré un plan quinquennal ambitieux visant au développement socio-économique des Foyers Nationaux. La dépense a dépassé 107’600’000 rands – non compris les crédits pour l’éducation, la santé publique et l’aide sociale. Pour les années 1967/71, les dépenses ont totalisé 416’60’000 rands, dont 153’600’000 pour l’éducation. Le plan quinquennal suivant a porté sur plus de 2 milliards de rands, y compris les subventions et services. Pour les cinq années qui viennent, on envisage des crédits plus élevés encore. Le budget 1975/76 a dégagé 527’725’000 rands, (plus de 10 pour cent du budget de toute l’ ‘Afrique du Sud) pour des services directs aux Noirs, y compris les services éducatifs, ainsi que pour le développement socio-éducatif dans les Foyers Nationaux. Les dépenses de l’Afrique du Sud au bénéfice des Foyers figurent parmi les plus importantes de ce genre dans le Tiers-Monde et représentent le plus vaste programme d’aide étrangère du monde par contribuable

D’une certaine manière, on peut comparer les dépenses de l’ Afrique du Sud pour le développement des Noirs avec les crédits d’assistance officielle bilatérale dégagés par 17 économies développées ainsi qu’avec les débours effectués par les institutions multilatérales en faveur des 52 Etats africains et dépendances (Afrique du Sud exceptée). Le montant total de l’aide a atteint en 1974 2’860 millions de rands, soit seulement 8,17 rands par tête. La dépense par habitant du Gouvernement sud-africain au bénéfice de sa population noire a donc été quatre fois plus élevée que chez ces sources, bilatérales et multilatérales, en Afrique. En outre, pour aucun Etat africain ou dépendance l’aide reçue d’elles n’a dépassé les 594,55 millions de rands consacrés par le Gouvernement sud-africain au développement des Noirs. Cette aide sud-africaine représente près des 21 pour cent de l’aide globale, (2’860 millions de rands) attribués à l’Afrique cette année-là. Le total des investissements dans les Foyers, y compris les fonds d’Etat, dépasse 220 millions de rands. Le revenu national brut des neuf Foyers Nationaux réunis s’est monté pour 1973-74 à 155’280’0000 rands, soit 64 pour cent de plus qu’au cours des trois années précédentes. Le revenu moyen des Noirs par habitant dans les Foyers Nationaux sud-africains pour l’année 1975 a dépassé de 48,30 rands le même revenu moyen, dans l’ensemble du Tiers-Monde. La responsabilité des dépenses publiques pour les Foyers noirs est passée progressivement du Gouvernement central aux gouvernements des Foyers eux-mêmes. On a déterminé en 1975 une nouvelle base d’allocations budgétaires par laquelle ces gouvernements perçoivent une part plus importante des contributions indirectes et droits divers sur certains articles, en même temps que des taxes réglées par les compagnies minières et autres opérant sur leur sol. (Pour de plus amples détails, se rapporter à « L’ECONOMIE « , pp. 36-40).

AUTONOMIE

Il existe actuellement huit Foyers nationaux semi-autonomes possédant leur propre corps législatif. Le Transkei, le premier qui ait ( accédé à l’indépendance, est devenu république au mois d’octobre 1976, avec le Dr Kaiser Matanzima comme Premier Ministre et le Chef Suprême Botha Sigcau comme Président. Constitutionnellement, les pouvoirs exécutifs sont du ressort du Président. La République du Transkei est un pays bien arrosé, d’une superficie de 42’500 km carrés, le long de la côte sud-est du sous-continent. Il représente deux fois !es dimensions d’Israël, et se trouve limitrophe de !a République d’Afrique du Sud et du Lesotho. Le Transkei a un ambassadeur à Pretoria.

Au mois de décembre 1977, le Bophuthatswana devenait à son tour indépendant. En 1968, les administrations territoriales du Ciskei (également d’expression xhosa) et du Tswana, virent le jour, suivies en 1969, de celles du Lebowa (Sothos du Nord), Machangana (Tsongas/Shangaans) des Vendas et Sothos du Sud, puis des Aministrations territoriales zouloue (1970) et Swazi (1976).

Entre 1971 et 1977, ces administrations ont été dotées de pouvoirs accrus dans !e cadre du Bantu Homelands Constitution Act de 1971. Elles jouissent du statut d’assemblées législatives.

Dans les Foyers ayant accédé à l’autonomie interne, le pouvoir exécutif revient à un cabinet ministériel présidé par un Premier Ministre et comptant six ou sept membres, responsables chacun de son ministère propre.

Dans chaque cas on a créé une Administration employant surtout des citoyens du pays. Des fonctionnaires blancs y seront détachés jusqu’à ce que des nationaux formés en conséquence puissent prendre la relève. Une nouvelle formule dispose que ces gouvernements seront aidés financièrement par le gouvernement central en accord avec leur taux de croissance annuel, et suivant un pourcentage calculé sur les impôts indirects, droits de douane ou de régie afférents à leur fond de revenus.

Aux termes d’un nouveau projet de loi, les Foyers peuvent accéder à l’autonomie interne. Les administrations des Foyers ont la faculté de poser leur candidature à cette troisième phase d’autonomie avant l’indépendance complète aux termes du Bantu Homelands Constitutional Amendment de 1977. Cela leur permet d’acquérir l’expérience nécessaire avant le dernier pas vers la souveraineté totale. C’est là un développement logique de la politique des Foyers suivie par le Gouvernement.

A l’issue du processus d’émancipation des Foyers Nationaux noirs la carte de l’Afrique du Sud apparaîtra changée. Le pays unique établi à la fin du siècle dernier par l’expansion coloniale britannique aura fait place à plusieurs Etats noirs indépendants (et un Etat blanc), ce qui parachèvera le programme de création d’Etats-nations séparés que la Grande-Bretagne avait mis en route au cours des années 1960 en accordant leur indépendance aux nations Swazi, Botswana et Lesotho. On envisage pour tous ces Etats une interdépendance économique qui pourrait aller jusqu’au rassemblement à l’intérieur d’une sorte de marché commun.

Grâce à cette formule d’indépendance politique assortie d’interdépendance et de coopération dans les matières d’intérêt commun (production d’électricité, fourniture d’eau, conservation des sols, etc.), on espère conjurer le conflit entre les nationalismes noir et blanc.

LES NOIRS URBANISES

Une ville sud-africaine type se présente comme un centre d’affaires blanc, entouré de faubourgs blancs que serrent de près les zones résidentielles noires, métisses et indiennes. Les zones urbaines noires sont placées sous l’administration de 22 bureaux de l’Administration des affaires bantoues. Jusqu’à présent les Noirs ne détenaient que partiellement l’administration des grands centres habités par eux (tel que Soweto), par la jeu de conseils urbains élus. Dans quelque temps, ils disposeront entièrement de leurs propres administrations municipales, comme les municipalités blanches.

Une législation a été promulguée à cet effet (Community Council Act). Ces conseils seront élus dès le mois de février 1978) par les Noirs eux-mêmes, et s’occuperont de l’attribution des logements, l’installation des centres d’hébergement, transports publics, les sports et loisirs, et certaines questions d’éducation. Les Noirs de quelque importance ont été consultés au préalable à cet égard. Il faut toutefois garder à l’esprit que les Noirs des zones blanches resteront au second plan vis-à-vis des Blancs, ce qui sera le cas de ces derniers vis-à-vis des Noirs dans les Foyers Nationaux. Suivant la politique du Gouvernement, c’est dans leur Foyers que les Noirs réaliseront leurs aspirations politiques, et non dans les zones blanches.

Le contrôle des entrées pratiqué jusqu’à présent, apparaît dépassé et générateur de frictions. Un système plus moderne a été adopté au mois de novembre. Les livrets individuels seront remplacés par des documents de route dont les porteurs se déplaceront plus librement et pourront plus aisément chercher emploi hors de la juridiction de leurs propres bureaux de l’Administration Bantoue, sans être astreints à présenter des pièces d’identité pour des motifs de travail ou d’identification. Ces documents spéciaux seront délivrés par les Gouvernements des Foyers respectifs. Le fonctionnement de ce système est assuré par les Bureaux de l’Administration des Affaires Bantoues, avec le concours des Chambres de commerce et d’Industrie, de la chambre des Mines et autres organisations patronales. Au fil des ans, les conditions d’existence dans les zones urbaines se sont considérablement améliorées, tandis que le Gouvernement y accordait aux Noirs des pouvoirs croissants.

Depuis 1948, l’Etat a consacré plus de 350 millions de rands au logement dans les cités noires, en dehors du programme des Foyers Nationaux. Les Noirs peuvent posséder, vendre ou léguer leur maison, ce qui s’applique également à leurs bureaux ou magasins. Ils peuvent par ailleurs bénéficier de prêts à la construction sur les fonds publics.

LE CONSEIL REPRESENTATIF DES METIS

Dans le cadre de la politique de développement multinational, qui envisage pour chaque groupe l’évolution de ses propres institutions parlementaires, on a créé en 1968 un Conseil Représentatif des Métis (CRC), qui se compose de 40 membres élus et de 20 membres désignés, appartenant à la communauté métisse.

On avait fait auparavant diverses tentatives pour accorder aux Métis leur mot à dire dans les questions les concernant. Soucieux de voir un jour leur groupe s’épanouir en une communauté apte à s’administrer elle-même, on étudia la création d’un organisme à la fois législatif et exécutif dans lequel cette communauté serait représentée par ses propres élus. Aussi le Gouvernement oriente-t-il sa politique de telle manière que, pour les prochaines élections générales (en 1980), le Conseil soit entièrement élu, avec des prérogatives renforcées sous un cabinet ministériel à pleins pouvoirs exécutifs. Tous les Métis de plus de dix-huit ans auront le droit de vote à ces élections et aux suivantes.

Les membres du CRC demeurent en poste pendant cinq ans, au cours desquels le Conseil doit se réunir au moins une fois l’an. Les membres élisent un président pris dans leur sein, tout comme le sont quatre des cinq membres de l’exécutif. Pendant l’intersession, l’exécutif s’acquitte des fonctions du Conseil, sauf en ce qui concerne l’élaboration des lois. Les premières élections générales ont eu lieu en 1969, à l’avantage du Parti travailliste. Néanmoins, le Parti Fédéral devait bénéficier de la majorité au Conseil, grâce à l’appui des membres désignés par le Gouvernement. Les élections de 1975 ont mobilisé 700’000 électeurs. Organisées au mois de mars, elles ont vu une nouvelle victoire du Parti Travailliste, avec 62 pour cent des suffrages, ce qui lui adonné au nouveau Conseil une majorité de 35 membres sur 60. Le chef de ce parti a été désigné comme président de l’exécutif du CRC, les quatre autres charges revenant, elles aussi, à des membres du même parti. Le Conseil dispose à l’heure actuelle de certains pouvoirs législatifs. Son exécutif de cinq membres exerce le contrôle des finances, éducation, aide sociale, pensions, gouvernement local, zones rurales et peuplement.

Le Conseil décide de certaines attributions de crédits, mais le budget principal ne peut être présenté que lorsque le Parlement sud-africain a voté les crédits nécessaires pour le Ministère des Relations Métisses. Ce ministère, dirigé par un ministre blanc, joue le rôle de chaînon entre le CRC et le Gouvernement. L’Administration des Affaires Métisses, qui s’occupe d’administrer ce groupe de population, totalise environ 20’000 postes administratifs et autres, dont 94 pour cent pourvus par des Métis.

Au cours de sa session 1975, le Parlement a voté au bénéfice du CRC une masse de crédits s’élevant à 158’370’000 rands pour 1975/76. Pour 1977/78, le budget a atteint 215 390 000 rands.

Par ailleurs, le Gouvernement nomme des Métis (et Indiens) à des organismes statutaires, conseils et commissions, tels de Conseil des Zones de peuplement, Commission du logement, Conseil des spiritueux, des salaires, de la sécurité routière, Commission de classification des races, Office des agents immobiliers, Conseil des consommateurs, et Conseil Consultatif économique du Premier Ministre, dont les activités intéressent tous les groupes.

Peu avant les élections de 1975, le Premier Ministre passa avec les représentants du Parti Fédéral alors parti dirigeant – un accord par lequel les prérogatives de cet organisme seraient élargies, tandis que les membres de l’exécutif, nantis par la suite de portefeuilles supplémentaires, recevaient le statut de cabinet ministériel, chaque ministre étant responsable de son propre ministère.

Ultérieurement, on créerait un cabinet inter-comités rassemblant des ministres du Cabinet sud-africain et de celui du CRC, sous la présidence du Premier Ministre, et dont le rôle consisterait à discuter des matières d’intérêt commun et décider des dépenses. Lors de sa rencontre d’octobre 1975 avec l’exécutif du CRC, le Premier Ministre réitéra ces propositions, y compris l’offre de statut de cabinet ministériel ayant sa propre administration, et le paiement au Conseil des impôts dûs par les Métis.

Il précisa que le projet de loi s’y rapportant était susceptible de modifications ou révisions dans le sens d’une indépendance plus grande du Conseil à l’égard du Parlement blanc, et renouvela l’offre de création d’un Conseil de Cabinet consultatif pour discuter des questions d’intérêt commun intéressant Métis et Blancs. Créé en 1975, ce Conseil a déjà tenu plusieurs réunions fructueuses. On prépare un ensemble de lois destinées à réaliser les autres propositions.

Toutefois, le développement ne s’en tient pas au très haut niveau politique, mais également au niveau local, grâce à la création de conseils de gestion susceptibles de se développer en administrations locales autonomes, dont le Ministre a récemment chargé un comité d’examiner les possibilités d’établissement. Pour l’instant, ces organismes fonctionnent dans le cadre législatif des administrations provinciales, mais on envisage d’amener les organismes de gestion locaux à bientôt remplir leur rôle sous le contrôle du CRC, lorsque le Conseil adoptera sa propre législation municipale.

Entre temps, le CRC acquiert une autorité plus directe sur les comités, par délégation à l’exécutif des pouvoirs respectivement conférés au Ministre et à l’administration. Conformément aux dernières propositions du Gouvernement pour le renouvellement constitutionnel, d’importantes mesures sont envisagées, afin de créer de nouvelles institutions visant une coopération accrue entre les groupes Blanc, Métis et Indien. Les actuels Conseils Représentatifs des Métis et Conseil Indien sud-africain bénéficieront d’une autonomie plus évidente. Aux termes des nouvelles propositions, ces deux Conseils seront élevés au statut de Parlements, parallèlement au Parlement blanc. Chaque Parlement aura sa propre Assemblée Législative, ayant compétence pour légiférer sur les questions intéressant le groupe considéré. Il aura son Cabinet Ministériel et son Premier Ministre. Un Conseil de Cabinet Mixte, présidé par un Président d’Etat exécutif, et comprenant des représentants des trois administrations exécutives, oeuvrera en tant qu’organisme de décision pour les questions communes. Dès que le système entrera en vigueur, les fonctions des actuels ministres des Relations

Métisses et des Affaires Indiennes deviendront automatiquement caduques.

CONSEIL INDIEN SUD-AFRICAIN

Pendant un siècle environ (1860-1960) après le débarquement des premiers d’entre eux comme ouvriers agricoles, les Indiens furent traités en étrangers, si ce n’est en intrus, et l’on multiplia les tentatives pour les renvoyer dans leur pays d’origine.

Toutefois, à la naissance de la République, en 1961, le Gouvernement se décida à les adopter comme un des groupes permanents de la population. On nomma un Ministre aux Affaires Indiennes auprès du Cabinet, et l’on créa un Ministère des Affaires Indiennes.

En accord avec la politique de développement multinational les Indiens sud-africains doivent jouir de prérogatives accrues pour les questions les concernant, telles qu’enseignement, services sociaux, gouvernement local. Le but ultime étant d’en faire si possible un groupe se gouvernant lui-même.

L’année 1964 vit naître un organisme consultatif appelé Conseil National Indien, que remplaça en 1968 le Conseil Sud-Africain Indien, organisme de 30 membres, dont la moitié élus par les communautés indiennes du Transvaal, du Natal et de la province du Cap. Cet organisme conseille le Gouvernement sur toutes questions touchant aux intérêts économiques, sociaux, culturels, éducatifs et politiques de la population indienne, assurant ainsi la communication entre le Gouvernement et les Indiens.

Au mois d’octobre 1975, le Ministre des Affaires Indiennes a informé l’Exécutif du Conseil que le Gouvernement envisageait de porter ledit Conseil à 40 membres, dont 30 élus et 10 désignés.

Les pouvoirs exécutifs en matière d’enseignement, aide sociale et autres ont été depuis lors délégués au Conseil lequel deviendra un organisme élu en totalité et doté des pouvoirs législatifs. Un corps de lois est actuellement à l’étude dans ce but et dans celui d’abaisser à 18 ans l’âge requis pour aller aux urnes.

Par la suite, le statut de Cabinet Ministériel sera octroyé aux membres de l’Exécutif du Conseil Indien élargi, lesquels prendront part aux discussions interministérielles. Des Indiens siègeront de plein droit dans les bureaux statutaires habilités à discuter de leurs intérêts. Aux termes des dernières propositions du Gouvernement pour la mise à jour constitutionnelle, l’actuel Conseil Indien aux pleines compétences législatives et exécutives sur les questions intéressant directement la communauté indienne. Les grandes lignes et implications de ces propositions sont traitées à la fin de la section concernant le CRC.

LE SUD-OUEST AFRICAIN

En 1920, la Société des Nations confia à l’Afrique du Sud le mandat d’administrer le Sud-Ouest Africain. comme partie intégrante de l’Union de l’Afrique du Sud -, et suivant ses propres lois, en travaillant dans toute la mesure du possible au bien-être matériel et moral, ainsi qu’au progrès social, des habitants de ce territoire.

La politique du Gouvernement sud-africain veut que ce soient ces habitants eux-mêmes qui décident de leur avenir. D’ici là, l’Afrique du Sud aide les divers peuples du Territoire à progresser économiquement, socialement et politiquement vers l’autonomie, puis l’indépendance. Dans toute la mesure où le Gouvernement sud-africain est concerné, le choix quant à la forme définitive de gouvernement du Territoire repose entièrement sur les populations qui l’habitent, à qui toutes les possibilités sont offertes. Pour sa part, l’Afrique du Sud a pris l’engagement d’accorder l’indépendance à l’ensemble du Territoire le plus tôt possible, en tout cas avant la fin de 1978.

(…) »

Extrait d’une brochure à vocation touristique distribuée en France en 1978 sous le titre « Voici l’Afrique du Sud » pages 23 à 29

Références : Compiled and published by the Publications Division of the South African Bureau for International Communication. Private Bag X152, 001 Pretoria. Edited by Joan Oliver. Lay-Out by Attie Driessen. Printed in the Republic of South Africa for the gouvernment Printer, Pretoria, by Trio-Rand/S.A. Litho, Cape Town. – OCTOBER 1978

ISBN 0 621 03451 7

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DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE SUD-AFRICAINE PRONONCE DEVANT L’ASSEMBLEE NATIONALE, LE CAP, 2 FEVRIER 1990

« (…) Notre pays et l’ensemble de sa population ont été pendant des dizaines d’années plongés dans le conflit, la tension et la lutte violente. Le temps est venu pour nous de rompre le cycle de la violence et d’avancer vers la paix et la réconciliation. (…) La table des négociations est prête à accueillir les dirigeants de bon sens pour qu’ils commencent à s’entretenir sur une nouvelle Constitution (…). L’ordre du jour est ouvert. Les objectifs généraux auxquels nous aspirons devraient être acceptables pour tous les Sud-africains de bon sens. Ces objectifs prévoient notamment une Constitution nouvelle et démocratique, l’instauration du suffrage universel, l’absence de toute domination, l’égalité devant une justice indépendante, la protection des droits des minorités et des personnes, la liberté religieuse, une économie saine fondée sur la libre entreprise et sur des principes économiques éprouvés, des programmes dynamiques orientés vers l’amélioration pour tous de l’éducation, des services de santé, du logement et des conditions sociales.
À cet égard, M. Nelson Mandela pourrait jouer un rôle important. Le gouvernement (…) a pris la ferme décision de le libérer sans condition (…) et je compte sérieusement régler ce dossier très rapidement. (…) Il n’est plus depuis longtemps un prisonnier ordinaire et de ce fait, son cas nécessite une attention toute particulière. (…)
Je demande au Parlement de m’aider à avancer sur cette voie. Tant de réalisations doivent être accomplies.
J’appelle la communauté internationale à réévaluer sa position et à adopter une attitude positive à l’égard de l’évolution dynamique en cours en Afrique du Sud.
Je prie Dieu tout puissant de nous guider et de nous soutenir dans notre marche au long des chemins inexplorés. Qu’Il bénisse nos travaux et nos débats. »

Rapporté par Jacques RIGAULT et Élisabeth SANDOR, Le démantèlement de l’Apartheid. Paris, L’Harmattan, 1992., p. 244, 246.

Blessures

Le récit de Nora Bert Nel nous permet voir les blessures causées au sein du continent, et les questions que se posent les habitants sur l’avenir :

« Nora est une femme descendante de huit générations après les Boers.
Elle a aujourd’hui quarante cinq ans, et ne parle aucune langue africaine.
Pourtant, elle tient à que ses enfants apprennent le « xhosa » (sous groupe linguistique du groupe nguni) et passe un coup de fil a l’école pour savoir si cette langue est obligatoire. On lui répond qu’elle est enseignée à tous pendant dix ans environ, mais que toute les écoles ne disposent pas d’enseignement en langue bantoues et le choix des élèves est limité : au Natal c’est forcément le zoulou tandis que au Transvaal c’est le sotho. »

Nora Bert est une femme qui a des opinions très précises sur la politique.
En effet, dans son interview elle déclare :

« Les Afrikaners ne cessent de s’affronter. Ceux de Johannesburg sont devenus matérialistes et avides d’argent, ceux de Bloemfontein ou de Pretoria ne rêvent que de casser du cafre »

« Ils nous mettent dans le pétrin. Je me sens plus proche des métis que de ces types là. Chez nous, on a toujours considéré les Noirs avec respect. On peut faire travailler les gens durement, mais il ne faut jamais les humilier. C’est pourtant ce qu’on a fait avec ces lois idiotes de l’apartheid que l’on démantèle à présent.»

« Ne sous- estimez pas l’amour que, Noirs et Blancs, nous avons pour ce pays. A l’étranger, les sud -africains ont tendance à se regrouper, à nouer des liens d’amitié au-delà des barrières raciales, ce que le système ne permet pas ici ».

« Je suis vissée a Boland » soupire t’elle. « On m’a invitée en Suisse et à Boston mais je préfère rester dans mon univers. L’exil me serait mortel. Moi je resterai ici quoi qu’il advienne.»

Nora frémit quand elle pense à l’avenir des ses enfants. Elle dit « L’avenir sera forcément douloureux, il faudra payer pour les erreurs passées. Ce sera violent inévitablement, les Noirs sont tellement exploités qu’ils sont exploitables par tous, et donc les premières victimes du système. »

Pourtant, Nora reste inévitablement positive. Pour elle, il y a une évolution du système : « les réformes vont dans le bon sens, car elles permettent au moins aux Noirs, aux Bruns, aux Blancs, de se rencontrer. Je suis optimiste, car les jeunes Blancs manifestent aujourd’hui un intérêt réel pour l’Afrique et les Africains. La musique, bien sûr, mais aussi les langues, les cultures… »

Récit de Nora Bart bel tiré du livre « Afrique du Sud » riche dure déchirée page 27-30
LORY George, Afrique du sud riche dure déchirée. Paris : Autrement, 1992. 253p.