Cet extrait, issu de l’ouvrage autobiographique du rédigé à la troisième personne, revient sur les débuts de Georges Guingouin (1913-2005) dans la  Résistance dans le Limousin pendant l’été 1940 et la manière dont le premier noyau s’est constitué autour de lui.
Après son service militaire, Georges Guingouin est nommé, en octobre 1935, instituteur à Saint-Gilles-les-Forêts (Haute-Vienne). Militant communiste et responsable local, il est mobilisé en 1939 comme soldat de 2ème classe. Blessé à l’arcade sourcilière gauche le 18 juin 1940, Guingouin est soigné à l’hôpital militaire de Moulins (Allier) qu’il quitte pour éviter une éventuelle arrestation. De retour à Saint-Gilles-les-Forêts, il reprend dans la clandestinité ses activités de militant communiste et rédige en août 1940 un « appel à la lutte ». Son activité durant la guerre fait de lui la figure incontournable de la Résistance locale.
Le texte est à exploiter avec si possible une carte de la Haute-Vienne centrée sur le canton d’Eymoutiers afin de saisir la dimension géographique du témoignage.

 


Le 10 juillet 1940, l’Assemblée Nationale, réunissant députés et sénateurs, accorde les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Parmi ceux qui étaient à Vichy, quatre-vingt parlementaires ont voté contre l’article unique du projet de loi constitutionnelle, dont le député socialiste Roche, de l’arrondissement de Rochechouart, en Haute-Vienne.
Le jour de la rentrée scolaire, en septembre, l’instituteur de Nedde, Marcel Lenoble, ancien candidat communiste aux élections de 1936, est arrêté. […] Sa femme Marie-Louise, qui déploiera une grande activité dans la Résistance, en application du décret du 25 novembre 1939, est déjà suspendue de ses fonctions d’enseignante. […]
Pour le secrétaire de l’ex-rayon communiste d’Eymoutiers (4), après l’enfer du combat, cette convalescence, c’est l’heure de la réflexion. Au cours d’une réunion tenue nasguère à Masléon, il avait appris en bavardant avec son collègue André Bardaud que, dans cette commune, ainsi que dans le bourg voisin de Roziers-Saint-Georges et Linards, contre le coup d’Etat du 2 décembre 1851, des hommes s’étaient dressés … Le député Daniel Lamazière (1) avait pris leur tête. […]
L’Histoire officielle avait retenu de cette époque le sacrifice du député Baudin (2) sur les barricades, mais de cette révolte des paysans limousins, de ces humbles attachés à la République, pas un mot dans les livres.
L’exemple était là ! Là était l’espérance ! Contre l’oppression, ces hommes s’étaient levés, au nom de la liberté. Il fallait reprendre leur flambeau,et, du même coup, lutter pour une France où régnerait plus de justice sociale !
La voie était tracée. Au travail !
Pour Saint-Gilles -les-Forêts, pas de problème. Anita, Gapillout et d’autres, sont d’accord pour travailler. Quant aux autres militants du rayon, le jeune Gapillout peut aller à bicyclette les contacter de la part de l’instituteur dont, par la rumeur publique, ils ont appris le retour.
Mais, bientôt il apparaît nécessaire que Guingouin se déplace lui-même. Il ne faut plus compter sur sa Simca : plus d’essence. D’ailleurs, bien connue dans la contrée, elle ne passerait pas inaperçue. Mais voilà il ne sait pas monter à bicyclette. Eh bien, que diable, il apprendra ! Il en sera quitte pour quelques chutes, et les paysans de Saint-Gilles, amusés, assisteront à ses premiers essais, sans se douter du but dans lequel il se donne tant de mal. […]
Rien ne vaut le contact humain. Les hommes ont confiance en leur ancien secrétaire de rayon et, grâce à cette méthode de travail, la « toile » est vite reconstituée : chaque camarade touché s’engage à former son groupe de trois. […]
La date du premier contact, les survivants ne s’en souviennent pas avec précision. Pourtant Jean Montagner, à l’époque ouvrier papetier, responsable du canton de Chateauneuf, lui, est affirmatif : 27 juillet 1940.
L’énorme avantage de Guingouin, c’est que, militant depuis 1935 dans la région, il connaît, pour ainsi dire personnellement, chaque membre du parti. Il s’est adressé d’abord à ceux qu’ils jugeaient plus combattifs. Mais il lui est vite apparu que pour leur permettre d’en entraîner d’autres à l’action, il fallait leur fournir une explication fondamentale, déboussolés qu’ils sont eux-même par cette cascade d’événements. […]
L’ « appel à la lutte  » une fois rédigé, il faut le reproduire en plusieurs exemplaires. Mais on ne peut utiliser la ronéo, car il fait économiser la provision de stencils. Heureusement à Excidioux, est venue se réfugier une dactylo de Paris, Mme Lepage. C’est une « sympathisante » ; contactée par Anita(3), elle accepte de prêter son aide et, grâce à la machine à écrire du rayon, une « Mignon » qui permet de taper cinq feuilles à la fois, quinze exemplaires sont enfin disponibles. On opère dans la cave : ainsi le bruit de la machine assourdi, ne s’entend pas de la route. Inutile de dire qu’un membre de la famille Anita monte la garde et, qu’aussitôt le travail terminé, tout disparaît. Dans le sol du fournil voisin est aménagée une cachette dont bien des perquisitions ultérieures prouveront l’inviolabilité.
Une fois jetées les bases de la structure clandestine et tentée une explication politique, il faut essayer de renouer avec l’appareil clandestin du parti communiste, car Roger Moreau ayant été arrêté le 7 juin 1940, le fil a été rompu.

Georges GUINGOUIN 4 ans de lutte sur le sol limousin ; éditions Lucien Souny, 1999, pp.20-22

p https://www.youtube.com/watch?v=SEek3xzF5b8
Y https://clio-texte.clionautes.org/la resistance l’exemple du choix et de l’organisation des trois chevaux camp secret des partisans

NOTES :
– (1)Daniel Lamazière [1802-1906] député en 1849-1850 de la gauche radicale
– (2) Alphonse Baudin (1811-1851) élu député le 13 mai 1849, il fait partie du comité de résistance organisé par les républicains afin d’essayer de soulever les ouvriers du faubourg Saint-Antoine contre le coup d’État du 2 décembre 1851
– (3) Anita : surnom de Louis Anita, militant communiste et ami proche de Guingouin
– (4) le rayon : expression désignant l’ensemble géographique comprenant 5 cantons ruraux autour de la ville d’Eymoutiers et dont Guingouin a la direction en tant que chef local du Parti Communiste.
– Photo prise vers 1944.