De 1935 à 1939, Hitler pratique une politique de chantage à la guerre et annexe d’autres pays européens. Comment  les démocraties occidentales réagissent-elles  face à cette menace grandissante ?

Repères chronologiques

  •  1935 : Rattachement de la Sarre au Reich.
  •  1936 : Remilitarisation de la Rhénanie. Début de la guerre d’Espagne.
  •  Mars 1938 : Anschluss, annexion de l’Autriche
  •  Septembre 1938 : Conférence de Münich, annexion de la région des Sudètes en Tchécoslovaquie.
  •  Mars 1939 : Annexion de la Bohême-Moravie (moitié tchèque de la Tchécoslovaquie qui disparaît).
  • Août 1939 : Pacte germano-soviétique.
  •  1er septembre 1939 : Invasion de la Pologne.

Discours d’Hitler du 26 septembre 1938 au Sportspalast de Berlin

« (…) Pendant vingt ans, les Allemands de Tchécoslovaquie et le peuple allemand du Reich ont dû subir les persécutions des Tchèques. Ils ont été forcés de contempler cela en spectateurs, non pas que le peuple allemand ait jamais accepté cette situation, mais ils étaient sans armes, il ne pouvait les aider contre ceux qui les martyrisaient. Et le monde des démocraties s’indigne ! Nous avons appris, en ces années, à mépriser les démocrates mondiaux. Dans toute époque, nous n’avons rencontré qu’un seul État comme grande puissance européenne, et, à la tête de cet État, un seul homme qui ait de la compréhension pour la détresse de notre peuple : c’est mon grand ami Benito Mussolini ! M. Bénès est à Prague, persuadé qu’il ne peut rien lui arriver parce qu’il a derrière lui la France et l’Angleterre. Mes compatriotes, je crois que le moment est venue de parler clair et net. On ne peut refuser le titre de pacifique à quelqu’un qui a enduré pendant vingt ans une pareille honte. M. Bénès a un peuple de sept millions de d’individus derrière lui, et ici il y a un peuple de soixante-quinze millions d’hommes (…) J’ai assuré qu’une fois ce problème résolu il n’y aura plus de problèmes territoriaux en Europe (…)

Nous ne voulons pas de Tchèques, mais je déclare au peuple allemand : en ce qui concerne la question sudète, ma patience est à bout. M. Bénès a maintenant en main la paix ou la guerre. Ou bien il acceptera cette offre et donnera enfin la liberté aux Allemands, ou bien nous irons conquérir cette liberté ! Que le monde le sache bien (…). »

QUESTIONS

1) Quelle est la nature du document ?

2) Qui parle ? À qui s’adresse-t-il. Relevez les mots ou expressions qui permettent d’identifier les différents destinataires.

3) À quelle situation le texte fait-il allusion ?

4) Quelles sont les revendications formulées ? Quels sont les adversaires désignés ?

5) Montrez en quoi ces propos correspondent à un chantage.

6) Qu’espère Hitler en parlant de son ami Mussolini ?


La question des Sudètes

Autres extraits du même discours d’Hitler du 26 septembre 1938 au Sportspalast de Berlin

« Il aborde ensuite l’affaire des Sudètes :

– Nous voici maintenant en présence du dernier problème qui doive être résolu et qui le sera (applaudissements prolongés dans la salle). C’est la dernière revendication territoriale que j’aie à formuler en Europe, mais c’est la revendication dont je ne démords pas.

Rappelant les brimades, et même les massacres, dont auraient été victimes les minorités allemandes des Sudètes, il s’écrie sur un ton de plus en plus déchaîné :

– Pendant vingt ans, les Allemands de Tchécoslovaquie et le peuple allemand du Reich ont dû contempler ce spectacle. Je veux dire plutôt qu’ils ont été forcés de rester spectateurs : non pas que le peuple allemand ait jamais accepté cette situation, mais il était sans armes, il ne pouvait les aider contre ceux qui les martyrisaient.

Et le monde des démocraties s’indigne ! Nous avons appris, en ces années, à mépriser des démocrates mondiaux. Dans toute notre époque, nous n’avons rencontré qu’un seul Etat comme grande puissance européenne, et, à la tête de cet Etat, un seul homme qui ait de la compréhension pour la détresse de notre peuple : c’est mon grand ami Benito Mussolini ! (La foule crie : Heil Duce !)

Monsieur Bénès est à Prague, et persuadé qu’il ne peut rien lui arriver parce qu’il a derrière lui la France et l’Angleterre (hilarité prolongée). Mes concitoyens, je crois que le moment est venu de parler maintenant net et clair. On ne peut refuser le titre de pacifique à quelqu’un qui a enduré pendant vingt ans pareille honte. Monsieur Bénès a un peuple de sept millions d’individus derrière lui, et ici il y a un peuple de septante-cinq millions d’hommes. (Applaudissements enthousiastes)

Enfin, le Führer rappelle les promesses faites à Chamberlain tout en proférant une ultime menace :

– Je l’ai assuré, ce que je renouvelle ici, qu’une fois ce problème résolu il n’y aura plus de problèmes territoriaux en Europe …Nous ne voulons pas de Tchèques, mais je déclare au peuple allemand : en ce qui concerne la question des Sudètes, ma patience est à bout. Monsieur Bénès a maintenant en main la paix ou la guerre. Ou bien il acceptera cette offre et donnera enfin la liberté aux Allemands, ou bien nous irons chercher cette liberté. Que le monde le sache bien. »

HITLER, A., Extraits du discours prononcé au Palais des sports de Berlin, 26.9.1938.


À la conférence de Munich, le 29 septembre 1938, sont présents Daladier pour la France, Chamberlain pour la Grande-Bretagne, Mussolini pour l’Italie et Hitler pour l’Allemagne. Les démocraties cèdent et signent un accord permettant Hitler d’annexer les « Sudètes », territoire peuplé de germanophones en Tchécoslovaquie, sans l’accord de ce dernier pays.

Réactions à la conférence de Munich
Munich et la paix

« La paix ! La paix ! La paix ! Voilà le mot qui, ce matin, se lisait dans tous les yeux, sortait joyeusement de toutes les lèvres. (…) Notre président du Conseil et notre ministre des Affaires étrangères nous ont gardé la paix, c’est bien (…) dans l’honneur et la dignité. C’est mieux. Grâce à eux, la France peut continuer à vivre son beau et glorieux destin de nation pacifique et démocratique. »

Jean Prouvost, France-Soir, 1er octobre 1938.

Munich, une honte

« La France est rendue à la belote et à Tino Rossi (…) Sur le demi-cadavre d’une nation trahie, sur les demi-cadavres de leur honneur, de leur dignité, de leur sécurité, les hommes par millions dansent la danse de Saint-Guy de la paix (…) Délirez à votre aise, pauvres manoeuvrés et dupés, affaiblis, souffletés, et qui accueillez votre défaite et votre humiliation avec les transports de joie de l’esclave. »

Henri de Montherlant, L’Équinoxe de septembre, Éd. Gallimard, 1938.

 

Un cri d’alarme de Winston CHURCHILL

« Le partage de la Tchécoslovaquie, sous la pression de l’Angleterre et de la France, équivaut à une capitulation totale des démocraties occidentales devant la menace des nazis (…) Un tel écroulement n’apportera ni la paix ni la sécurité (…) Au contraire, il place ces deux nations dans une situation encore plus faible et plus dangereuse. Le simple fait que la Tchécoslovaquie soit neutralisée entraîne la libération de 25 divisions allemandes qui pèseront sur le front occidental (…). Croire qu’on peut obtenir la sécurité en jetant un petit État en pâture aux loups est une illusion fatale. »

Winston CHURCHILL, discours du 21 novembre 1938.

QUESTIONS

1) Lisez le texte. Qui est Churchill ? Repérez la date et la nature du document. À quel événement se rapporte-t-il ?

2) Quels sont les arguments de Churchill contre l’accord ? Que prévoit-il ?

3) Rapprochez ce document des textes de Montherlant et du journaliste Jean Prouvost. Qu’ont-ils en commun ?


Les débats sur les accords de Munich à la Chambre des Communes (5 oct. 1938)

Le texte original est extrait de la publication des Débats parlementaires, 5e série, vol. 339 (1938).
La traduction de Frédéric Stevenot a été faite le plus fidèlement possible, mais il a fallu faire quelques entorses à ce principe de départ pour rendre plus aisée la compréhension du texte. Indulgence est demandée aux anglicistes…

Après la conclusion des accords de Munich (29 septembre 1938) et le retour triomphal du premier Ministre conservateur, Neville Chamberlain, l’opposition au sein de son propre parti s’empare de la question à la Chambre des Communes. Après d’autres députés, Winston Churchill prononce un discours retentissant, auquel répond Chamberlain.

Les deux discours sont donnés ici successivement. On pourra apprécier la maîtrise de la rhétorique de l’un et de l’autre, approuvant d’abord l’adversaire pour mieux le contester ensuite, le tout dans la plus grande courtoisie, laquelle n’exclue pas la fermeté.

M. Churchill, Chambre des communes, 5 octobre 1938

« M’étant ainsi fortifié de l’exemple des autres, je continuerai à les imiter. En conséquence de quoi commencerai-je en disant la chose la plus impopulaire et la plus importune. Je commencerai en disant ce que chacun voudrait ignorer ou oublier, mais qui doit néanmoins être exposé, à savoir que nous avons subi une défaite totale et complète, et que la France a souffert davantage que nous.

VICOMTESSE ASTOR [Nancy Witcher Langhorne Astor, député conservateur] : Absurde.

M. CHURCHILL : Quand la noble dame crie à l’absurdité, il se pourrait bien qu’elle n’ait pas entendu le chancelier de l’Échiquier [Sir John Simon] admettre dans son brillant et net discours que M. Hitler avait maintenant obtenu, par ce coup particulier dans sa manière, tout ce qu’il avait l’intention d’obtenir. Mon très grand et honorable ami qu’est le Premier Ministre a été capable d’apporter la sécurité, grâce à tous ses intenses efforts, grâce aux grands efforts et à la mobilisation qui ont été faits dans ce pays, et par-delà toute l’angoisse et la tension par lesquels nous sommes passés dans ce pays, il a été capable de tirer le meilleur parti qui soit de la situation [les honorables membres de la Chambre : « C’est la paix »]. J’ai pensé que l’on pourrait me permettre de rendre cet hommage à son endroit, et je propose de partir de cette base. Il a été capable de tirer le meilleur profit qui soit pour la Tchécoslovaquie et, dans les questions qui ont eu lieu au sujet du conflit , le problème a été que le dictateur allemand, au lieu de prendre lui-même les victuailles sur la table, a réussi à se les faire servir, les uns après les autres.

Le chancelier de l’Échiquier a dit que c’était la première fois que M. Hitler s’était rétracté – je pense que c’était l’expression utilisée – à un certain degré. Nous ne devons pas vraiment gaspiller le temps, après tout ce long débat, sur la différence entre les positions atteintes à Berchtesgaden, à Godesberg et à Munich. Elles peuvent être très simplement illustrées, si la Chambre me permet d’utiliser la métaphore. Une livre sterling a été exigée à chaque coup. Quand on l’a donnée, deux ont été exigées. Finalement, le dictateur a consenti à prendre une livre dix-sept shillings et six pences, et, pour le reste, de faire des promesses de bienveillance pour l’avenir.

Maintenant j’en viens au point qui m’a été indiqué par quelques parties de la Chambre, au sujet du sauvetage de la paix. Personne n’a été un lutteur plus résolu et aussi intransigeant pour la paix que le premier Ministre. Chacun le sait. Jamais il n’y a eu une telle détermination, profonde et imperturbable, pour maintenir et garantir la paix. C’est tout à fait vrai.

Néanmoins, je n’ai pas tout à fait expliqué le fait de savoir pourquoi il y avait un tel danger pour la Grande-Bretagne ou pour la France d’être entraînées dans une guerre avec l’Allemagne au moment même où, en fait, elles ont été constamment prêtes à sacrifier la Tchécoslovaquie. L’accord que le Premier ministre a rapporté – je suis tout à fait d’accord, en fin de compte : tout s’est déroulé sans difficulté, et rien que son intervention a pu avoir sauver la paix ; mais je parle là des événements de l’été – aurait pu être facilement avoir été obtenu, je pense, par le biais des moyens diplomatiques ordinaires à tout moment pendant l’été. Et je dirai ceci, à savoir que je crois que les Tchèques, livrés à eux, disaient qu’ils n’auraient pas le soutien des puissances occidentales, et qu’ils auraient pu avoir un meilleur accord – ils ne pouvaient en obtenir un pire – après tout un bouleversement aussi important.

On ne peut jamais pas avoir la certitude absolue qu’il y aura un combat quand on est résolu à mener complètement une partie. Quand on lit les accords de Munich, quand on voit ce qui arrive en Tchécoslovaquie d’heure en heure, quand on est sûr, je ne parlerai pas d’approbation parlementaire mais de consentement parlementaire, quand le chancelier de l’Échiquier fait un discours qui essaye en tout cas de mettre en avant d’une façon très puissante et persuasive le fait qu’après tout, cela était inévitable et en effet justifié – loyal – quand nous avons vu tout cela, est-ce que chacun de ce côté de la Chambre, y compris beaucoup de membres de la partie conservatrice qui sont censés être les gardiens vigilants et soigneux de l’intérêt national, est-il bien évident qu’il n’y ait rien nous concernant de près qui n’ait été en jeu. Il me semble à moi qu’on doit se demander à quoi bon tout ce remue-ménage et toute cette agitation ?…

Nous sommes invités à nous prononcer par un vote au sujet de cette motion qui a été mise sur le papier, et c’est certainement une motion transcrite en termes très indiscutables comme, en effet, l’est l’amendement proposé par l’opposition. Je ne peux pas moi-même exprimer mon accord avec les mesures qui ont été prises, et, à l’exemple du chancelier de l’Échiquier qui a exprimé son opinion avec tellement de capacité, j’essayerai, si je puis y être autorisé, de proposer une appréciation différente. J’ai toujours estimé que le maintien de la paix dépend de l’accumulation des forces de dissuasion contre l’agresseur, doublée d’un réel effort pour obtenir réparation des préjudices. La victoire de M. Hitler, comme tant de célèbres combats qui ont influé sur le destin du monde, a été acquise sur la plus étroite des marges. Après l’accaparement de l’Autriche en mars, nous avons fait face à ce problème au cours de nos débats. J’ai essayé d’inciter le gouvernement à aller plus loin que le premier Ministre n’était allé, et pour montrer que par un engagement conjoint avec la France et d’autres pays, les puissances garantiraient la sécurité de la Tchécoslovaquie tandis que la question des Sudètes allemandes serait examinée par la Société des nations ou une autre assemblée impartiale, et je crois toujours que, si ce cours avait été suivi, les événements n’auraient pas abouti à cet état désastreux. Je suis infiniment d’accord avec mon très honorable ami, député de Sparkbrook [M. Amery, de 1918 à 1945, Leopold Charles Maurice Stennett Amery — Leo Amery — est élu de Sparkbrook, circonscription du sud-ouest de Birmingham] quand il a dit à cette occasion – je ne peux pas me rappeler ses mots exacts – « Faire une chose, ou l’autre ; ou vous dites que vous vous désintéressez complètement du sujet, ou vous dites que vous prendrez toute mesure de nature à donner la garantie qui aura la plus grande chance d’assurer la protection de ce pays ».

La France et la Grande-Bretagne ensemble, particulièrement si elles avaient maintenu un contact étroit avec la Russie, ce qui certainement n’a pas été fait, auraient pu être en mesure durant l’été, quand elles en avaient les moyens, de faire pression sur plusieurs des plus petits États de l’Europe, et je crois qu’elles auraient influencé l’attitude de la Pologne. Une telle combinaison, préparée au moment où le dictateur allemand ne s’était pas encore engagé profondément et irrévocablement dans sa nouvelle aventure, auraient pu donner, je crois, la force à tous ces éléments qui, en Allemagne, s’opposaient à cette initiative, cette nouvelle conception. Elles changeaient alors la donne : ceux qui d’un point de vue militaire déclaraient que l’Allemagne n’était pas prête à entreprendre une guerre mondiale, et toute cette masse d’opinion modérée et d’opinion populaire qui redoutait la guerre, et quelques éléments qui ont toujours une certaine influence sur le gouvernement allemand. Une telle action aurait donné la mesure du profond désir de paix que les masses allemandes délaissées partagent avec leurs homologues britanniques et français, et qui, comme nous nous le rappelons, aurait débouché sur une expression passionnée et rarement autorisée qu’on a vue avec les manifestations joyeuses avec lesquelles le premier Ministre a été acclamé à Munich.

Toutes ces forces, ajoutées aux autres forces de dissuasion que les alliances des puissances, grandes et petites, étaient prêtes à mobiliser avec détermination pour aller de l’avant sur le front de la justice et pour la ferme résolution des préjudices, auraient formé, devaient former quelque chose d’efficace. Naturellement, vous ne pouvez pas tenir pour certain qu’elles… [Interruption] J’essaie d’argumenter de façon courtoise avec la Chambre. En même temps je ne pense pas qu’il est juste d’accabler ceux qui ont souhaité voir suivie cette politique, et qui l’ont suivie en bloc et résolument, en ayant le souhait d’une guerre immédiate. Entre la soumission et la guerre immédiate, il y avait place pour cette troisième alternative qui a donné un espoir non seulement de paix, mais de justice. Il est tout à fait vrai qu’une telle politique, pour qu’elle réussisse, ait exigé que la Grande-Bretagne déclare constamment et depuis longtemps qu’elle se joignait à d’autres puissances pour défendre la Tchécoslovaquie sur le long terme, de façon à se prémunir contre une éventuelle agression. Le gouvernement de Sa Majesté a refusé de donner cette garantie, alors qu’il aurait pu sauver la situation ; pourtant, ils l’ont donné à la fin, quand il était trop tard ; et maintenant, à l’avenir, ils veulent la renouveler, alors qu’ils n’ont plus la moindre chance de l’assurer.

Tout est joué. Silencieuse, triste, abandonné, détruite, la Tchécoslovaquie recule dans l’obscurité… Personne n’a le droit de dire que le plébiscite qui a être réalisé dans les circonscriptions soumises aux conditions de la Sarre et le net résultat de cinquante pour cent des territoires concernés, que ces deux opérations, donc, équivalent ensemble à rien moins qu’un verdict d’autodétermination. C’est une fraude et une farce pour appeler les choses comme elles doivent l’être.

Dans ce pays comme dans d’autres pays libéraux et démocratiques, nous avons parfaitement le droit d’exalter le principe d’autodétermination, mais il sort déformé de la bouche de ceux qui, dans les États totalitaires, vont jusqu’à nier même le moindre élément de tolérance pour chaque parti, et de confiance dans leurs limites. Mais, toutefois vous l’avez constaté, ce bloc particulier de pays, cette masse d’êtres humains n’a jamais exprimé le désir d’entrer dans l’ordre nazi. Je ne crois pas cela même maintenant, que si on pouvait demander leur avis, ils choisiraient une telle option…

Je doute qu’à l’avenir l’État tchèque puisse être maintenu en tant qu’entité indépendante. Vous constaterez que, dans une période qui peut être mesurée en années, mais peut seulement l’être en mois, que la Tchécoslovaquie sera absorbée par la puissance nazie. Peut-être la rejoindront-ils dans le désespoir ou dans la vengeance. En tout cas, cette histoire est terminée et dite. Mais nous ne pouvons pas considérer l’abandon et la ruine de la Tchécoslovaquie à la seule lumière de ce qui s’est produit le mois dernier seulement. C’est la conséquence la plus pénible de que nous avons pourtant voulu expérimenter, de ce que nous avons fait et de ce que nous avons laissé défaire durant ces cinq dernières années, cinq d’années de bonnes intentions futiles, cinq années d’une recherche avide d’une politique de moindre résistance, cinq années d’un retrait ininterrompu de la puissance britannique, cinq années de négligence de nos défenses aériennes. Tels sont les conditions que je dénonce ici et qui ont marqué une gestion imprévoyante pour laquelle la Grande-Bretagne et la France ont chèrement payé. En cinq ans, nous en avons été réduits à être dans une position de sécurité si écrasante et si dissuasive que nous ne nous sommes jamais inquiétés d’y songer. Nous en avons été réduits à être dans une position où le mot même de « guerre » a été considéré comme quelque chose qui serait seulement employé par des personnes dignes d’un asile de fous. Nous en avons été réduits à être dans une position de sûreté et de puissance – la capacité de faire le bien, la capacité d’être généreux envers un ennemi battu, la capacité d’établir des accords avec l’Allemagne, la capacité de donner une réparation appropriée pour ses dommages, la puissance de limiter son armement à ce que nous avions déterminé, la capacité de prendre n’importe quelle mesure relevant de la force ou de la pitié ou de la justice, conformément à ce que nous avons pensé être juste – réduits à passer en cinq ans d’une position sûre et incontestée à ce à quoi nous nous en tenons maintenant…

Nous sommes en présence d’un désastre de première importance qui vient d’être infligé à la Grande-Bretagne et à la France. Ne nous laissons pas nous aveugler nous-mêmes sur notre sort. Il doit être maintenant accepté que tous les pays de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est feront les meilleurs accords qu’ils pourront faire avec la puissance nazie triomphante. Le système des alliances en Europe centrale sur laquelle la France a compté pour sa sécurité a été balayé, et je ne peux voir aucun moyen grâce auquel il puisse être reconstitué. La route de la vallée de Danube à la Mer Noire, les ressources en céréales et en pétrole, la route qui mène jusqu’à la Turquie a été ouverte. En fait, sinon dans la forme, il me semble que tous ces pays de l’Europe moyenne, tous ces pays danubiens, seront l’un après l’autre englobés dans ce vaste système déployé par la politique de puissance qui rayonne depuis Berlin – non seulement pour favoriser l’expansion de la politique militaire mais aussi de la politique économique –, et je crois que ceci peut être réalisé tout à fait sans à-coup et rapidement, sans forcément nécessiter le moindre coup de feu. Si vous voulez prendre connaissance des ravages de la politique étrangère de la Grande-Bretagne et de la France, regardez ce qui se passe et ce qui est enregistré chaque jour dans les colonnes du Times…

Nous parlons de pays qui sont très loin de nous, et dont, comme le premier Ministre pourrait dire, nous ne savons rien. [Interruption.] La noble dame utilise une allusion très inoffensive…

VISCOUNTESS ASTOR : Grossier.

M. CHURCHILL : Elle doit avoir reçu très récemment son dernier cours d’éducation aux bonnes manières.

Quelle sera la position, je veux la connaître, de la France et de l’Angleterre cette année et l’année d’après ? Quelle sera la position du front occidental dont nous sommes pleinement les garants ? L’armée allemande est actuellement plus nombreuse que celle de la France, quoiqu’elle ne soit pas aussi aguerrie ou perfectionnée. L’an prochain, elle sera devenue beaucoup plus importante encore et sa maturité sera plus complète. Délivrés de toute inquiétude à l’Est et ayant les moyens qui atténueront énormément – à défaut de l’annihiler entièrement – la force de dissuasion d’un blocus naval, les dirigeants de l’Allemagne nazie auront l’entière liberté de déterminer la direction vers laquelle ils voudront porter leur regard. Si le dictateur nazi choisit de se diriger vers l’Ouest, comme il peut très bien le faire, la France et l’Angleterre regretteront amèrement la perte de cette excellente armée tchèque, dont on a évalué la semaine dernière que sa destruction ne réclamait pas moins de 30 divisions allemandes. Pouvons-nous nous aveugler sur le grand bouleversement qui vient de se produire dans la situation militaire et sur les dangers auxquels nous allons être confrontés ?

Ce n’est seulement que le début du compte. Ce n’est seulement que la première petite gorgée, le premier avant-goût d’une coupe amère qui nous sera offerte d’année en année, à moins que, par un suprême rétablissement de la santé morale et de l’énergie martiale, nous ne nous redressions de nouveau et que nous prenions nos dispositions en faveur de la liberté comme autrefois ».

Le Premier Ministre Chamberlain, Chambre des communes, 5 octobre 1938

« En ce qui concerne la politique à venir, il me semble qu’il y a vraiment deux solutions de rechange possible seulement. L’une d’entre elles est de considérer que n’importe quelle sorte de relation amicale, ou de relation possible, dirai-je, avec les États totalitaires est impossible, que les assurances qui m’ont été données personnellement sont sans valeur, qu’elles comportent des arrières-pensées sinistres, et qu’elles sont établies sur la domination de l’Europe et la destruction progressive des démocraties. Naturellement, selon cette hypothèse, cela doit venir, et c’est l’opinion – une opinion parfaitement compréhensible – d’un certain nombre d’honorables et justes membres de cette Chambre…

Si c’est la conviction des honorables membres, il n’y a plus là aucun espoir à venir pour la civilisation ou pour les choses qui donnent de l’intérêt à la vie. L’expérience de la Grande Guerre et des années que l’ont suivie nous donnent l’espoir raisonnable que si une nouvelle guerre commençait, elle serait pire que la dernière ? Non. Je ne crois pas que la guerre soit inévitable. Quelqu’un a mis dans ma main une remarque faite par le grand Pitt vers 1787, quand il a dit : «Considérez qu’une nation, invariablement ennemie des autres, est faible et infantile, et qu’elle a ses fondement ni dans l’expérience des nations ni dans l’histoire de l’homme ».

Il me semble que l’argument le plus fort contre le caractère inévitable de la guerre doit être trouvé dans quelque chose que chacun a identifié dans chaque partie de la Chambre. C’est l’aversion universelle du peuple pour la guerre, sa haine de concevoir de tuer quelqu’un d’autre encore…

Quelle est l’alternative à cette politique morne et stérile envisageant le caractère inéluctable de la guerre ? Selon moi, c’est que nous devrions certainement chercher dans notre puissance à éviter la guerre, en analysant les causes possibles, en tentant de les supprimer par la discussion, dans un esprit de collaboration et de bonne volonté. Je ne peux pas croire qu’un tel programme serait rejeté par les personnes de ce pays, même s’il suppose l’établissement d’un contact personnel avec des dictateurs et des discussions d’homme à homme sur la base selon laquelle chacun, tout en maintenant ses propres idées sur le gouvernement de son pays, est disposé à permettre que d’autres systèmes peuvent mieux convenir à d’autres peuples. La partie opposée a sûrement la même conception à l’esprit, même si elle l’expose d’une manière différente. Ils veulent une conférence mondiale. Bien. J’ai eu quelque expérience de ces conférences, et une chose que j’en retire et tiens pour certaine est qu’il vaut mieux n’avoir aucune conférence du tout qu’une conférence qui est un échec. Le corollaire à cela est qu’avant d’entrer dans une conférence, vous devez avoir présenté très clairement les lignes selon lesquelles vous allez procéder, si vous voulez avoir devant vous une chance raisonnable d’obtenir le succès à la fin. Je ne dis pas qu’une conférence ne serait pas indiquée en temps opportun. Mais je dis qu’il est inutile de chercher à réunir une conférence mondiale, comprenant ces puissances totalitaires, à moins d’être sûr qu’elles vont y être présentes, et non seulement qu’elles seront là, mais qu’elles vont participer avec l’intention de vous aider dans la politique que vous voulez servir avec coeur.

J’ai dit que la politique que j’ai essayé de décrire est contradictoire avec la poursuite et plus encore avec l’amplification de notre programme d’armement. Je me suis demandé comment concilier un appel au pays pour soutenir la poursuite de ce programme avec les mots que j’ai employés quand je suis revenu de Munich, l’autre jour, et dit ma croyance en ce que nous pourrions avoir la paix maintenant. J’espère, honorables membres, ne pas être amené à lire dans les mots utilisés lors un moment d’émotion, après une longue et épuisante journée, après que j’aie roulé bon nombre de miles au milieu de gens excités, enthousiastes et encourageantes – j’espère qu’ils ne liront pas dans ces mots plus que la signification qu’ils sont sensés véhiculer.

Pourtant, je crois en effet que nous pouvons être maintenant en paix, mais je n’ai jamais voulu dire que nous devrions faire cela par le désarmement, jusqu’à ce que nous puissions inciter d’autres à désarmer aussi. Notre expérience passée nous a prouvé seulement de façon trop claire que la faiblesse de la force armée signifie la faiblesse en diplomatie, et si nous voulons établir une paix durable, je suis conscient que la diplomatie ne peut pas être efficace à moins que l’idée existe, pas seulement ici mais ailleurs, que derrière la diplomatie soit la force pour la rendre efficace…

Je ne peux m’empêcher d’estimer que si, après tout, la guerre s’était abattue sur nous, les personnes de ce pays aurait perdu leur confiance tout à fait. Comme c’est le contraire qui s’est passé, je pense que nous avons tous vu quelque chose comme une nouvelle renaissance spirituelle, et je sais qu’il y a partout dans le peuple un fort désir de remarquer son élan pour servir leur pays, partout – là où cependant leurs services pourraient être les plus utiles. Je voudrais tirer profit de ce profond sentiment si cela est possible, et bien que je doive franchement dire qu’à ce moment je ne vois pas moi-même clairement ma manière de parvenir à quelque accord particulier, pourtant je veux également dire que je suis prêt à considérer n’importe quelle suggestion qui peut m’être faite de façon très bienveillante.

En conclusion, je voudrais répéter ce que mon loyal et honorable ami, le chancelier de l’Échiquier, a dit hier dans son grand discours. Notre politique d’apaisement ne signifie pas que nous allons chercher de nouveaux amis aux dépens des anciens, ou, en effet, aux dépens d’absolument aucune autre nation. Je ne pense pas qu’il y ait jamais eu une identité de vue plus complète entre le gouvernement français et nous-mêmes qu’à l’heure actuelle. Leur objectif est identique au nôtre – obtenir la collaboration de toutes les nations, sans exclure les États totalitaires, pour établir une paix durable en Europe. Cela me semble être une politique qui répondrait à l’appel de mon honorable ami, une politique qui devrait susciter l’appui de tous ceux qui croient en la puissance de la volonté humaine de commander au destin de l’humanité. Si nous ne parvenons pas ici, cet après-midi, à égaler l’unanimité patriotique de la Chambre des députés français, au moins cette Chambre peut-elle montrer par une majorité décisive son approbation de la détermination du gouvernement à la poursuivre ».

[Le vote qui a suivi a approuvé le gouvernement par 369 voix à 150.]

Source. Munich : Blunder, Plot, or Tragic Necessity ?, edited with and introduction by Dwight E. Lee (Lexington, MA; D.C. Heath and Company, 1970), p. 1-12

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Précisions de François Delpla

La référence, dans MANCHESTER, est le livre de mémoires de Hugh Dalton, l’un des travaillistes les plus anti-appeasers. Depuis, son journal a été édité et il serait bon d’y jeter un oeil.

En fait, chez Manchester, le propos est noyé au milieu des considérations de l’auteur et il faut aller à la note en fin de volume pour trouver une référence à Dalton, et une autre à Malcolm MacDonald — qui ne s’applique visiblement qu’au dernier passage. Je vous cite le paragraphe entier :

« Pendant toute l’année 1938, les avertissements de Churchill s’étaient faits de plus en plus opiniâtres et de moins en moins efficaces. Ses saillies elles-mêmes ne faisaient plus recette car ses cibles, les « hommes de Munich », comme les appelait Fleet Street, étaient censées avoir évité une guerre européenne générale. Il aurait été mal vu presque partout de lancer : « A propos, avez-vous entendu ce que Churchill a dit de Neville ? Dans le fond de cette âme poussiéreuse il n’y a que reddition abjecte » ou « Churchill dit : Le gouvernement avait à choisir entre la guerre et la honte. Il a choisi la honte et il aura la guerre aussi ». Mais certaines de ses piques atteignaient leur but. Malcom MacDonald, fils de Ramsay et ministre des Colonies et des Dominions du gouvernement Chamberlain [petite erreur de l’Américain Manchester : il y a deux postes, qu’il n’est pas d’usage de cumuler, et MMD a quitté le second pour le premier en mai 38], se rappelle avec un embarras teinté d’amusement qu’il avait été amené à dire dans un discours sur l’avenir de la Palestine : « Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai entendu parler de Jérusalem et de Bethléem, le lieu de naissance du prince de la Paix ». Lorsqu’il s’arrêta pour reprendre son souffle, Churchill marmonna : « J’ai toujours cru qu’il était né à Birmingham » [lieu de naissance de Chamberlain]. »

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L’un de mes collègues angliciste, Jean-Pierre Delmarcelle, m’a aimablement communiqué une information intéressante. Elle se trouve sur un site pédagogique britannique.

On y lit un passage de l’autobiographie de Duff Cooper, Premier Lord de l’Amirauté en septembre-octobre 1938, Old Men Forget (publiée en 1953). Opposé aux accords de Munich, il écrit :

« The Cabinet met that evening. The Prime Minister looked none the worse for his experiences. He spoke for over an hour. He told us that Hitler had adopted a certain position from the start and had refused to budge an inch from it. Many of the most important points seemed hardly to have arisen during their discussion, notably the international guarantee. Having said that he had informed Hitler that he was creating an impossible situation, having admitted that he had « snorted » with indignation when he read the German terms, the Prime Minister concluded, to my astonishment, by saying that he considered that we should accept those terms and that we should advise the Czechs to do so.

It was then suggested that the Cabinet should adjourn, in order to give members time to read the terms and sleep on them, and that we should meet again the following morning. I protested against this. I said that from what the Prime Minister had told us it appeared to me that the Germans were still convinced that under no circumstances would we fight, that there still existed one method, and one method only, of persuading them to the contrary, and that was by instantly declaring full mobilisation. I said that I was sure popular opinion would eventually compel us to go to the assistance of the Czechs ; that hitherto we had been faced with the unpleasant alternatives of peace with dishonour or war. I now saw a third possibility, namely war with dishonour , by which I meant being kicked into the war by the boot of public opinion when those for whom we were fighting had already been defeated. I pointed out that the Chiefs of Staff had reported on the previous day that immediate mobilisation was of urgent and vital importance, and I suggested that we might one day have to explain why we had disregarded their advice. This angered the Prime Minister. He said that I had omitted to say that this advice was given only on the assumption that there was a danger of war with Germany within the next few days. I said I thought it would be difficult to deny that such a danger existed ».

Rapidement, on comprend que :

une réunion du cabinet a été faite ;
Chamberlain a fait valoir les difficultés de la négociation, l’inflexibilité d’Hitler, et finalement ses arguments tendant à une politique d’apeasement ;
étonnement de Cooper, qui prend position pour une attitude ferme et résolue des Britanniques face à l’Allemagne (une mobilisation complète), avec laquelle la population sera d’accord.

Et on a la phrase-clé :

« […] jusqu’à maintenant, nous avons été mis en face de deux alternatives désagréables : la paix avec le déshonneur, ou la guerre. Je vois maintenant une troisième possibilité, à savoir la guerre avec le déshonneur […]. »

On note qu’il s’agit d’une relation écrite en 1953. On note également la très similitude avec la phrase attribuée à Churchill. En mettant ces éléments en relation avec ce que François Delpla nous a apportés (en se basant sur le livre de l’Américain Manchester), on peut raisonnablement en déduire que l’auteur de la phrase est Duff Cooper, qui, reconnaissons-le, suit une ligne identique à celle de Churchill, lequel, dans son discours à la Chambre, dit la même chose sous une forme et avec des mots différents : l’esprit y est, en tout cas.

Reste à aller voir dans les mémoires de Hugh Dalton, comme le recommande Fr. Delpla.

Fr. Stévenot

L’ANNEXION DE LA TCHÉCOSLOVAQUIE PAR L’ALLEMAGNE

Berlin, le 16 mars 1939

« Moins de six mois après la conclusion de l’accord de Munich et quatre mois à peine après la sentence arbitrale de Vienne, l’Allemagne, traitant comme quantité négligeable sa propre signature et celle de ses partenaires, a provoqué la dislocation de la Tchécoslovaquie, occupé militairement la Bohême et la Moravie et annexé ces deux provinces au Reich. La croix gammée flotte depuis hier, 15 mars, sur le Hradschin, où le Führer a fait son entrée sous la protection des tanks et des autos blindées, parmi une population frappée de stupeur et consternée. La Slovaquie s’est constituée en Etat soi-disant indépendant, mais qui s’est placé sous la protection du Reich. Quant à la Russie subcarpathique, elle est abandonnée à la Hongrie dont les troupes ont déjà passé la frontière. La Tchécoslovaquie, qui avait à Munich consenti de si cruels sacrifices pour le maintien de la paix, n’existe plus. Le rêve des nazis les plus acharnés à sa perte est réalisé. Elle a disparu de la carte européenne.

Les événements, qui avec une rapidité foudroyante ont abouti à ce dénouement, sont typiques de la mentalité et des méthodes des dirigeants hitlériens. Ils comportent des enseignements et des conclusions pratiques que doivent tirer sans délai tous les Etats soucieux de leur sécurité et de leur indépendance, en face d’une Allemagne grisée par ses succès et qui, abandonnant le terrain des revendications raciales, s’est lancée dans l’impérialisme pur.

L’opération dont la Tchécoslovaquie vient d’être victime porte, à un degré plus grand encore que les précédents coups de force nazis, les marques spécifiques des entreprises hitlériennes : le cynisme et la perfidie dans la conception, le secret dans la préparation, la brutalité dans l’exécution.

A Munich, les dirigeants nazis et le Führer lui-même avaient fait valoir l’impossibilité pour les Tchèques et pour les Allemands des Sudètes de coexister au sein d’un même Etat ; ils avaient allégué la haine séculaire et irréductible des Tchèques contre tout ce qui est allemand ; ils avaient prétendu que le maintien de la paix exigeait qu’une démarcation très nette fût tracée entre les deux nationalités ; ils étaient parvenus à convaincre Lord Runciman de cette nécessité ; ils s’étaient en revanche défendus de vouloir incorporer au Reich des éléments allogènes. C’est en s’inspirant de ces principes que les négociateurs réunis dans la capitale bavaroise avaient imposé au gouvernement de Prague la cession au Reich des pays de prépondérance allemande. En compensation, la Tchécoslovaquie devait recevoir une garantie internationale de ses nouvelles frontières, garantie à laquelle l’Allemagne participerait elle-même. (…)

Aujourd’hui, il n’est plus question d’une séparation entre Tchèques et Allemands indispensable à la pacification du bassin danubien et de l’Europe. Renversant complètement ses batteries, l’Allemagne reforme l’amalgame germano-tchèque, dont en septembre dernier elle avait proclamé les éléments incompatibles. Alors qu’il y a quelques mois elle déclarait absolument impossible la coexistence entre ces deux groupes ethniques, elle prétend démontrer aujourd’hui qu’une telle coexistence est toute naturelle, qu’elle correspond au sens de l’histoire et qu’elle résulte des nécessités économiques et géographiques. Il n’est plus question de la haine séculaire entre Tchèques et Allemands ; les deux peuples sont présentés au contraire comme pouvant et devant vivre harmonieusement au sein d’une même communauté politique.

Les accords de Munich n’ont donc été en définitive pour les dirigeants hitlériens qu’un moyen de désarmer la Tchécoslovaquie avant de l’annexer. »

Rapport de l’ambassadeur français à Berlin, Coulondre au ministre des Affaires étrangères cité dans G.Bonnet, Livre jaune français, Documents diplomatiques, no 73, Paris, 1939.