Le jeudi 24 février, quelques minutes avant que Vladimir Poutine n’annonce une « opération militaire spéciale » dans la région du Donbass, située dans l’est de l’Ukraine (où se trouvent les deux territoires pro-russes de Donetsk et de Louhansk), le Président Zelensky, élu en 2019, prononce un discours de 9 minutes destiné à la fois aux Ukrainiens mais aussi et avant tout à l’opinion publique russe. Conscient qu’une opération plus vaste se prépare et met en péril l’indépendance de l’Ukraine, il annonce clairement que le pays ne se laissera pas dominer par la Russie. Pour l’occasion, il s’exprime dans les deux langues. Voici une proposition de traduction en français de ce discours.


 

Aujourd’hui, j’ai pris l’initiative d’appeler le président de la fédération russe.

Le résultat ? Un silence. Même si c’est dans le Donbass que le silence devrait régner.

C’est pourquoi je viens aujourd’hui en m’adressant à tous les citoyens russes.

Pas comme président.

Je m’adresse au peuple de Russie comme citoyen ukrainien.

Nous partageons plus de 2000 km de frontières. Autour, aujourd’hui, se trouve votre armée : presque 200 000 soldats, des milliers d’unités militaires votre gouvernement a autorisé leurs déplacements en notre direction vers un territoire d’un autre pays. Cette étape ? Elle peut être le début d’une énorme guerre sur le continent européen. Le monde entier se demande ce qui peut se passer chaque jour maintenant. Une raison peut apparaître à n’importe quel moment. Une provocation. Une étincelle, qui aurait le potentiel de tout brûler. On vous raconte que cette flamme apportera la liberté au peuple d’Ukraine. Mais le peuple d’Ukraine est déjà libre. Ils se souviennent de leur passé, ils construisent leur propre avenir. Ils le construisent, ils ne le détruisent pas comme on vous le dit chaque jour à la télévision. L’Ukraine qu’on vous montre et l’Ukraine en réalité sont deux pays complètement différents. La différence la plus importante est que la nôtre est réelle.

On vous dit que nous sommes des nazis. Mais comment une nation peut être appelée nazie après avoir sacrifié plus de 8 millions de vies pour éradiquer le nazisme ? Comment pourrais-je être nazi, quand mon grand-père a survécu à la totalité de la guerre en faisant partie de l’infanterie soviétique et est mort en colonel d’une Ukraine indépendante ?

On vous dit que nous haïssons la culture russe. Mais comment une culture peut-elle être haïe ? N’importe laquelle ? Les voisins s’enrichissent continuellement et culturellement. Pourtant, cela ne fait pas d’eux une seule entité, ni ne sépare les gens entre « nous » et « eux ». Nous sommes différents, mais ce n’est pas une raison pour être ennemi. Nous voulons construire notre propre histoire. En paix. Calmement. Honnêtement.

On vous dit que j’ai ordonné d’attaquer le Donbass, de tirer et de bombarder sans se poser de questions. Mais on peut se poser des questions : attaquer qui ? Bombarder quoi ? Donetsk, où je me suis rendu des douzaines de fois ? J’ai vu ses visages et ses yeux. Artema, où j’ai marché avec des amis avant ? Dombass Arena ? Où j’ai supporté avec les locaux notre équipe pendant l’euro ? Le parc Shcherbakova, où nous avons pu ensemble après que notre équipe ait perdu ? Lugansk ? La ville natale de la mère de mon meilleur ami ? L’endroit où son père est enterré ? Vous remarquerez que je m’adresse à vous en russe, et pourtant personne en Russie ne connait la signification de ces noms de rues ou de ces événements. Tout cela vous est étranger. Inconnu. C’est notre terre. C’est notre histoire.

Pourquoi vous battez-vous ? Et contre qui ? Beaucoup d’entre vous ont visité l’Ukraine auparavant. Beaucoup d’entre vous ont des proches en Ukraine. Certains étudiés dans nos universités et sont devenus amis avec des Ukrainien. Vous connaissez notre caractère. Vous connaissez notre peuple. Vous connaissez nos principes. Vous savez ce que nous chérissons le plus. Regardez en vous-même. Écoutez la voix de la raison et du bon sens. Écoutez nos voix. Le peuple ukrainien veut la paix. Les autorités ukrainiennes veulent la paix. Nous la voulons et nous n’aurons. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir.

Nous ne sommes pas seuls. C’est vrai. Beaucoup de pays aident l’Ukraine. Pourquoi ? Parce que nous ne voulons pas la paix à tout prix. Nous parlons de paix, de principe et de justice. Du droit de chacun à définir son propre futur, sa sécurité, et à tout le monde de vivre sans menace. Nous sommes certains que nous ne voulons pas de guerre. Ni chaude, ni froide, ni hybride. Mais si nous sommes menacés, si quelqu’un essaie de nous retirer notre pays, notre liberté, nos vies, la vie de nos enfants, alors nous défendre. Pas attaquer, nous défendre. En nous attaquant, vous verrez nos visages. Panneau d’eau, nos visages. La guerre est désastreuse et elle a un prix, dans tous les tous les sens du terme. Les gens perdent leur argent, leur réputation, leur qualité de vie, leur liberté, et plus important encore ils perdent ce qu’ils aiment. Ils se perdent eux-mêmes. Beaucoup de choses manquent toujours prendre une guerre. Mais ce qu’il y a en abondance c’est la douleur, la poussière, le sang et la mort. Des milliers, des dizaines de milliers de morts

On vous dit que l’Ukraine est une menace pour la Russie. Ce n’était pas vrai avant, ça ne l’est pas maintenant et ne le sera pas plus dans le futur. Vous voulez des garanties de sécurité de l’OTAN. Nous voulons des garanties de notre sécurité. La sécurité de l’Ukraine, de vous, de la Russie. Et des autres garants du mémorandum de Budapest. Aujourd’hui, nous ne faisons pas partie d’alliances au hasard. La sécurité de l’Ukraine est liée à la sécurité de ses voisins. C’est pourquoi nous parlons maintenant de la sécurité de toute l’Europe. Mais notre but est la paix en Ukraine et la sécurité de nos concitoyens. Des ukrainiens. Nous sommes déterminés à faire savoir ceci, y compris à vous. La guerre privera tout le monde de garantie. Personne n’aura de garantie de sécurité.

Qui souffrira le plus de tout ceci ? Le peuple.

Qui ne veut pas ceci plus que quiconque ? Le peuple.

Qui peut empêcher tout ça de se passer ? Le peuple.

Si ces gens sont parmi vous et je suis sûre qu’ils le sont, les figures publiques, journalistes, musiciens, acteurs, athlètes, scientifiques, docteurs, blogueurs, humoristes, tiktokers, et plus encore. Les gens ordinaires. Les hommes, femmes, vieux, jeune, les pères et plus important encore les mères.

Comme le peuple en Ukraine, peu importe la manière dont ils tentent de vous convaincre du contraire. Je sais que mon discours ne sera pas diffusé à la télévision russe. Mais les citoyens de Russie doivent le voir. Ils doivent connaître la vérité. Et la vérité est que cela doit s’arrêter avant que ça ne soit trop tard. Et si les autorités de la Russie ne veulent pas nous parler, pour l’amour de la paix, peut-être qu’ils parleront avec vous. Est-ce que le peuple de Russie de la guerre ? J’aimerais être capable de répondre à cette question. Mais la réponse dépend uniquement de vous, les citoyens de la fédération de Russie.

Merci.

 

La vidéo est disponible via Youtube.

Les retours à la ligne restent subjectifs et n’engagent que le rapporteur du discours.